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Saveurs latinos à l’Orchestre national de Bretagne

Saveurs latinos à l’Orchestre national de Bretagne

20 December 2021 | PAR Gilles Charlassier

A une semaine de Noël, l’Orchestre national de Bretagne célèbre l’Amériques latine, avec un programme balayant un siècle de musique, sous la direction de Simone Mezenes. La commande passée à Gabriela Ortiz, Fractalis, concerto pour piano, est créé par le dédicataire, Simon Graichy.

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Sous le titre « Celebraçion !, un voyage musical de La Havana à Rio », l’Orchestre national de Bretagne propose une traversée du répertoire latino, sous la baguette alerte de Simone Mezenes, qui distille une jubilation festive qui vaut bien les traditionnels cotillons. La soirée s’ouvre sur l’Obertura tanguera, hommage à Astor Piazzolla d’Esteban Benzecy, compositeur argentin né en 1970 et qui vit désormais à Paris. La pièce s’articule autour d’un ostinato porté par des cordes à la densité motorique. Le souvenir de Piazzolla s’entend dans les accents chaloupés de ce perpetuum mobile, qui réserve, dans sa section centrale, un développement plus lyrique, aux confins du sirupeux, initié par un solo de violoncelle. Après cette vigoureuse entrée en matière, qui dégage une énergie irrépressible, le Prélude de la Bachiana brasileira n°4 de Villa-Lobos oppose son allure de sarabande. La sévérité puisée chez Bach se décline ici avec force sentiment, lequel se fait enveloppant. La cohérence du tutti et sa tension expressive sont calibrées avec une belle maîtrise par la cheffe italo-brésilienne. La Rapsódia negra pour piano et orchestre de Lecuona, musicien cubain de la première moitié du vingtième siècle célébré en son temps, mais depuis tombé dans un relatif oubli, signe l’entrée en scène de l’un de ses hérauts d’aujourd’hui, Simon Graichy. Le soliste franco-libano-mexicain met en avant les chatoiements rythmiques, jazz et latinos, de cette fantaisie concertante. Le sens de l’effet rend justice à la vitalité d’une pièce qui se referme sur une éclosion de virtuosité quasi improvisatrice jusqu’à un point d’orgue sur un cluster.

Après l’entracte, on retrouve le pianiste avec une élégance plus pailletée et une commande de l’Orchestre national de Bretagne à Gabriela Ortiz, compositrice mexicaine née en 1964. Le dédicataire de Fractales, pour piano et orchestre, défend avec un engagement évident ce concerto qui se souvient de Ligeti – jusque dans la construction formelle – et de son travail sur les polyrythmies et ses anamorphoses. Le premier mouvement enchaîne trois épisodes, Rios celestes, Mantra et Cristales de sal. Dans la séquence augurale, le sens de la pulsation s’affirme d’emblée, soutenu par des percussions, participant aux scintillements de la réponse orchestrale, avant un ressac plus hypnotique, interrompu par un retour à une entropie rythmique non moins fascinante. Le Mandala qui ouvre le second mouvement constitue le cœur lyrique de l’ouvrage, dans un tempo lent nimbé de mystère. Le finale, Cactus delirium, déploie un ébouriffant métissage à l’ivresse communicative. La Suite d’Estancia op.9 de Ginastera, musicien argentin disparu il y a bientôt trente ans, prolonge ce kaléidoscope de saveurs et de danses avec un panorama sonore contrasté, de la solennité des Trabajadores agricolas ou de la Danza del trigo, aux syncopes de Los peones de hacienda et à la Danza final, malambo étourdissant aux irisations françaises rappelant Bizet ou Ravel. Quant au Danzon n°2 d’Arturo Marquez, page irrésistible qui a fait le tour du monde, et est même considéré comme le deuxième hymne de son pays, le Mexique, son inimitable générosité servie avec une gourmandise perceptible, tant dans les pupitres de l’Orchestre national de Bretagne que de la part de la direction musicale, qui encourage jusqu’au swing des cuivres, offre une conclusion idéale à ce voyage latino, prolongé par deux bis, la Comparsa de Lecuona et une transcription pour piano du Danzon, sous les doigts de Simon Graichy. L’exotisme n’est pas un mauvais prétexte à la curiosité, et l’Orchestre national de Bretagne en offre l’illustration avec ce programme qui contribue avec justesse à sortir la création contemporaine des ghettos où on la voudrait laisser.

Gilles Charlassier

Orchestre national de Bretagne, scène nationale La Passerelle, Saint-Brieuc, concert du 17 décembre 2021, programme donné à Rennes les 15 et 16 décembre et le 19 décembre à Quimper.

©Laurent Guizard

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