Classique
Nathalie Stutzmann en résidence amoureuse chez Haendel

Nathalie Stutzmann en résidence amoureuse chez Haendel

07 June 2018 | PAR Gilles Charlassier

Avec son ensemble Orfeo 55, Nathalie Stutzmann referme la première année de sa résidence à l’Opéra national Montpellier Occitanie par un troisième et dernier concert, où la rejoint Camilla Tilling, dans un programme de duos d’amour de Haendel habilement tressés pour nous raconter une histoire… comme dans un opéra du grand compositeur saxon.

[rating=5]

Enfiler les airs de bravoure ou intensément expressifs suffit souvent à composer un programme de concert. Nathalie Stutzmann ne se contente pas de chatouiller l’applaudimètre de ses admirateurs inconditionnels, qui, pour certains, l’attendent au gré de ses pèlerinages. La contralto – et chef d’orchestre ! – française sait transformer un florilège puisé dans diverses œuvres en un authentique canevas théâtral et narratif, porté par un instinct consommé, qui s’entend juste dans sa direction, gorgée de complicité avec les pupitres de son ensemble Orfeo 55, auxquels elle confie, à tour de rôle, des préludes d’improvisation entre les numéros, dans le plus pur esprit de la pratique musicale baroque.
Après deux pièces instrumentales – l’Ouverture de Serse et la Sinfonia du début du deuxième acte d’Arminio – où s’expriment des rythmes et des couleurs gourmandes, ce Duello amoroso ouvre les agapes vocales avec un duo tiré de Faramondo, entre Clotilde et Adolfo, « Caro/Cara, tu mi accendi nel moi core », où les deux timbres se lovent dans un délicieux roucoulement que ne tardent à contrarier les caractères des deux amants. Nathalie Stutzmann amorce alors la ritournelle de « Tornami a vagheggiar », l’air de la piquante Morgana dans Alcina, que Camilla Tilling rend à sa vivacité originelle, agrémentée d’une ornementation aussi inventive qu’authentiquement haendélienne. L’entrelacs du duo de Rinaldo, « Scherzando sul tuo volto », restitue l’orage qui couve, que dramatisent les vigoureux rythmes pointés de l‘Ouverture du Concerto grosso opus 6 n°10.
La méditation pastorale de Meleagro, « Care selve », dans Atalanta, prépare la contralto française aux abysses introspectives du vaste « Scherza infida », d’Ariodante, introduit par le suspendu Adagio de la Sinfonia HWV 338. Loin de se limiter à l’abandon mélancolique, l’interprétation de Nathalie Stutzmann de cet air qui distingue la musicalité des voix féminines graves met en valeur, en synchronie avec les pupitres d’Orfeo 55, une remarquable polychromie expressive qui retrace la dynamique des tourments affectifs du chevalier trompé par une apparence d’adultère. Mais au lieu de faire de cette intense méditation sur les malheurs du cœur un finale poignant – mais égoïste peut-être – à la première partie, Nathalie Stutzmann l’enchaîne, après une Sinfonia d’Amadigi et dans l’exact esprit de son programme, avec un duo de Rodelinda, « Io t’abbracio », où l’héroïne et son amant se retrouvent dans le désespoir d’aimer, cristallisé par les deux solistes.
Après l’entracte, Camilla Tilling livre sa propre version de la détresse amoureuse. Son lamento d’Alcina, « Ah mio cor », fait palpiter la désolation et l’impuissance d’une magicienne, que l’on pourrait imaginer en maîtresse d’école dans quelque mise en scène que la soprano suédoise incarnerait idéalement. Son intelligence de l’art haendélien en fait une partenaire de choix pour Nathalie Stutzmann, qui impulse une rupture dramatique avec le valeureux « Se fiera belva ha cinto » extrait de Rodelinda. Deux morceaux instrumentaux plus tard (l’Allegro de la Sinfonia BWV 338 et le Largo du Concerto grosso opus 3 n°2), l’apaisement du « Senti bel idol mio » du Silla amorce une réconciliation que couronne, après le Vivace du Concerto grosso opus 3 n°6, le duo de Cléopâtre et Jules César, « Caro bello », finale du Giulo Cesare, qui sert aussi à cet opéra imaginaire animé par la subtil cabotinage des deux femmes et plébiscité par le public, lequel sera gratifié par deux bis

Duello amoroso, Opéra national Montpellier-Occitanie, 4 juin 2018

© Simon Fowler

Carolyn Carlson : une superbe exposition de ses dessins à la Galerie du Jour Nomade, chez Agnes b
Thinking Things de Georges Asperghis ouvre le Festival Manifeste au Centre Pompidou
Gilles Charlassier

Publier un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée.

Your email address will not be published. Required fields are marked *


Soutenez Toute La Culture
Registration