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Philippe Bernhard, directeur artistique de “Voix d’automnes” :  “La Grange au Lac cesse d’être la salle des seules Rencontres Musicales d’Evian pour assumer son propre destin” [Interview]

Philippe Bernhard, directeur artistique de “Voix d’automnes” : “La Grange au Lac cesse d’être la salle des seules Rencontres Musicales d’Evian pour assumer son propre destin” [Interview]

24 October 2018 | PAR Yaël Hirsch

Du 26 au 29 octobre, un nouveau festival se tient à la mythique Grange Au Lac d’Evian : Voix d’automne. L’Académie de l’Opéra national de Paris s’associe à ce lieu pour créer ensemble un festival d’art lyrique en clôture duquel chantera Joyce DiDonato. Philippe Bernhard, directeur artistique de la Grange au Lac et ancien premier violon du Quatuor Modigliani nous fait entrer dans les coulisses de cette première.

Ce nouveau Festival marque-t-il un peu la rentrée des classes pour la Grange au lac ? Parlez-nous un peu de ce lieu et de ceux qui le fréquentent…
C’est désormais le premier festival de la nouvelle saison 18-19 qui s’articule autour de 4 temps fort festivaliers entourés tout au long de l’année de concerts organisés et produits avec nos partenaires. Nous avons notamment accueilli le 13 octobre dernier l’Orchestre des Pays de Savoie artistes associés de la Maison des arts du Léman en résidence à la Grange au Lac.

Nous proposons aujourd’hui une cinquantaine de concerts par an… Notre projet quasi patrimonial est de “donner à voir et à entendre” la Grange au Lac. C’est un lieu unique au monde qui a les caractéristiques physiques d’une sublime salle de concert mais qui n’avait pas encore les attributs symboliques de l’institution musicale. Les Victoires de la Musique ont dès lors célébrées à la fois les 25 ans de la salle et ont marqué officiellement la mue de la Grange au Lac qui cesse dès lors d’être la salle des seules Rencontres Musicales d’Evian pour assumer son propre destin. Notre public pour la plupart vient du bassin lémanique et nos hôtels permettent d’accueillir tous les mélomanes plus lointains.

Combien de temps les voix de l’Académie de l’Opéra de Paris passent-elles sur place ? Viennent-elles avec leurs professeurs ? Comment se passent le travail et les répétitions ?
Ils sont là une dizaine de jours : une semaine de répétitions sur place et les 3 jours de concerts. C’est formidable… le lieu les inspire beaucoup et tout se passe avec une très belle énergie et une grande envie. C’est même assez festif comme toujours grâce à l’unité d’espace qu’offre l’Evian Resort. La salle étant littéralement dans le parc des hôtels Ermitage & Royal tout se passe dans les salles de répétitions des hôtels, dans la Grange au Lac, dans les jardins…. Une grande partie des équipes de l’Académie les accompagnent.

Comment faire entendre toutes les voix sur le temps resserré du festival ?
En les distribuant le plus astucieusement possible dans les différents programmes imaginés pour l’occasion !

Le spectacle d’ouverture autour de Shakespeare mis en scène par Maëlle Desquiedt ne se donne -t- il qu’une fois ? Ou pourra-t-on l’entendre ailleurs ?
Oui nous le donnons une seule fois… et c’est d’une certaine manière une ultime représentation après les 5 données à l’Amphithéâtre Bastille.

Comment avez-vous choisi Joyce Di Donato pour le concert de clôture ? Y a -t- il des échanges entre cette immense voix et les artistes de l’Académie ?
Comme dans chacun des festivals que nous organisons à la Grange au Lac, il est important pour nous d’y inviter de très grands représentants de leurs disciplines respectives. Offrir des concerts rares à notre public est bien sûr primordial, et ce qu’apportent les immenses artistes dans une programmation dépasse largement leur notoriété et l’aspect attractif de leur présence en termes d’image.
L’agenda extrêmement chargé de Joyce DiDonato ne lui permet pas de passer sur place le temps nécessaire à la création d’une interaction plus poussée avec les artistes de l’Académie de l’Opera national de Paris, mais sa seule présence est une inépuisable source d’inspiration. Pour le public en tout premier lieu, qui n’a pas tous les jours l’occasion d’écouter une immense artiste comme Joyce DiDonato, dont la présence en France est très rare. Pour les autres artistes présents durant le festival ensuite, qui jouissent de ses répétitions et de l’atmosphère particulière qui existe partout où les artistes exceptionnels posent leurs valises, même pour un temps restreint. Et enfin pour nous-mêmes, les équipes nécessaires à l’existence de ces festivals. En assistant à des moments exceptionnels de musique comme celui qui nous attend sans aucun doute lundi 29, l’ensemble des personnes travaillant à la bonne réalisation de ces événements ressentent de manière très directe la nature de cette salle pour laquelle ils donnent leur travail : un lieu de partage ouvert à tous, dans lequel les plus grands artistes mondiaux sont heureux de venir se produire.

Comment se déroule votre nouvelle vie ?
Formidablement ! Le travail que j’effectue au sein de l’équipe de la Grange au Lac est une formidable source d’inspiration, et constitue un enjeu important pour l’avenir de cette salle, qui est un joyau aussi bien musical qu’architectural. Je garde cependant un contact proche et régulier avec mon instrument car c’est un moyen d’expression dont je ne veux pas me priver car il a toujours fait partie de moi, depuis l’enfance. Une manière supplémentaire pour moi de rester pleinement connecté à mes émotions.

Est-elle plus sédentaire ?
Bien entendu, et ce n’est pas pour me déplaire. On se fait une idée un peu fantaisiste à ce sujet de ce qu’est la vie du musicien. Quand on joue une centaine de fois par an, il est très difficile de profiter pleinement des pays que l’on découvre. Bien souvent, le rythme est un peu déboussolant, et voyager pour faire des concerts représente plus une succession de choses qui n’ont rien d’extraordinaires : voyages, siestes, et repas, dont le but n’est que de préparer au moment qui compte: le concert. Les longues tournées en pays lointains ont toujours été beaucoup plus agréables que les concerts successifs et peu rapprochés géographiquement en ce sens, car elles laissent le temps de découvrir, d’ouvrir les yeux. Mais elles représentent aussi un dilemme constant car impliquent d’être loin de ses proches.

La scène ne vous manque -t- elle pas ?
C’est peut-être ce qui me manque le moins, en tout cas pour l’instant. C’est en changeant de voie que je me suis rendu compte à quel point être applaudi ne me manquait pas. Le moment du concert est extraordinaire, mais j’ai appris à l’apprécier d’une autre manière par mon nouveau métier, mais en tant que programmateur et surtout auditeur.

Quels sont les nouveaux horizons les nouvelles rencontres ?
Donner à la Grange au Lac la programmation et l’entourage (mécènes, sponsors) qu’elle mérite est un enjeu passionnant pour moi. Cette démarche est longue, et implique incessamment de nombreuses nouvelles rencontres avec des gens d’un milieu parfois différent, et bien souvent passionnants.Cet horizon est aujourd’hui le mien, et la tâche est aussi grande que belle.

Avez-vous plus de temps pour un ou deux « violons d’Ingres » hors de la musique ? »
Sur un plan très personnel, j’ai deux passions qui côtoient celle que j’ai instinctivement pour la musique. La première y est très liée, c’est celle des instruments anciens. Je m’attache à mieux les connaître, et à patiemment travailler à renouer une connexion pourtant séculaire, entre propriétaires d’instruments de collection qui sont aujourd’hui pour la plupart des mécènes mélomanes et les artistes dont le talent permet de leur donner vie sur scène. Un instrument qui dort dans un coffre où dans sa boîte est une anomalie.

La seconde n’est pas du même monde mais se rapporte aussi aux objets de collection puisqu’il s’agit des montres anciennes. Ceci me passionne depuis de nombreuses années et l’objet me fascine. Ce sont mille choses que je vois quand je regarde celle qui est à mon poignet. Une montre illustre pour moi un rapport plus complexe qu’il n’y parait au temps qui passe, mais aussi et surtout à ce que l’on en fait.

visuel : affiche de l’événement et (c) Matthieu Joffres

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Yaël Hirsch
Co-responsable de la rédaction, Yaël est journaliste (carte de presse n° 116976), docteure en sciences-politiques, chargée de cours à Sciences-Po Paris dont elle est diplômée et titulaire d’un DEA en littérature comparée à la Sorbonne. Elle écrit dans toutes les rubriques, avec un fort accent sur les livres et les expositions. Contact : [email protected]

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