Classique
Printemps de la grange, un week-end prestige de piano

Printemps de la grange, un week-end prestige de piano

26 May 2019 | PAR Victoria Okada

En un temps d’un week-end au printemps, la Grande au Lac se transforme en un haut lieu de piano, invitant quelques-uns des meilleurs pianistes actuels au monde. Une des manifestations phares de la saison évianaise en ce lieu avant les désormais très convoitées Rencontres musicales d’Évian (du 29 juin au 6 juillet), trois grands musiciens se sont produits du 17 au 19 mai dans le cadre du Printemps de la Grange. Nous avons assisté aux deux derniers concerts.

Sir Andras Schiff © Franck Juery

Récital d’Andras Schiff

Quelques échos entendus, à l’arrivée à la grange le 18 mai, sur le remplacement de Leif Ove Andsnes la veille par Lars Vogt dans les deux Concertos (les 20e et 21e) de Mozart avec Mahler Chamber Orchestra (le programme qu’ils ont d’ailleurs donné au Théâtre des Champs-Elysées le même soir du 18 mai), attisaient notre curiosité pour la suite, avec le récital d’Andras Schiff, d’autant que sa dernière apparition parisienne, avec un programme Bach, Brahms, Beethoven construit en continu comme un voyage initiatique, a été accueillie avec enthousiaste.

Le pianiste hongrois a donné un autre programme comprenant la Fantaisie « Sonate écossaise » de Mendelssohn, la 24e Sonate dite « à Thérèse » de Beethoven, Klavierstücke op. 76 et Fantasies op. 116 de Brahms, et enfin, la Suite anglaise n° 6 de J. S. Bach, sur un très bel instrument Bösendorfer « Vienna Concert » acajou que le pianiste a fait venir, préparé par Urs Bachmann.

La Sonate écossaise de Mendelssohn est probablement la pièce la plus réussite de toute la soirée. De cette partition redoutable, que même des grands interprètes tombent facilement dans le piège d’automatisme digital parfois consternant, il a tiré une expression romantique bien spécifique au compositeur : élégance des lignes, foisonnement d’idées, passion juvénile débordante… Son interprétation se joue avec de subtils dosages de dynamiques et de touchers, et crée ainsi des nuances fines et parfois éthérées, rendant à cette œuvre méconnue voire méprisée sa juste valeur. De Beethoven, on retient ces deux accords avec point d’orgue qu’il a joués en dolce si gracieux, quelques mesures avant la fin, après une séquence rythmique avec notes des pointées en série (qui reprend la formule de la mesure 3) ; ces deux accords résumaient la grâce que dégage toute l’œuvre, et c’était comme si toutes les notes convergeaient puis repartaient pour un bouquet final. Sous ses doigts, cet aspect devenait si évident qu’on découvrait la partition sous une autre lumière. En revanche, les Brahms ne sont pas dans ses meilleures interprétations. Le tempo est en général assez retenu, les mouvements vifs ne sont vifs qu’assez modérément, l’ensemble laisse sur notre faim. Cependant, dans certaines pièces portant l’indication de « grazioso » il produit de très beaux effets tout en profondeur. Il termine son récital avec du Bach raffiné où chaque détail est irrigué par une attention minutieuse. En bise, une Romance sans parole de Mendelssohn et les trois mouvements du Concerto italien de Bach, comme en condensé de la soirée avec ces deux compositeurs qui y étaient particulièrement appréciés.

Elisabeth Leonskaja
© Marco Borggreve

Elisabeth Leonskaja et Jerusalem Quartet

Le dernier soir du court mais intense week-end est servi par la grande dame du piano Elisabeth Leonskaja et le Quatuor Jerusalem, sous forme de deux récitals conjoints. D’abord, les quatre musiciens jouent le Quatuor en sol majeur op. 76 n° 1 de Haydn. Rapide, vive, énergique voire belliqueuse, l’œuvre présente un visage totalement différent de celui habituel, léger, aérien et raffiné. Leur interprétation évoque irrésistiblement le Quintette avec piano de Chostakovitch programmé à la fin du concert.

Puis, la pianiste propose la Sonate en fa majeur K332 de Mozart. C’est une interprétation comme on l’entendait chez les plus grands pianistes du 20e siècle — chez qui elle trouve assurément plus place d’honneur — mais qui vit pleinement dans le 21e siècle. Peu de pianistes maîtrisent aujourd’hui des gestes tels qu’elle se sert si efficacement, comme les mouvements de poignets qui jouent un rôle clé, pour un Mozart précis et « humain » (nous entendons par là le fait qu’au lieu de montrer quelque chose d’impeccable de bout en bout, quelques imperfections s’insèrent avec beaucoup de poésie). La poésie, même les oiseaux ont ressenti ; de l’extérieur de la salle, ils reprennent allègrement les notes délicatement trillées dans l’« Adagio »…

Après l’entracte, le Quintette de Chostakovitch est incontestablement le clou de cette soirée. L’énergie que nous avons ressentie dans le Haydn est déployée avec encore plus d’ampleur dans le « Scherzo » central. Le caractère de ce mouvement est parfaitement en adéquation avec celui du quatuor, jusqu’à oublier le temps tellement subjugué par leur dynamisme et leur engagement dans la musique. La réponse d’Elisabeth Leonskaja est immédiate ; leur dialogue est vivant, avec des moments tendres ou houleux, paisible ou violent, mais toujours en harmonie. Les sons des cordes et du piano se heurtent pour créer des tensions inflexibles, mais aussi s’entrelacent pour s’interroger les uns auprès des autres… Voilà un très beau moment d’échange dans lequel la fusion des notes prend tout un sens. Cette fusion se prolonge en bis, le « Scherzo » du Quintette avec piano de Dvrak, mais cette fois-ci avec une gaîté bien souriante.

Jerusalem Quartett © Felix Broede

 

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Victoria Okada

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