Une journée pianissimo et centre-européenne à l’exceptionnel Verbier Festival
Quatre concerts officiels prévus et bien des surprises et des masterclass pour ce vendredi 26 juillet à Verbier. Trois immenses pianistes étaient au programme : Sergei Redkin, Louis Schwizgebel et Grigory Sokolov que nous n’avons pas vu pour aller aux rencontres inédites de l’Eglise pour une journée absolument magique.
A 11:00, sous un soleil merveilleux, nous avons gravi le chemin de l’église pour un récital de piano 100% russe. Intense, virtuose et terriblement expressif, Sergei Redkin nous a d’abord plongé dans Dumka, scène rustique russe de Tchaikovsky. Tout commence comme une petite mélodie simple à laquelle Redkin apporte mille nuances de douceur et déjà, une intensité qui laisse prévoir la montée que l’on vit avec le pianiste complètement habité. S’ensuit la Sonate pour piano n°6 de Prokofiev que Redkin nous livre au plus que parfait : le public retient son souffle dans l’église bouillante et plongée dans la pénombre. Dans l’allegro inaugural, le pianiste rythme pour nous emmener dans un ballet mécanique inquiétant. L’allegretto nous suspend hors du temps et l’on croit renouer avec le vivant quand le détachement du “Mentis domo” nous glace et nous attrape aux tripes. Les mouvements furieux du “Vivace final” sont un spectacle à voir autant qu’à entendre et le tonnerre de clôture laisse le public subjugué et ébahi. Une petite pause au soleil et il est temps d’entrer dans les 9 études de Rachmaninov.
A 13:30 nous avons pris les œufs du Médran et fait une petite marche pour déguster en montagne des spécialités de la région, accompagnés par un violoniste et un violoncelliste de l’académie: Huy Sing Fan et Florian Pons. Johanna Dayer (lire cet article du Temps), jeune vigneronne de la cave La Romaine nous a fait goûter plusieurs vins : de la petite Arvine de l’Heida (savarin) vieilli en fût de chêne, du Cornalin délicieusement épicé et du Tsampéhro l’un des vins stars “Grand Cru” du Valais qui mêle le Cornalin local au trio phare de bordeaux (Merlot, Cabernet franc, Cabernet Sauvignon)..2ème génération de la fromagerie de Verbier, Marc Dubosson nous a fait goûter du fromage local (tomme de Verbier, le gruyère le plus extraordinaire) avec le pain de la boulangerie familiale Michellod. Un moment suspendu hors du temps où tous les sens étaient en éveil.
A 16:00, à l’église c’était placement libre pour suivre un autre pianiste qui monte, et suisse de surcroît, Louis Schwitzgebel dans un programme Debussy / Moussorgski. Brillant, élégant et très juste dans toutes les nuances orientalisantes des Estampes de Debussy. Des nuances exotiques qu’il nous a aussi faites sentir dans les Souvenirs du Louvre avant de nous emporter vers L’Isle joyeuse. C’est cette même élégance et rigueur qu’il a mis au service du rêve éveillé proposé par Modeste Moussorgski dans ses Tableaux d’une exposition. Variant merveilleusement sur la « Promenade » dont on s’est mis à attendre le retour comme un point fixe, il a su emporter de Debussy la sensation d’exotisme qui marche très bien pour ce tourisme folklorique des tableaux. Le son est pur, le chemin lumineux et nous sommes ravis d’avoir entendu pour la première fois cet immense musicien.
Après un gros orage, notre concert du soir se passait à l’église pour le 3e volet des Rencontres inédites de cette année. Le principe ? De grands solistes se retrouvent pour former un petit orchestre de chambre et jouer ensemble. Le programme de la soirée était Mitteleuropéen, avec une petite pépite du compositeur hongrois Ernö Dohnanyi : le Quatuor avec piano en fa dièse. Devant le piano de Jean-Efflam Bavouzet, le violoniste Alexander Sitkovetsky, l’altiste Lars-Anders Tomter et le violoncelliste Mischa Maisky ont commencé ensemble avec suavité et gourmandise l’Allegro moderato. Immédiatement transportés en tanguant au cœur du Danube, nous avons adoré le piano presque jazz et le sourire complice de Jean-Efflam Bavouzet. En écho à Alexander Sitkovetsky il a créé l’émotion au début de l’adagio «schmalz » en diable avec une intensité que le violoncelliste vient encore renforcer. Unis dans la joie communicative du Scherzo le quatuor a triomphé dans l’allegro final, nous convertissant définitivement à la Hongrie et à Ernö Dohnanyi.
La deuxième parti du concert a redistribué les cartes pour un Sextuor à cordes de Dvorak où Alexander Sitkovetsky et Lars Tomer sont restés et ont été rejoints par l’altiste Blythe Engstroem, Les deux violoncellistes Frans Helmerson et Jian Wang, tous dirigés par le premier violon Joshua Bell. Dès les premières notes et l’énergie qu’elle insufflent, nous savons que nous assistons à quelque chose d’extraordinaire. Joshua Bell virevolte tout en dirigeant ses collègues, les deux violoncellistes se relaient dans des pizzicati qui forment une fluide ligne de basse. Le deuxième mouvement contient la deuxième « dumka » (danse populaire) de la journée et oui, les musiciens dansent autant qu’ils jouent pour nous. L’on retrouve ici le schmalz de la Mitteleuropa (guimauve intense et élégante), avant la montée furieuse et brillante du troisième mouvement. Le début du final repose sur les deux altos relevés par les violoncelles et nous mènent inéluctablement vers une fin que l’on aurait aimée ne jamais voir venir. Ovation méritée pour ces rencontres inédites absolument éblouissantes.
Pour finir cette journée d’émerveillement à Verbier, nous avons été invités à un dîner organisé par l’un des couples « amis » du Festival où nous avons pu discuter avec les artistes qui nous ont éblouis au concert du soir. Vins et mets italiens étaient servis dans un incroyable chalet aux multiples étages, où, sous une couverture, nous avons pu dîner sur une terrasse, juste après la fin d’une pluie rafraîchissante. A demain pour plus d’aventures musicales à Verbier.
©Visuels : YH