Musique

Freeway : à l’ombre du ROC

12 March 2010 | PAR Gary Serverian

La page Rocafella tournée, Freeway revient plus hargneux que jamais et accompagné de Jake One, sur le très prometteur Stimulus Package.

Les albums associant un rappeur à un seul et même producteur sont décidément en vogue outre-Atlantique. Après KRS One et Marley Marl ou encore Blaq Poet et DJ Premier, Freeway a décidé de collaborer avec Jake One. Et si géographiquement tout sépare le rappeur originaire de Philadelphie du producteur natif de Seattle, leur proximité musicale est évidente. D’ailleurs cet album s’inscrit dans la continuité du précédent opus de Philly Free.

Avec Free At Last, ce dernier tournait une page. Fini Rocafella. Just Blaze était “too busy”. Et Kanye West “too flashy”. Seul Bink répondait à l’appel pour venir apposer le tampon R.O.C.. Le rappeur enfonce le clou avec The Stimulus Package. A part la présence de l’équipe State Property, égrainée à travers les différents featurings, les vestiges de l’époque Rocafella ont disparu. Mais son esprit reste encore vivace. D’ailleurs Freeway se charge d’alimenter la flamme. “Ya ain’t fuckin’ with the R.O.C.”, comme il le dit. Car si la structure State Prop’ a disparu avec le label qui l’englobait, le rappeur s’accroche à ses souvenirs desquels se dégage une certaine nostalgie.

Pas étonnant alors que l’album s’ouvre en compagnie de Beanie Sigel. Sur une instru très musciale et “lay back”, qui colle parfaitement à son flow très parlé voire chuchoté. Freeway lâche le deuxième couplet et passe au second morceau. Throw Your Hands Up. Son flow hargneux et énergique se glisse derrière un beat punchy à souhait. En énumérant les groupes qui l’ont influencé, le rappeur retrace son évolution musicale. De l’adolescence à aujourd’hui. Coincé entre deux époques Freeway entend servir d’intermédiaire.

“Leaders of the new, I’m from the old school/ And I’m about to bring you people new school hip-hop you can trust”
 
Sur One Foot In, le rappeur plante le décor. Et nous renseigne sur le registre dans lequel il évolue. Un pied dans le caniveau. L’autre dans le rap. Bien qu’universelle, sa musique est avant tout populaire. Elle sent le crack, l’odeur du cuir d’une nouvelle paire de Timberland et le Philly cheese-steak. The Stimulus Package est fait pour les Range Rover qui “cruise” le long des avenues crasseuses des inner cities américaines. Par moments, Freeway recrée l’ambiance de la série The Wire.

D’ailleurs entre uzi et dosettes de cracks on se croirait plongé en plein coeur de l’équipe Stanfield. Sur deux morceaux en particulier. One Thing, d’abord. Dans lequel Freeway stigmatise ces “balances” qui, comme dirait Inspectah Deck, “talk the talk but don’t walk the walk”. Et qui mieux que Raekwon, “The Chief”, celui dont la discographie dégage des odeurs opiacées, pouvait accompagner Philly Free dans sa traque aux “mouchards”? Son flow sussuré et sa voix sombre, associés à un sample chanté et répétitif, font décoller One Thing. L’une des pépites d’un album serti de ROCs. L’espace d’un morceau on quitte les rues sinueuses de Baltimore, pour se plonger dans l’atmosphère “scarfacienne” de Product. Un peu comme Immortal Technique sur Peruvian Cocaine, Freeway nous explique comment et pourquoi l’héroïne, le crack ou encore la marijuana ont infiltré tous les pans de notre société. Du dentiste au joueur de basket en passant par certaines professions libérales, tout le monde a le nez dans la schnouf. Et particulièrement le show-biz. La coke étant la muse de l’écrivain ou du joueur de jazz. Calé derrière un beat épuré, qui s’appuie sur une boucle de piano efficace, on imagine Freeway écrire son texte depuis le jacuzzi de sa villa à Miami. Il tire sur son joint, en admirant le coucher de soleil.

Microphone Killa, le morceau suivant, permet au rappeur de briller dans un registre qu’il affectionne. L’égotrip. Accompagné de Young Chris, il met en avant son habileté à cramer du microphone. Plus “ghetto”, Sho’ Nuff, le featuring avec Bun B, reste dans le même domaine. Les deux compères y exposent leur attitude de “lascars”. Et ça rappe. Dur et bien. Sur une boucle de piano, sans doute une des mieux réussies avec celle de Product, le rapper texan prouve une fois encore que s’attacher ses services pour un featuring est un gage de qualité. Un peu comme dans How We Rock, le morceau avec Termanology, dont l’instru se rapproche légèrement, l’habileté qu’a Bun B à césurer ses rimes se révèle terriblement efficace. Mais l’égotrip n’est pas le seul style représenté. Sur Never Gonna Change, Freeway entraîne l’auditeur dans un storrytelling qui nous ramènera dans les ruelles de Baltimore. Philly Free donne aussi dans le name dropping. Puisque sur Throw Your Hands Up, il énumère les différents artistes ou groupes qui l’ont influencé. L’égotrip est cependant le registre préféré du rappeur. Puisqu’il y revient sur Follow My Moves, accompagné par le toujours très nonchalant Birdman. Sur une instru assez synthétique, ils nous donnent la définition du “hulster” de base. Qui reste la même de Philadelphie à la Nouvelle Orléans.

Freeway reprend cette “ghetto attitude”, dans Know What I Mean. Sorte de Ten Crack Commandements à la sauce Philly. En cognant aussi dur que les basses du morceau, le rappeur distille les conseils nécessaires à quiconque souhaiterait se faire une place au soleil en revendant du crack. Marché saturé au sein duquel il faut évoluer en surveillant ses arrières. A l’image de Know What I Mean, les thèmes de l’album sont assez redondants. Et c’est tant mieux. Car Freeway évolue dans un registre qu’il maîtrise à la perfection. Dés qu’il essaye d’en sortir, le rendu est moins intéressant. Bien qu’écoutable, She Makes Me Feel Alright, est sans doute le morceau le moins intéressant de l’album. Des courbes voluptueuses de ses groupies à celles de la mélodie de Freakin The Beat il n’y a qu’un pas. Sur une classieuse boucle de synthé, et appuyé par la voix enivrante de Latoiya Williams, Freeway se lance dans une lettre d’amour crue et détaillée. Lettre d’amour au hip-hop. Qui certes lui prend tout son temps. Mais l’a sorti de la rue et des ses traffics, en remplissant son frigo. Et, en période de récession, le rappeur a dressé la liste de ses priorités. Premièrement, l’argent. Sur Money, Free rappelle qu’après avoir vivoté de petits boulots en petits boulots, il n’entend pas s’esquinter le dos sur un chantier. Il compte bien vivre de sa musique et accepte les sacrifices que cela suppose ( Free People ).

“Now it’s the recession and I’m stressin/ I’m not trying to be a working man/… / I’m sure not try to do carpentry like my pop/ Big pain in the bottom of his back and he be hurting”

Conscient de son statut de privilégié Freeway clôture son album par un morceau dédié à ses fans. A travers The Stimulus Outro, le rappeur met en scène la galère du quotidien. Galère à peine soulagée par l’écoute d’un CD qui leur est destiné. Dédié. A leur tour Jake One et Freeway souhaiteraient transmettre l’énergie qu’ils ont reçue. D’où The Stimulus Package.

Si Free At Last était l’album de la maturité, celui réalisé en commun avec Jake One s’inscrit dans la continuité de la carrière d’un MC confirmé. Confirmé et émancipé. Car si Beanie Sigel s’encombre de vieilles rancunes qui le détourne de  l’essentiel, Freeway continue d’avancer. Avec ou sans Jay Z, il profite du formidable tremplin qu’a été l’époque Rocafella.

Clip de Know What I Mean 

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Gary Serverian

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