Musique

Gogol Bordello à l’Elysée Montmartre ce soir : Interview de Eugene Hutz

18 May 2010 | PAR Yaël Hirsch

Alors que leur nouvel album “Transcontinental Hustle” (American Recordings / Sony) vient de sortir, le « Casa Gogol Tour » des Gogol Bordello passe par l’Elysée Montmartre mardi 18 mai 2010. La boîte à sorties a rencontré le mythique chanteur du groupe Gipsy Punk, Eugene Hutz. Sous la moustache et par-delà l’énergie, c’est un artisan de la musique qui s’est exprimé sur son art.

Comment avez vous rencontré Rick Rubin qui a produit “Transcontinental Hustle”?

Nous avions un ami en commun, Tom Morello des Rage against the Machine, qui nous soutient depuis de nombreuses années. Après un concert de Tom à Los Angeles, j’ai finalement rencontré Rick Rubin. Et j’ai compris que c’était exactement là où je devais me diriger dans ce nouveau chapitre de ma vie. C’était important pour les Gogol Bordello de devenir des vrais artisans (“craftsmen”) ou alors on serait juste devenus carrément fou.

Cela veut-il dire que vous comptez vous éloigner du punk?

Tu ne peux pas t’éloigner du Punk, pas nous, c’est vraiment dans notre ADN. Et je n’ai jamais été tellement obsédé par cette idée du Punk, vraiment jamais. Même le punk qui nous a inspiré au début, c’était les Clash, la Mano Negra et les Fugazi, qui font un type de musique plutôt intellectuel. C’est de la musique de la rue, mais aussi de la musique intellectuelle. Nous venons déjà d’un arbre d’influences, où l’on trouve déjà cette idée de cheminement d’artisan. On n’a jamais fait du “punk hormonal”, pour moi les qualités musicales fondamentales sont toujours passées au premier plan : les paroles, la mélodie, les arrangements, un rythme fort. Et on n’a jamais été un groupe punk traditionnel avec trois cordes. En travaillant avec Ricky j’ai été conforté dans l’idée qu’une chanson se crée d’abord au piano ou à la guitare et que c’est seulement après qu’elle est prête à être amenée à la batterie. Nous devenons de plus en plus des artisans et c’est comme ça qu’on va casser la baraque (“Kick Ass”).

Pour être un artisan de la musique est-il important de jouer de plusieurs instruments?

Je crois que c’est très important. Je suis capable de jouer de tous les instruments de base du rock : la batterie, la basse, un peu d’accordéon, un peu de clavier. Bien sûr, ça aide. Mais mon instrument est la guitare et je ne me suis jamais considéré comme un instrumentaliste hors pair. J’ai toujours su que j’étais doué pour raconter une histoire musicale en trois ou quatre minutes, c’est-à-dire écrire des chansons.

Vous vivez au Brésil depuis deux ans. Cela a-t-il influencé votre musique?

Depuis le premier jour jusqu’à aujourd’hui, c’est un pays incroyable pour trouver l’inspiration. Je n’aurais pas écrit ce disque si j’étais resté dans mon quartier de l’East Village. Le Brésil est une mine d’or de musique et de grands musiciens qui demeurent anonymes et qui jouent jour après jour dans des petits lieux. Tout l’environnement est musical au Brésil, j’adore cette atmosphère. C’est très direct, c’est là, dans chaque rue, derrière chaque fenêtre et chaque porte. Et cela réoriente ton propre sens de la mélodie et du rythme, et tu commences à jouer des morceaux et tu ne peux pas t’arrêter de les jouer parce qu’ils sont trop excitants. De temps en temps tu vides ton réservoir de créativité ou tu sais que cela arrive, et alors tu fais quelque chose comme tomber amoureux de quelqu’un, d’un pays ou les deux, tu fais certaines expériences et tout d’un coup le réservoir est rempli à nouveau, et c’est très stimulant. J’ai eu beaucoup de plaisir à écrire cet album au Brésil. C’est pratiquement tout ce que j’ai fait. Boire un café le matin, et me mettre à composer, chanson après chanson, puis les réviser. Et tous les deux ou trois mois, j’allais chez Ricky en Californie et je lui montrais 10 ou 15 nouvelles chansons. En tout j’en ai écrit 50 pour cet album, on en a enregistré 25, et 13 ont été choisies pour l’album. On en a gardé 12 pour des sorties spéciales.

C’était difficile de choisir?

Oui très difficile, mais pas trop. Je sais qu’elles trouveront leur public d’une manière ou d’une autre.

Quelle est la recette de votre métissage musical ? Est-ce un collage conscient ou un mélange inconscient?

Si c’était conscient, ce serait plus facile, on pourrait suivre une recette, cuire comme un gâteau. Mais c’est beaucoup plus compliqué que cela. C’est un processus très lent. je crois que l’inconscient fait tout le travail. L’inconscient est ton laboratoire. Il te rend ce que tu lui donnes dans une autre forme. C’est en écoutant beaucoup beaucoup de musique que tu finis par jouer du Gogol Bordello. Il faut beaucoup voyager et laisser la musique être la lumière qui te guide dans la vie. Et alors ces combinaisons arrivent. Tu commences à mélanger un beat avec des mélodies slaves , voir qu’un air arabe irait bien avec cela, et tu suis ainsi un long processus.

Sur le disque “Transatlantic Hustle”, il y a aussi des chansons plus douces, nostalgiques…

Ça a toujours été une partie importante de ce que j’écris, jusqu’ici je ne croyais pas que ce matériau ne serait pas bon pour Gogol Bordello, mais Rick m’a encouragé à les enregistrer et a même suggéré que c’était ce que j’écrivais de plus fort. Et je crois qu’il a eu raison. Tout le monde les aime. Et ce sont souvent les chansons préférées du public de Gogol Bordello! Dans tous les CDs que nous avons enregistré auparavant j’avais consciemment retenu les ballades, les chansons les plus romantiques, nostalgiques ou introspectives, qui viennent de mon côté réflexif, et j’avais peur que nos fans ne soient pas prêts pour ça. Mais après j’ai pensé”, j’ai 36 ans, j’ai du kilométrage, j’ai roulé ma bosse. Et ce kilométrage m’a donné la confiance de sortir ce type de musique de moi-même pour les partager.”

Vous écrivez la plupart de vos chansons en Anglais. Est-ce la langue dans laquelle les mots viennent d’abord?

J’écris principalement en Anglais. J’ai grandi en Ukraine pendant 17 ans mais les 18 années suivantes, j’ai vécu aux États-Unis, et j’ai internalisé l’Anglais au point que c’est devenu ma première langue. Et j’écris en Anglais parce que je travaillais beaucoup avec un public qui parlait Anglais et que cela ouvre à un public international. Si quelque chose vient en Portugais, en Russe ou en Italien, je le mets comme ça dans les paroles, mais 80% de ce que j’écris me vient en Anglais.

Dans quel pays du monde avez-vous le plus de fans?

J’ai de nombreux amis dans plusieurs pays. Bien sûr j’ai des amis en Ukraine avec qui je suis resté connecté depuis toutes ces années. Ils sont comme ma famille. De même à New-York j’ai toute une famille d’artistes, parmi lesquels des ukrainiens de deuxième génération. Et j’ai aussi de très bons amis au Brésil. Si tout se passe bien, je trouverai toujours des endroits où jouer -petits mais plein d’âme- dans ce triangle : Kiev, New-York et Rio. Même si la Russie et l’Ukraine ont été les derniers pays à nous inviter, je suis allé au Japon ou au Brésil avant de chanter en Ukraine. J’en parlais l’an dernier à Emir Kusturica que j’ai rencontré lors d’un festival en Ukraine. J’ai toujours été un grand admirateur de son travail et ce festival a été très drôle. Et quand je lui ai dit combien je trouvais ironique que l’Ukraine ait été le dernier pays à m’inviter à chanter, il m’a répondu que ce n’était pas tellement surprenant et que la même chose lui était arrivée avec la Serbie.

Vous avez joué dans plusieurs films (“Obscenité et vertu”,  de Madonna et “Tout est illuminé”, de Liev Schreiber, entres autres). Voulez-vous continuer à tourner?

J’aimerais beaucoup continuer à participer à des films qui crèvent l’écran, et particulièrement avec Emir Kusturica, Tony Gatliff ou Jim Jarmusch. Vous voyez mon genre de calibre. Il faut juste que ce soit quelque chose de très bon fait par des gens qui ont l’esprit du rock’n’roll. Deux des films dans lesquels j’ai joué ont été très enthousiasmants parce-que c’étaient des petites productions et qu’à chaque fois l’équipe du tournage fonctionnait comme un groupe de musique : c’était un gang. Dans une grande production, cet esprit peut vraiment se perdre. Et je comprends que cela ferait sens financièrement de participer à un blockbuster, mais du point de vue de la création, cela ne me conviendrait pas. Il n’y a rien de mal à se faire du pognon, mais je vous ai dit qui sont mes réalisateurs préférés. J’ai aussi des idées pour mettre mon propre film en scène et faire un casting fantastique dans lequel il y aurait les Gogol Bordello, parce qu’ils sont de vrais personnages. ce serait chouette de travailler dans cette direction.

Dans votre nouvel album, il semble qu’il y ait une plus grande place pour les femmes dans votre “Bordello” pour gentlemen?

Quand je parlais de “Bordel pour gentlemen” je n’étais pas vraiment sérieux. La vérité c’est que “Bordello” en russe est synonyme de chaos, grand bazar ou de lieu de débauche. Dans ce sens ça fonctionnait pour notre groupe. Il ne fallait pas le prendre littéralement. mais vous avez raison. Je pense que les femmes ont toujours été présentes dans notre groupe, mais avant leur présence était plus performative. maintenant, après avoir passé tellement de temps sur la route à chantonner ensemble, nous faisons plus attention aux voix de femmes. Nous avons toujours été attentifs à ne pas cantonner les femmes aux choses que les femmes font d’habitude sur scène : décorer un peu et chanter les chœurs. Utiliser la féminité de cette manière aurait été ridicule et j’ai toujours voulu m’en garder. Même les tenues des femmes sur notre scène n’ont jamais été trop sexy. Nous avons voulu garder de la dignité dans cette collaboration et ne pas utiliser les femmes comme des poupées. Trop de groupes font de la “sexploitation”. Sur scène les performances des femmes pour Gogol Bordello sont spéciales, on a toujours voulu montrer la force des femmes à travers des sets de percussions ou des performances proches de l’athlétisme sur scène.

Quelle est votre endroit préféré à Paris?

Je suis venu à Paris tellement de fois, peut-être 30, et j’y ai tellement d’amis, que je ne sais pas quel endroit choisir. J’ai vraiment fait la fête à Paris. Mais il y a ce petit endroit où un gars chante des tubes des années 1930 et 1940 à Pigalle. J’y suis allé plein de fois mais je ne me rappelle pas de son nom.

Gogol Bordello, « Transcontinental Hustle », (American Recordings / Sony), sortie le 10 mai 2010.
En concert à l’Elysée Montmartre le 18 mai.

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Yaël Hirsch
Co-responsable de la rédaction, Yaël est journaliste (carte de presse n° 116976), docteure en sciences-politiques, chargée de cours à Sciences-Po Paris dont elle est diplômée et titulaire d’un DEA en littérature comparée à la Sorbonne. Elle écrit dans toutes les rubriques, avec un fort accent sur les livres et les expositions. Contact : [email protected]

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