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Rencontre avec Tanguy de Williencourt

Rencontre avec Tanguy de Williencourt

21 March 2020 | PAR Victoria Okada

Pour ce temps de confinement, nous reprenons notre série de rencontres à La Folle Journée de Nantes, avec toujours les mêmes questions à tous (avec quelques variantes), mais également une question supplémentaire d’actualité : comment vivez-vous le confinement ? Aujourd’hui, le 21 mars — et c’est le jour de son anniversaire ! —, le pianiste Tanguy de Williencourt qui a publié un magnifique enregistrement des Bagatelles de Beethoven (voir notre chronique du disque à la fin de l’article).

Tanguy de Williancourt dans sa loge de La Folle Journée de Nantes © V.O.

Tout d’abord, comment vivez-vous le confinement ?

Eh bien, grâce au confinement, on est obligé de cesser de courir à droite à gauche ; cela permet de se ressourcer vraiment. Moi qui ai du mal à m’y autoriser, je prends enfin le temps de lire des livres qui m’attendent depuis plusieurs années !

Comment avez-vous commencé la musique ?

J’ai commencé le piano à l’âge de 7 ans. Il y avait un piano chez mes grands-parents et j’étais assez intrigué par l’instrument. Mon grand-père jouait vaguement quelques notes et un jour je me suis dit : « Tiens ! Je vais commencer le piano ! » J’ai tout de suite adoré jouer du clavier, et je continue toujours maintenant !

Qu’est-ce qui vous a fait prendre la décision d’en faire votre métier ?

Quand j’ai commencé à suivre des cours à horaires aménagées au collège, cela m’a permis de travailler sur la musique de manière plus concentrée. Ensuite, je suis entré au CNSM de Paris à 19 ans. Cela rassurait mes parents que je sois dans une structure officielle et reconnue ! (éclat de rire).

Quelles sont les rencontres déterminantes dans votre vie de musicien ?

Ma première véritable rencontre musicale, c’était mon professeur au Conservatoire de Boulogne-Billancourt (NB : Paul-André Gaye), où je suis entré à l’âge de 9 ans. C’est drôle, car maintenant, j’enseigne au même Conservatoire, en binôme avec lui. Enseigner aujourd’hui à ses côtés est pour moi très symbolique.

Qu’est-ce qui vous a marqué chez lui ?

Il m’a fait véritablement découvrir le piano. Mais avant tout, c’est un excellent professeur ! Vous savez, quand vous êtes un gamin de 9 ans, vous découvrez tout, surtout tout un répertoire. Je pense que c’est avec lui que ma passion pour le piano s’est révélée, puis s’est construite. Pour beaucoup de musiciens, les premières années de l’apprentissage sont déterminantes, même si on ne l’évoque pas souvent.

Au Conservatoire de Paris, j’ai suivi les enseignements de trois professeurs principaux. D’abord Roger Muraro pour la classe du piano, qui a exercé et exerce toujours une énorme influence sur moi, à la fois pour le jeu et pour le répertoire ; il a une telle personnalité musicale qu’on ne pourra jamais être indifférent, ni à son jeu ni à son dévouement à la musique. Je cite bien sûr Claire Désert, pour la musique de chambre, qui est également une personnalité très importante pour moi. Inutile de dire que c’est une excellente pédagogue, pianiste et chambriste ! Enfin, la troisième personnalité déterminante, c’est Jean-Frédéric Neuburger. J’ai suivi sa classe d’accompagnement au Conservatoire de Paris quand il venait d’être nommé, encore tout jeune. Pianiste à la technique sensationnelle et compositeur — je joue plusieurs de ses œuvres —, c’est aussi quelqu’un de brillantissime et d’impressionnant. J’ai véritablement eu une grande chance d’avoir comme professeurs ces trois personnalités si variées et différentes, idéalement complémentaires.

Ce n’est pas la première fois que vous venez jouer à La Folle Journée ; racontez-moi vos souvenirs marquants, ici, à Nantes.

Écoutez ici l’émission Musique Matin de Jean-Baptiste Urbain à la Folle Journée de Nantes le 31 janvier sur France Musique, avec Tanguy de Williencourt parmi les invités

C’est ma septième Folle Journée si je calcule bien ; j’y suis venu pour la première fois l’année dont le thème était la musique américaine (NB : 2014). J’y avais joué une sonate de Nancarrow (NB : Conlon Nancarrow, 1912-1917) et une autre de George Antheil (1900-1959). Ce sont des pièces méconnues mais très rigolotes à jouer ! Cette édition du Festival était inédite, notamment au point de vue du répertoire, avec des œuvres que l’on joue très peu, ou même jamais ailleurs ; j’avais donc adoré y participer. J’ai découvert avec la musique américaine toute la Folle Journée, cette ambiance fabuleuse et effervescente, des rencontres, des contacts… Depuis, je reviens chaque année et j’adore revenir ! J’adore revenir aussi parce que je retrouve tous les copains et les collègues que je n’ai jamais le temps de voir à Paris ! Ici, on se voit, on se revoit et on se prend des nouvelles. C’est un réel plaisir.

Comment vous appropriez-vous cette Folie en tant qu’interprète ?

J’apprécie d’être ici car le fait d’enchaîner des concerts m’apprend beaucoup de choses. Lorsqu’on se prépare pour un seul concert, on est stressé pendant une semaine entière, on devient parfois anxieux ; mais, ici, on n’a pas le temps de stresser, car les concerts s’enchaînent tellement, avec des programmes si différents qu’on doit tout le temps être prêt à jouer ; cette manière d’envisager les concerts me donne plus de plaisir que de se prendre trop la tête avant le jour-J ! (rires).

Quels sont vos projets à venir, à court terme et à long terme ?

Je participe prochainement au « marathon » Beethoven avec d’autres pianistes pour les 32 Sonates à l’Auditorium de Radio France. J’en joue deux le 22 mars, avec Alexandre Kantorow et Remi Geniet. Le 28 mars, je donne un récital Beethoven à la Folle Nuit de Nîmes. Ensuite, je vais au Vietnam pour jouer le Concerto en sol de Ravel en avril avec l’Orchestre Symphonique du Vietnam à Hanoï. Au retour en France, le 25 avril à la Seine Musicale, je donne un concert Schoenberg-Wagber-Berg avec la soprano Axcelle Fanyo. (NB : Ces concerts ont malheureusement été annulés dans le contexte actuel)

Tanguy de Williencourt jouant la Sonate n° 32 en ut mineur op. 111 au Concours Beethoven à Bonn en 2017

Vous jouez beaucoup d’œuvres de Beethoven cette année ; que représente-t-il dans votre vie ?

Il représente beaucoup ! Je pense que c’est aussi le cas pour tous les musiciens, mais pour les pianistes peut-être encore davantage. De manière générale, on dit que le Clavier bien tempéré de J.-S. Bach est l’Ancien Testament et les 32 Sonates de Beethoven le Nouveau Testament. Personnellement, les Sonates de Beethoven étaient l’une des premières partitions que j’ai demandé à mes parents de m’acheter. J’en avais quelques enregistrements par Alfred Brendel, qui m’ont donné envie d’en connaître d’autres. Donc, très jeune, j’avais les deux gros volumes des Sonates de Beethoven ! Puis, je me suis vite amusé à les déchiffrer, j’étais très curieux d’y entrer. C’est ainsi que j’ai déchiffré absolument toutes ces Sonates encore enfant… Plus ou moins bien d’ailleurs (rires), ce que je n’ai pas fait pour les autres compositeurs. Et c’est là qu’est né mon goût pour le déchiffrage. Depuis, je joue beaucoup ses Sonates et, cette année, j’en mets sur scène seize, soit la moitié ! (rires) Peut-être, un jour, j’en jouerai l’intégrale… Qui sait ?

Cette année, je joue pour la première fois la Hammerklavier, la plus consistante. Et on verra pour la suite. J’ai enregistré l’intégrale des Bagatelles pour Mirare, qui est sorti en janvier. Je crois que ce disque sort des sentiers battus pour cette année Beethoven et j’espère qu’on peut découvrir et redécouvrir ces pièces magnifiques.

Bagatelles comme des joyaux

Son dernier disque constitue l’un des rares enregistrements de l’intégrale des Bagatelles de Beethoven. En effet, si des pianistes jouent en bis quelques pièces des opus 33, 119 et 126, ainsi que Für Elise WoO 56, les autres morceaux (Bagatelles WoO 52, 56, 61a) et autres pièces ne portant pas ce titre “Bagatelle” (Allegretto WoO 53 et 61, Stück für Klavier WoO 60) ont plus de chance d’être quelque peu négligés. Tanguy de Williencourt les a tous réunis ici, pour brasser un panorama d’idées musicales du compositeur. Ces idées sont d’ailleurs révélatrices dans sa création ; on sait qu’il travaillait inlassablement des motifs faits de quelques notes seulement et des rythmes simples pour les développer à l’infini. Le pianiste polit les petites perles que sont ces motifs, tantôt brutes, tantôt déjà chatoyantes, dans une interprétation tour à tour dynamique, coquette, tendre, vigoureuse… Jouée avec une rigueur qui n’entrave jamais la souplesse, comme la première Bagatelle d’op. 33 sur la première plage, dans laquelle les notes rapides (écrites) se glissent sur une basse d’Alberti régulière de manière improvisée, ou encore la cinquième pièce du même opus, où les triolets parcourent sur tout le clavier avec liberté, dans un battu précis de trois temps. Le contraste, si cher à Beethoven, est rendu de façon absolument splendide ; Tanguy de Williencourt maîtrise ainsi à merveille l’art du clair-obscur, dans une sonorité qui reste constamment vivace. La droiture de la sonorité est toujours là, même dans les moments les plus délicats, comme pour témoigner de l’énergie latente de chaque composition. Le récital qu’il a donné à Nantes avec ce programme confirmait tout cela, offrant une formidable bouffée d’oxygène. 1CD Mirare MIR492, durée 71’

Photo © Christophe Gremiot

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