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[Live-report] “War work” par Michael Nyman, impressionnante oeuvre de mémoire à la Cité de la Musique

[Live-report] “War work” par Michael Nyman, impressionnante oeuvre de mémoire à la Cité de la Musique

16 November 2014 | PAR Yaël Hirsch

Dans le cadre du cycle “Guerre et paix”, la Cité de la musique donnait à entendre ce week-end la très récente création de Michael Nyman sur la Première Guerre mondiale. Un oeuvre totale où le compositeur propose au cœur de sa musique 8 poèmes de poilus mis en “chansons”, une musique puissante et grave, ainsi qu’un un film fait d’images puisées dans les archives de plusieurs pays européens. Une oeuvre bouleversante, solennelle et vraiment européenne.

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Alors que la Michael Nyman Band commence à jouer une mélodie si reconnaissable du compositeur qui joue et dirige depuis son piano, la soprano Hilary Summers arrive sur scène blessée, avec une béquille; elle est grandement applaudie. L’écran nous annonce avant tout “un film” de Michael Nyman. Ce War Work est un tout, où les images d’archives choisies par Nyman qui se répètent parfois sont au cœur  du concert. L’écran annonce aussi 8 chansons, variations de Michael Nyman sur certaines grandes œuvres classiques greffées et réinventées à partir de poèmes d’artistes ou poètes allemands, anglais, français, alsaciens et hongrois, qui ont connu l’expérience du front et y sont presque tous morts. Instrumentale, l’ouverture se prolonge et nous plonge dans l’univers solennel de Michael Nyman, tandis que nos yeux font face à l’horreur : des images de “gueules cassées” en train d’essayer des prothèses pour retourner vivre dans la vie civile.

Alors que les répétitions se précisent dans un deuxième mouvement et que les cuivres commencent à percuter le public, l’on voit la seule image du front : trois corps de soldats morts ou endormis parfaitement alignés. Paradoxalement, alors que la musique harmonieuse et puissante de Nyman recadre la Première Guerre mondiale dans un canevas narratif continu et qu’il parvient – aidé de la voix magnifiquement profonde de la contre-alto Hilary Summers- à donner le sens d’une messe solennelle à des poèmes épars d’artistes sacrifiés, les images choisies pour le film tournent autour de la guerre sans jamais en atteindre le centre : on voit les soldats à l’entraînement, la parade des muscles et les entraînements au tir, on voit l’arrière avec les photos des enfants jouant aux soldats rue Greneta de Léon Gimpel. On voit les gueules cassées d’après la guerre, on voit aussi le lien entre les orages d’acier et une vibrante modernité à la Métropolis, avec des focus sur le tableau “Carousel” de Mark Gertler et une usine de poupées… Mais la guerre elle-même plane comme une ombre.

On entre avec effroi dans la composition de Michael Nyman à la fois terrible et sensuelle, effroyable et glorieuse et l’on se laisse porter par le rythme et le grondement qui montent, pour atteindre un sommet absolument enivrant dans la première chanson, où Hilary Summers ne fait que gronder les mots du poème expressionniste de August Stramm sur l’archétype de la mot (Urtod). 8 chansons après, lorsque le film s’arrête, peu après un mur de citations jeunes gens morts au front, c’est cette chanson qui vient clore l’écran noir d’un mémorial rappelant la victoire de cette mort et le règne noir de la terre qui a enseveli les corps d’une génération de jeune gens sacrifiés.

Lorsque Hilary Summers, Michale Nyman et les musiciens saluent, la salle passe doucement du silence le plus attentif à des salves d’applaudissements. Ce dernier sont si chaleureux et si profonds qu’un bis est donné. Messe laïque et bouleversante, War Work ramène à un présent brûlant le sacrifice d’une génération et laisse la question en suspens de savoir si une civilisation a été ensevelie dans les tranchées où si les mots des jeunes poètes et les compositions de Rossini, Beethoven, Schubert Franck et tous les autres grands européens que Nyman a “samplés” sont encore de vivantes manières de donner une forme à l’informe et de (re)construire. Un très grand moment de musique, de mémoire et d’espoir.

visuels : (c) sheila rock & yael hirsch

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Yaël Hirsch
Co-responsable de la rédaction, Yaël est journaliste (carte de presse n° 116976), docteure en sciences-politiques, chargée de cours à Sciences-Po Paris dont elle est diplômée et titulaire d’un DEA en littérature comparée à la Sorbonne. Elle écrit dans toutes les rubriques, avec un fort accent sur les livres et les expositions. Contact : [email protected]

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