Classique
Un salon allemand à Paris sur des instruments rares du Musée de la Musique

Un salon allemand à Paris sur des instruments rares du Musée de la Musique

01 December 2017 | PAR Victoria Okada

Dans le cadre du week-end « Orchestre en fête » sur le thème de l’orgue, la Philharmonie de Paris – Cité de la musique a organisé quelques concerts non symphoniques pour mettre en valeur plusieurs instruments : orgue, clavecin, organetto, orgue de salon…

Le concert inaugural du week-end fut donné par Aurélien Delage à l’Amphithéâtre de la Cité de la Musique, sur l’orgue Jean-François Dupont, Ifs-Caen (1994), ainsi que sur deux instruments du Musée de la Musique : clavecin signé Jean-Claude Goujon, Paris (première moitié du XVIIIe siècle) ravalé par Jacques Joachim Swanen, Paris (1784) et le pianoforte carré organisé Erard n° 1987, Paris (1791). Ces deux portent respectivement les numéros d’inventaire du Musée, E.233 et E.995.15.1.

La thématique de ce concert s’articule autour de compositeurs allemands actifs à Paris au XVIIIe siècle, qui mérite que l’on s’y attarde. En effet, c’est grâce à ces musiciens que le public parisien a pu découvrir de nouvelles tendances stylistiques, par leur présence, par diverses formes de concerts comme le Concert spirituel ou par leurs partitions. Haendel fait partie de ces derniers cas, ses œuvres instrumentales étant également publiées à Paris, dont la réédition en 1738 de son opus 3. La même année, Telemann vient s’installer à Paris pour huit mois. L’orgue du Concert Spirituel aurait vu le compositeur parcourir ses doigts sur son clavier, La transcription pour clavier (par J.S. Bach) du Concerto en sol mineur pour violon et orchestre. Après ces deux pièces sur l’orgue de l’Amphithéâtre, Aurélien Delage passe au clavecin Goujon-Swanen aux décors de chinoiserie, dans Couperin dans un Prélude pour vérifier l’accord, comme on le faisait à l’époque avant de jouer des pièces plus conséquentes, puis des morceaux de Franz Xaver Beck et de Johann Schobert. Beck, compositeur encore inconnu, était natif de Mannheim. Après avoir séjourné plusieurs années en Italie, il s’installe en France durant une cinquantaine d’années, à partir de 1760 environ à Marseille puis à Bordeaux. La Jéliote, manuscrit conservé à la Bibliothèque Nationale de France, est une pièce pleine de caractère, se référant à un chanteur créateur des grands rôles d’opéras de Rameau. La Sonate de Johann Schobert, expressive dans le « style sensible », donnant à des nuances plus prononcées, illustrant une transition entre les deux périodes, baroque et classique. Le jeu de notre musicien met accent à ces nuances, certes encore peu perceptible par rapport à notre habitude d’écoute, mais transmettant éloquemment un changement stylistique qui va suivre. Il revient dans la deuxième partie du concert sur cet instrument avec Ouverture d’Amadis des Gaules de Johann Christian Bach, le musicien le plus réputé de la dynastie Bach à cette époque.

Le clou du concert, c’est le pianoforte carré organisé Erard. « Organisé » désigne une association d’un pianoforte et d’un orgue dans un même instrument, facture qui a connu une certaine vogue en France et en Europe. Selon Aurélien Delage, le pianoforte du Musée de la Musique est l’un des deux instruments actuellement jouables en l’état dans le monde. Les jeux et registres sont actionnés par des pédales et des tirants, et la soufflerie à lanterne, par une pédale. Les mécaniques sont délicates, comme chacun peut l’imaginer avec autant de fonctionnements à la fois, l’instrument peut se désaccorder dans certaines associations de jeux, comme nous l’avons constaté au cours du récital. Mais il produit des sonorités et des effets véritablement surprenants, notamment le jeu de tympanon (vaste résonance par soulèvement des étouffoirs) pour la mécanique du pianoforte, ainsi que la possibilité de jouer sur celles de l’orgue et du pianoforte simultanément. Notre impression est un peu similaire à celle provoqué en voyant pour la première fois la polychromie projetée sur la façade d’une cathédrale : un émerveillement complet avec une nouvelle perception, totalement inattendue, s’ouvrant tout d’un coup devant les yeux. Ainsi, les Variations sur « Ah ! Vous direz-je maman » de Mozart revêt des coloris inédits, avec beaucoup plus de richesse sonore, à la fois charmante et agréablement déstabilisante. Mais nous pouvons envisager ces pièces avec autres combinaisons de jeux que ceux choisis par notre musicien, ce qui nourrit à l’infini notre imagination ! Autres morceaux joués sur cet instrument (C.P.E. Bach et Beck) sont tout aussi représentatifs pour le plaisir musical au salon à cette époque.

Les gestes fluides d’Aurélien Delage, qui font corps avec chaque instrument, créent une musicalité propre et propice au style et au caractère des pièces jouées, suscitant l’ovation générale et enthousiasmée de l’auditoire.

Programme
24 novembre 2017 à l’Amphithéâtre de la Cité de la Musique

ORGUE DUPONT (1994)
Georg Friedrich Haendel (1685-1759)
Fugue n°1 en sol mineur pour le clavecin ou l’orgue op.3 H.605 (1735, éd. Paris, 1738)
Georg Philipp Telemann (1681-1767)
Concerto en sol mineur TWV 51-g1 (transcription pour clavecin de l’original pour violon et orchestre à cordes par Johann Sebastian Bach, BWV 985)

CLAVECIN GOUJON-SWANEN (1749, 1784)
Francçois Couperin (1668-1733)
Prélude, extrait de L’Art de toucher le clavecin (1716)
Franz Xaver Beck (1723-1809)
Allegro Moderato – La Jéliote (ms. BnF, s.d.)
Johann Schobert (1740-1767)
Sonate op. 14 n°1 en mi bémol majeur, extraite de Six sonates pour le clavecin dédiées à Madame de la Valette, Paris, 1766

PIANO CARRE ORGANISE ERARD, PARIS, 1791
Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791)
Ouverture en ut majeur, extraite de la Suite K 399 pour pianoforte (Vienne, 1782)
Douze variations sur « Ah ! vous dirai-je maman » K 265 (Paris, 1778)

CLAVECIN GOUJON-SWANEN (1749, 1784)
Johann Christian Bach (1735-1782)
Ouverture d’Amadis des Gaules (1779) – transcription : Ouverture et airs de ballet détachés de la partition d’Amadis, composés par J.C. Bach, arrangés pour le clavecin ou piano-forte et harpe par N.J. Hullmandel, v. 1780

PIANO CARRE ORGANISE ERARD, PARIS, 1791
Carl Philipp Emanuel Bach (1714-1788)
Allegro di molto, extrait de la Méthode ou Recueil de connaissances élémentaires pour le forte-piano ou le clavecin de J. C. Bach/F. P. Ricci, Paris, 1786
Franz Xaver Beck
Allegro spirituoso (ms. BnF)
Allegro con spirito (ms. BnF)
Tempo moderato (ms. BnF)
Minuetto (ms. BnF)
Vivace (Sonates pour le clavecin op. 5, 1773)

Faire parler l’image pour informer : le graphisme et le VIH
Les Tests Rapides d’Orientation Diagnostique : “un outil qui permet d’atteindre une population qu’on atteignait pas avant” [Dossier Sida]
Victoria Okada

Publier un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée.

Your email address will not be published. Required fields are marked *


Soutenez Toute La Culture
Registration