David Marton adapte très librement Don Giovanni de Mozart
En allant applaudir « Don Giovanni Keine Pause » les 15, 17 et 18 octobre prochains, inutile de s’attendre à une représentation conventionnelle et académique d’opéra. Comme il l’avait déjà fait avec le « Wozzeck » de Berg présenté à Bobigny la saison dernière (voir notre critique), David Marton adapte, réécrit, déconstruit avec toupet et génie. S’il tord le cou au chef-d’œuvre de Mozart, ce n’est pas pour en faire un saccage en règle mais pour en extirper tout le plaisir et l’érotisme, toute l’ironie mordante. On retrouve ce qui nous avait séduit dans ses précédents travaux (voir aussi Harmonia Caelestis) : le mélange des genres et des tons, la liberté que prend Marton en se réappropriant une œuvre aussi grandiose et intouchable (une démarche très allemande) et l’inventivité géniale qui rend sa réécriture très surprenante, drôle et insolite .
David Marton a choisi pour décor une double chambre d’hôtel, un lieu propice à l’éveil des sens et à l’anonymat. L’idée est perspicace à la vue des évènements politiques récents… Quand entre en scène Don Giovanni, on le découvre sous les traits d’une femme, Yelena Kuljic, chanteuse de jazz, à la voix sombre et solaire, fine et brune coupée à la garçonne dans un long impair jaune et aux jambes cuirassées. Ainsi, Marton s’amuse à redoubler les possibilités d’un jeu sensuel débridé. Don Juan féminisé séduit Elvira puis Leporello, et après avoir échangé son costume avec celui de son valet, elle entreprend (en homme) Ottavio. Le propos du metteur en scène porte sur le désir et la jouissance humaine. Il insère entre les arias, non pas les récitatifs ordinaires mais des extraits du Marquis de Sade. C’est cohérent et à peine hasardeux dans la mesure où son discours sur la condition de l’homme de nature fait largement écho à la pensée des Lumières dont Mozart était intellectuellement proche et cela s’entend dans la trilogie Da Ponte. C’est aussi parfois distancié comme cette scène désopilante où on assiste à un cours de prononciation italienne sur la célèbre ritournelle « Deh vieni alla finestra » pendant laquelle l’attirance quasi magnétique pousse hommes et femmes à se grimper dessus et s’embrasser fougueusement.
Pas d’orchestre massif en fosse mais trois musiciens sur le plateau. Ils se prêtent volontiers aux emplois de figurants (l’une passe l’aspirateur, l’autre assure le room-service) quand ils ne sont pas au piano ou au synthétiseur, au violon et à la guitare électrique. Car l’approche musicale n’est absolument pas classique. Ici se mêlent voix lyrique et jazz, rock, variétés : Mozart est rejoint par la mélodie sirupeuse et guimauve du film « Love Story » ou revu sous des colorations tziganes à la Kusturica dans un final à l’accordéon.
Pour qui ne connaît pas bien Don Giovanni, la pièce paraîtra peut-être confuse (d’autant que le surtitrage laisse à désirer). Sinon, celle-ci, resserrée en 1h15, est presque trop courte alors on reprochera juste au spectacle de ne pas durer plus longtemps pour s’en délecter davantage.