Musique
Gilberto Gil et son opéra-chanson Amor Azul à la maison de la radio

Gilberto Gil et son opéra-chanson Amor Azul à la maison de la radio

06 December 2022 | PAR Gautier Higelin

La légende brésilienne Gilberto Gil s’est associée à Aldo Brizzi pour écrire et composé Amor Azul. Un opéra-chanson en deux actes qui met en scène La Gita Govinda de Jayadeva, un poème lyrique-dramatique indien composé au XIIème siècle. Pour cette première mondiale, trois représentations furent organisées dans l’auditorium de Radio France le 2,3 et 4 décembre 2022. 

Un métissage musical qui incarne la culture brésilienne

« Le brésil est une histoire d’amour entre les races » écrivait Jorge Amado. C’est dans cette démarche que Gilberto Gil a voulu rendre hommage à son pays et à sa propre carrière musicale. Pionnier d’un mélange des genres, il incarne le mouvement Tropicalia qui, lui, n’a jamais cessé de faire rencontrer la musique populaire brésilienne et les rythmes rock, funk et psychédéliques de la fin des années 1960, début 1970.

Au-delà des styles, c’est également le mouvement hippie, avec ses inspirations indiennes, qui a traversé la jeunesse engagée d’un Brésil sous dictature militaire.

Pour Gilberto Gil et Aldo Brizzi, Amor Azul incarne cette « rencontre de la musique populaire brésilienne avec le chant lyrique, une rencontre des rythmes les plus effrénés avec l’orchestration savante, mais également la rencontre de la poésie populaire avec la magie de la voix lyrique. C’est également une rencontre de la culture de la musique transe afro-brésilienne et de la mystique indienne ».

Un nuancier de l’amour qui se mêle à la Saudade brésilienne

Dans un drame à deux personnages principaux, Krishna, incarnation du dieu Vishnu, arpente les campagnes où il séduit les gopi (vachères) qu’ils considèrent comme ses maîtresses. Radha est sa favorite mais, épris de plaisir pour ses autres conquêtes amoureuses, il la délaisse.

Dépitée, Radha exprime par des poèmes la nostalgie de ses beaux jours avec Krishna. Par la suite, Krishna, lassé de ses fredaines, dévoilera son envie de revenir au côté de Radha tout en craignant sa colère qu’elle ait pu développer à son égard.

Les sonorités de la composition du Brésilien et de l’Italien relatent parfaitement les émois mystiques et amoureux de cette légende indienne. La complexité et la diversité des rythmes et des styles est au cœur du premier acte, se mariant parfaitement avec les plaintes des amants séparés et de leurs souvenirs torturants. Pour cela, les percussions traditionnelles brésiliennes sont très présentes dans ce 1er acte, renforçant ainsi la diversité, au sein même d’une unité.

Une création originale sans aucun référentiel

Ce 1er acte fait planer une certaine ambiance dans la maison ronde. Entre public d’abonné et fans de l’artiste brésilien, la dissension est présente. Les aficionados de sa samba, bossa et autres grooves restent sur leur faim tandis que les autres découvrent un mélange des genres intriguant qui, au demeurant, ne leur a pas déplu pour autant. Les codes traditionnels de l’opéra viennent donc percuter une foule habituée aux concerts dansants de l’enfant de Bahia.

Les applaudissements entre chaque scène n’étaient, dès lors, pas aux goûts de tout le monde. De la même manière, l’entracte a été, pour certaines personnes, synonyme de la fin de la représentation car elles n’étaient pas informées sur la façon dont se déroule un opéra.

Un final qui a réconcilié toute la salle

Le deuxième acte symbolise les tentatives de retrouvailles et in fine le plaisir à nouveau partagé entre Krishna et Radha. Musicalement, l’orchestration suit cette émotion en créant un sentiment d’union, où les valeurs rythmiques se partagent. La diversité n’est pas mise de côté, mais elle laisse une plus grande place à cette union cosmique.

L’interlude bossa nova jouée en guitare-voix par Gil entre en symbiose avec la finesse et la beauté du texte. À 80 ans, sa voix légèrement tremblotante et son jeu de guitare hésitant fut une véritable leçon pour tous les spectateurs de l’auditorium. La musique n’a rien avoir avec la performance, la technicité ou la raison. Son essence réside dans sa sincérité, ce qui poussait Archie Shepp à dire que « le pouvoir de la musique est d’exprimer l’âme qui pleure ».

Puisque pour Gilberto Gil, “la musique touche directement au cœur, pas à l’esprit”, il a continué de nous émouvoir dans son dernier morceau. En plus de faire la part belle au samba et à la fougue do Brasil, ce dernier passage de l’opéra-chanson résume bien l’ensemble de l’oeuvre, . Rien qu’avec un jeu rythmé d’onomatopées typiques de la musique populaire brésilienne, Gilberto Gil fait voler en éclats les codes de bien-séance de l’auditorium en faisant lever l’entièreté du public, qui l’accompagne en frappant dans ses mains. Le chanteur incarnant Krishna brise également la glace en se mettant à danser façon samba. Le spectacle prend alors une toute autre dimension. Le chœur et le public commencent eux aussi à chalouper leur corps sur un pas de deux. 

Un moment de grâce et d’euphorie qui nous rappelle qu’avec sa guitare et sa voix, il est capable de tout. 

 

Visuel: © Affiche Auditorium Radiofrance 

 

 

 

 

 

 

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