Electro
[Interview] Santoré : « trouver un équilibre entre quelque chose de très euphorique et de plus triste »

[Interview] Santoré : « trouver un équilibre entre quelque chose de très euphorique et de plus triste »

18 May 2015 | PAR Bastien Stisi

Plutôt que de s’asseoir sur un divan et de raconter à un inconnu à barbe ses souvenirs d’enfance, Santoré fait de l’electronica solaire et éthérée. Et si on peut écouter les deux premiers EP du duo (et aussi Silverado, le troisième paru en avril) en position allongée, on peut aussi surtout le faire l’esprit dans les airs, au contact de cette electronica flottante et toujours hésitante (comme le sont les souvenirs d’enfance) entre tendre mélancolie et grandiloquente euphorie. Antoine et Mathieu Gouny, frères de sang et de projet, partageront également l’affiche de la prochaine soirée Culture Perchée, qui les accueillera sur le toit du Perchoir le dimanche 31 mai prochain.

Jusqu’ici, votre projet était focalisé sur l’évocation de l’enfance que vous avez vécu tous les deux. A la vue de certains de vos titres (notamment « Morning Cartoon »), on se doute que c’est encore le cas…

Mathieu Gouny (claviers, chant) : Tout à fait, c’est complètement l’idée. C’est le thème même du projet en fait, pas un thème réservé à un ou deux EP. On aimerait évoluer encore dans ce thème-là. Là par exemple, notre musique évoque plutôt la petite enfance, à ces âges de naïveté absolue, de l’émerveillement, de la découverte des choses sans avoir forcément conscience de ce qu’il y a autour…Peut-être qu’après on parlera de la préadolescence, puis de l’adolescence…on ne sait pas encore exactement.

Il arrive parfois que des albums soient thématisés, mais qu’un projet musical soit exclusivement focalisé sur une thématique particulière, c’est extrêmement rare…

M. G. : C’est vrai que Santoré est exclusivement consacré à ça. Le fait que l’on soit frères a aussi pas mal facilité les choses. On a énormément de souvenirs en commun. Et en plus de ça, on a aussi des inspirations communes, qui se différencient toutefois…

Antoine Gouny (guitare, chant) :…oui, on a la même base, notamment musicale, mais à partir de cette base on est tous les deux partis dans des directions un peu différentes.

C’est comme ça que vous expliquez le fait que l’un se charge de la partie électronique du projet, et l’autre de la partie acoustique ?

M. G. : À la base, c’est vrai que c’est parti plutôt comme ça oui. Au départ, c’est un projet que j’ai pensé tout seul dans ma chambre, juste sur des logiciels. J’ai sorti mon premier EP de trois morceaux Sun, que j’ai posté sur SoundCloud. On m’a contacté très vite pour faire un petit live…J’ai alors demandé à Antoine, qui est guitariste en plus d’être ingénieur du son, de m’accompagner à la gratte sur scène. Et puis très vite, il a également fait partie du projet à part entière.

A. G. : Oui, et il faut bien avouer qu’initialement, je suis plutôt axé rock, jazz, pop, plutôt marqués 60-70, et que je n’ai pas tellement une culture de la musique électronique…Je m’y suis mis avec le début du projet…C’était important de comprendre le point de vue de Mathieu et donc de comprendre aussi ce qui a influencé le projet Santoré…

Et qu’est-ce qui, musicalement, a influencé le projet Santoré ?

M. G. :…je crois que j’ai beaucoup appris de Bibio (je n’aime pas tout ce qu’il fait ceci dit), d’Air, des premiers albums de Sébastien Tellier. Et puis je crois aussi être beaucoup inspiré par certains compositeurs de musiques de films, certains très connus (Morricone, François de Roubaix), et d’autres un peu moins (Rob notamment, qui compose beaucoup pour le cinéma français).

Santoré, c’est pour éviter de devoir entrer en analyse ?

M. G. : Oui c’est vrai, un peu…Au début du projet, lorsque j’en parlais à des amis, lorsque je leur disais que je voulais faire cette musique pour me remémorer des moments de joie et d’espoirs innocents qui aujourd’hui, à mes yeux, ont totalement disparus, les gens trouvaient ça très étrange, très pessimiste, très triste. Ce qui n’est pas si faux. Le projet me permet d’exprimer pleinement ces moments-là, sans aucune limite.

Pourtant, il n’est pas si triste ce son…Si c’est un spleen, alors c’est un spleen vraiment doux…

A. G. : Oui, c’est un peu l’effet voulu. Penser à ces moments-là, même s’ils sont révolus, ça procure tout de même une sensation de bien-être, même transitoire…

M. G. : On essaye de trouver un équilibre entre quelque chose de très euphorique et de très triste. Comme le sont les souvenirs en fait…

Lorsque l’on écoute Santoré, et ceci est paradoxal, on a plutôt l’impression de se trouver dans les yeux d’un enfant qui regarde (fantasme ?) la vie d’adulte, et non pas dans les yeux d’un adulte qui regarde vers l’enfance.

A. G. : C’est hyper positif que tu penses ça, c’est l’effet recherché !

M. G. : Oui, même si au niveau de la composition, c’est moins intellectualisé que ça…


Kid Wise, dont on parle pas mal en ce moment (leur premier album est sorti en février), parle également beaucoup de sa petite enfance, de son enfance, de son adolescence, surtout pour ne pas en oublier la sensation. C’est un peu le syndrome Peter Pan. C’est pareil pour vous ?

A. G. : Oui, ça nous ressemble. Je crois que l’on cherche également le rappel de la sensation, de l’émotion, plus que celui du souvenir précis. Globalement, ça reste la recherche d’un état lié au moment que l’on évoque, quelque chose d’assez flou et en même temps d’assez précis.

C’est pour ça que sur les deux premiers EP, il n’y avait pas de paroles ?

A. G. : C’est surtout parce que l’on ne sait pas vraiment chanter…

M. G. : Oui…mais il y en a désormais, on s’est lancé sur ce troisième EP. On nous a beaucoup conseillé de le faire d’ailleurs. On nous a beaucoup dit que ça manquait au début. On n’a pas mal manqué de confiance au début. Là c’est encore discret, c’est un premier essai. On va chanter en live aussi.

Et vous regardiez quoi comme cartoons le matin avant d’aller à l’école ?

M. G. : Tom & Jerry, les Razmoket, Les Tortues Ninja, Tintin, Harnold, Bibip & Coyotte…« Morning Cartoons », en fait, c’est un titre que je voulais utiliser depuis très longtemps, mais je n’avais pas eu l’occasion de le faire jusqu’ici. Ce titre-là, c’est le symbole de ces moments de plaisir hyper intenses que l’on évoquait tout à l’heure : se lever le matin et n’avoir rien d’autre à faire que de regarder des dessins animés, c’est clairement un plaisir que l’on ne peut plus trop se permettre aujourd’hui…

Il y a quelques années, Fakear me disait que selon lui, le live, même électro, se devait de « rester rock and roll ». J’ai apprécié la formule. C’est pour ça que vous tenez à emmener vous aussi de vrais instruments sur scène ?

A. G. : Je crois que c’est très juste, et c’est vrai que la formule nous parle. Preuve en est : dès qu’il a été question d’une date live, Mathieu m’a contacté pour savoir si je ne voulais pas ajouter une guitare afin de donner quelque chose de visuellement plus vivant…

M. G. : Oui, et ce même si la position reste encore un peu « bâtarde » pour nous : on essaye de trouver le bon compromis entre groupe live et live électronique

Et alors, le jour où vous vous dites qu’ il faut faire vivre en live ces percussions qui apparaissent souvent en studio, vous faites appel à un autre membre de la famille ?

A. G. : C’est marrant que tu parles de ça, parce que l’on en a justement déjà parlé de ces percus qui manquent sévèrement en live… Surtout qu’à la base, Mathieu est batteur, alors on est forcément pas mal focalisés dessus…

M. G. : Il se trouve qu’on a justement un petit frère qui fait également de la musique…Enfin c’est du violoncelle, et il a 9 ans…ça fait peut-être un peu jeune !

A. G. : Mais dans l’absolu, autant ça ne nous dérangerait pas d’inclure d’autres membres sur le live, autant sur la durée et dans le projet lui-même, ça me paraît très compliqué, surtout vu les thématiques que l’on évoque dans notre musique…

Pour les besoins du clip à venir de « Morning Cartoons », vous avez fait la démarche du clip participatif…

A. G. : On demande effectivement aux gens de nous envoyer des vidéos d’eux étant petits, avec une autre vidéo d’eux adultes rejouant la scène avec quelques années de plus…

C’est pour insister sur le fait que vous parlez de l’enfance d’un point de vue universel, et non pas nombriliste ?

M. G. : C’est exactement ça oui, et ça résonne avec ce que tu soulignais tout à l’heure : on recherche une sensation plus qu’un souvenir précis, et ce sentiment peut avoir été ressenti par d’autres.

Silverado est donc votre troisième EP. Logiquement, on attend l’album…

M. G. : On aimerait bien oui. D’autant qu’avec le thème du projet, un album serait un format idéal pour installer notre univers et l’étaler confortablement. Avec 12 ou 13 morceaux, c’est bien plus facile de construire une histoire…On pense aussi à des morceaux qui seuls, n’ont pas beaucoup d’intérêt, mais qui en auraient bien plus sur un format plus long…

En concert le dimanche 31 mai au Perchoir, dans le cadre des soirées Culture Perchée.

Santoré, Silverado EP, 2015, 20 min.

Visuel : (c) Sophie Gouny-Rampal

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Bastien Stisi
Journaliste musique. Contact : [email protected] / www.twitter.com/BastienStisi

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