Classique
Un voyage musical entre Paris et Leipzig au Palais Garnier

Un voyage musical entre Paris et Leipzig au Palais Garnier

11 March 2023 | PAR Eleonore Carbajo

Une heure de musique de chambre dans la grande salle du Palais Garnier, tel était le rendez-vous classique de ce dimanche 5 mars ; au programme, le Quatuor à cordes en fa majeur de Maurice Ravel, ainsi que le Quintette pour piano et cordes en mi bémol majeur, op. 44 de Robert Schumann, interprétés par les musiciens de l’Orchestre de l’Opéra national de Paris.

Fougueuse interprétation du Quatuor en fa majeur de Maurice Ravel

Dès l’entrée dans la somptueuse salle, les partitions noires de l’Opéra National de Paris brodées en or, attendent chaque instrumentiste sur les pupitres placés en devant de scène. C’est un quatuor exclusivement féminin qui s’avance sur scène, avec Lise Martel et Louise Salmona au violon, Marion Duchesne à l’alto, et Tatjana Uhde au violoncelle ; quatre musiciennes de l’Opéra national de Paris qui nous font l’honneur de jouer ce soir dans le grandiose Opéra Garnier. Sans plus attendre, le concert débute fougueusement avec le quatuor à cordes en fa majeur de Maurice Ravel, composé en quelques mois entre 1902 et 1903, avant d’être republié en 1910 après quelques retouches. Première œuvre publiée de musique de chambre du compositeur, cette sonate s’inspire du Quatuor en sol mineur de Debussy.

L’air entêtant du premier mouvement – un Allegro moderato très doux – se propage sous les doigts de chaque musicienne, pendant que l’on retrouve des fragments et modulations de ce dernier dans les unissons entre le premier violon et le violoncelle. Chacune a une manière différente de s’approprier la composition de Ravel, le mode de jeu sobre et l’allure impassible font croire à un public non averti en la facilité de la partition, mais ce sentiment ne découle que de l’habilité du jeu des interprètes, et notamment de Marion Duchesne à l’alto. À droite de la formation, Tatjana Udhe au violoncelle nourrie l’ensemble d’un jeu passionné et d’une gestuelle très expressive ; les vibratos de la main gauche se déploient avec verve et dynamisme, l’oreille collée au manche. Ce qui lie ces diverses sensibilités, ce sont les sourires discrets, les regards appuyés et les respirations collectives qui rythment le jeu du quatuor.

Le public ne peut s’empêcher de laisser échapper des valves d’applaudissements entre chaque mouvement. C’est le deuxième d’entre eux, Assez vif, très rythmé qui rompt en musique l’enthousiasme des spectateurs. Un départ en pizzicati, ligne conductrice de la composition qui met à l’honneur les cordes pincées. Aussi beau à voir qu’à entendre, les pizz courent sur le manche des quatre instruments qui se répondent ; quand la tessiture de l’un atteint ses limites, c’est au prochain de prendre le relai. Empreint de caractère, les accents portés sur certaines notes piquent la curiosité du spectateur et signalent le génie et la modernité du compositeur. Entre deux passages staccatos, les mélodies chantées du violon se fondent gracieusement dans l’ensemble, l’usage important des sourdines amplifiant le caractère intimiste déjà présent dans la formation en elle-même.

Toute autre ambiance avec le troisième mouvement Très lent, en sol bémol majeur, qui met particulièrement à l’honneur la chaleur de l’alto, qu’il soit en position de thème ou de contre-chant. Les tenues des instruments s’apparentent au souffle d’un instrument à vent, et semblent s’éterniser à l’infini dans un seul phrasé. Harmonie et unité sont au rendez-vous, l’émotion se dégage du jeu de chacune des musiciennes, qui prennent plaisir à aller chercher toujours plus loin les pianos, les variations de nuance qu’impose cette pièce.

Le quatrième mouvement, Vif et agité, signale le retour de la composition à la tonalité principale, pour un final frénétique. Les bras se meuvent fougueusement et les coups d’archer sont rapides et précis. Un tempo effréné, mais parfaitement maitrisé qui donne à voir tout l’attirail technique des musiciennes. C’est avec panache que les archers se lèvent simultanément pour marquer la fin de cette joyeuse interprétation de l’œuvre de Ravel, tout en intensité et en crescendo !

Le quintette de Schumann, équilibre et justesse d’exécution

Sortie de scène pour les interprètes de Ravel qui font leur retour sous les applaudissements du public pour l’interprétation du quintette de Schumann, avec un effectif renforcé par Tanguy de Williencourt au piano.

Dans une lettre datant du 25 février 1843, Wagner s’adresse en ces termes à Schumann après la création du quintette en janvier 1983, dont l’interprétation au piano revient à Clara Schumann, épouse du compositeur : « Votre quintette, très cher Schumann m?a beaucoup plu […] je vois quel chemin vous voulez suivre, c?est aussi le mien, là est l?unique chance de salut ». Composé trois mois auparavant, Schumann est le premier compositeur romantique à écrire pour cette formation de chambre, influençant les œuvres à venir de Brahms ou Dvorak en musique de chambre.

L’ouverture à l’unisson présage du génie du compositeur et de la justesse d’interprétation des musiciens de l’Opéra de Paris. Le thème passe d’instrument en instrument, annoncé par le piano qui se détache humblement du tapis sonore formé par les notes tenues des cordes, avant un émouvant dialogue entre le violoncelle et l’alto, à la hauteur des émotions transmises au spectateur. Les sonorités éminemment romantiques se détachent de la partition, dans le même temps que la structure et les harmonies parfaitement en avance des cadres conventionnels de l’époque d’écriture. Les musiciens rendent compte de toute la modernité d’écriture de ce quintette d’anthologie. Les questions réponses entre les musiciennes ne forment qu’un phrasé parfaitement unifié et équilibré, comme si la tessiture de chacun était un prolongement de celle du voisin.

Là encore, le public ne retient pas des applaudissements chaleureux pendant que les musiciens partagent des regards appuyés, en l’attente des premières notes du piano et du thème de Lise Martel au premier violon, qui s’imposent dans le silence marqué qui entoure les musiciens sur scène. Quelques notes appuyées et répétitives, dans une nuance qui remplit toute la salle, sans forcer et en toute élégance : une musique de l’équilibre, une interprétation de la justesse. Tout est dans le titre de ce deuxième mouvement, In modo d’una marcia, un poco largamente en ut mineur ; une marche lente ornementée de certaines envolées lyriques qui ne la limite pas au thème principal. La fragilité lors du retour du thème, guidé par les gestes précis du premier violon, puis par l’altiste, n’est que d’apparence, car emplie de caractère. Le thème subit par la suite diverses variations et se complexifie, interprété dans un rythme différent et à un tempo plus rapide, avec davantage d’ornements et de croisements entre les instruments.

Retour de la tonalité du premier mouvement pour ce Scherzo Molto vivace en mi bémol majeur, seul extrait ternaire de ce quintette. Vivacité, rapidité d’exécution sont au rendez-vous de l’interprétation de ce court mouvement qui oscille entre des passages lents en parfaite équilibre entre les cordes et le piano, et des passages plus rapides qui préfigurent le brio du mouvement final de ce concert de musique de chambre.

Le thème du piano accompagné des coups d’archet frénétiques du quatuor à cordes, dans un Allegro brillante en mi bémol majeur ouvre la dernière pièce de ce concert en triomphe. Des staccatos aux légatos, c’est tout le panel de couleurs et techniques que nous offre ce final brillamment composé par Schumann. Les pages sont tournées avec rapidité et efficacité, les clefs du piano se reflètent dans l’instrument entre-ouvert. Un spectacle pour les yeux et pour les oreilles, qui prend fin avec des gammes ascendantes du piano, accompagné des notes tenues de la tonique et de la dominante des cordes, dans un accord parfait aussi divin que cette soirée intimiste au Palais Garnier, mettant la musique de chambre à l’honneur !

Visuel : EC

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Eleonore Carbajo

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