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Messiaen au Pays de la Meije : continuité et diversité

Messiaen au Pays de la Meije : continuité et diversité

01 August 2019 | PAR Gilles Charlassier

Prenant le relais du fondateur Gaëtan Puaud, Bruno Messina ouvre sa première édition du Festival Messiaen au pays de la Meije, au titre presque militant, « Pour les oiseaux », en conjuguant l’exigence artistique qui constitue l’identité même du rendez-vous alpin de musique contemporaine, et curiosité envers d’autres formats et répertoires qui enrichissent la connaissance du corpus et de l’héritage de Messiaen. Le week-end d’ouverture en témoigne.

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Il peut sembler un peu paradoxal d’ouvrir le Festival Messiaen au pays de la Meije hors du massif alpin où depuis plus de vingt ans, Gaëtan Puaud, célèbre l’oeuvre du compositeur français et, plus largement, le répertoire d’après la seconde guerre mondiale. Également à la tête du Festival Berlioz, Bruno Messina, qui a pris la relève, a choisi de programmer « hors-les-murs » la journée augurale de sa première édition, dans l’esprit même de ce qu’il propose en ouverture de festival à La Côte-Saint-André, où découverte et ambiance festive sont les maîtres-mots. Avec la Maison Messiaen, résidence d’artistes dans un environnement pastoral et lacustre privilégié à Saint-Théoffrey, aux confins du Dauphiné, qu’il a sortie de la torpeur où le legs du compositeur avait sombré, Bruno Messina dispose d’un lieu chargé de symboles pour élargir la connaissance du musicien français et de son héritage, autant qu’attirer un public nouveau que le label « musique contemporaine » pourrait inhiber.

Intitulé de manière quasi militante « Pour les oiseaux », ce cru 2019 défend aussi une ouverture ethnologique sur le patrimoine et la création latino-américaine, en invitant, en une résidence parallèle à celle de Michaël Levinas, Alejandro Iglesias Rossi et son Orquesta de instrumentos autóctonos y nuevas tecnologías, lesquels développent un contrepoint entre traditions amérindiennes et explorations électroacoustiques, où la recherche sur la facture instrumentale ne se fige pas dans la reconstitution muséale, mais nourrit l’écriture contemporaine, enracinée dans un passé qu’elle réinterroge. Si l’on retrouvera l’ensemble au fil de la semaine au cœur du pays de la Meije, la journée d’ouverture offre un aperçu de l’originalité de la démarche du chef argentin et de ses musiciens. En miroir du concert de fin de matinée dans le jardin de l’église de Saint-Théoffrey, celui de l’après-midi met en évidence un travail inventif sur un corpus balayant plusieurs siècles de musique où se métissent les témoignages autochtones et la colonisation hispanique. A rebours de l’austérité vestimentaire occidentale, les interprètes assument masques et costumes très colorés, sinon folkloriques, où l’on devine, entre autres, au milieu de la fièvre rythmique d’un rituel, la face d’un condor, emblème si l’en est du monde andin. Loin de se confiner à l’exotisme, c’est d’abord le dialogue fécond entre des univers hétérogènes que célèbre un florilège à la séduction irrésistible, où se mêlent sonorités gutturales et psalmodies mélodiques dans une proximité avec les chants bruts de la nature que n’aurait pas reniée Messiaen.

Dans l’église de Saint-Théoffrey, Nathalie Forget présente, juste avant ce concert en plein air, un panorama du répertoire varié d’un instrument rare que l’auteur de la Turangalîla-Symphonie et de Saint-François d’Assise (on entendra un extrait de chacun) a défendu, les ondes Martenot. Peu nombreux sont les ondistes : les classes dans les conservatoires se comptent sur les doigts d’une main, et les pays qui lui consacrent un cursus encore davantage. Cette petite boîte semblable à un clavier et nourrie à l’énergie électrique produit un son chatoyant, aux timbres variés qui peuvent aller jusqu’à la vigueur percussive, et que la soliste française fait chanter avec une admirable inventivité, au gré de miniatures faisant contraster les esthétiques, sans faire l’impasse sur la thématique ornithologique. Les expérimentations de Density 21,5 de Varèse ou Froissements d’ailes de Levinas voisinent avec les séduisantes Sirènes de Koechlin, plus proches des habitudes tonales. Avec Oiseau-Lune, Nathalie Forget dévoile sa facette d’improvisatrice-compositrice, qui aime s’immerger dans les potentialités de l’instrument en jouant avec les effets sur les hauts-parleurs, que l’on reconnaît également dans Flux, travail à partir d’une partition de Judith Ring. Avec l’accord de Régis Campo lui-même, la soliste exhume une page de jeunesse que le compositeur pensait avoir perdu, Làn Song, toute de douceur orientalisante, quand les Castafioritures de Monic Cecconi-Botella font vibrer des nuées de pépiements. Mentionnons encore des animations musicales à l’heure des repas, et la projection du film de Jacques Perrin et Jacques Cluzaud ; l’esprit transversal de cette première journée se prolonge tout au long du festival, à l’exemple de la rencontre avec la philosophie Vinciane Despret, autour de l’élaboration territoriale des oiseaux, le lendemain au Jardin du Lautaret.

Le renouvellement dont témoigne la première programmation de Bruno Messina ne fait pas pour autant l’impasse sur la continuité, jusque dans les habitudes d’après-concert, le moment de convivialité que constitue la tisane dans le local de l’école communale. Ce premier concert dans l’église de La Grave, épicentre du festival, concrétise un projet initié par Gaëtan Puaud, une commande passée à Benjamin Attahir, A criança em ruinas, sur un poème de José Luís Peixoto. Accompagnée par le piano sensible de Yoan Héreau, Raquel Camarinha décline avec délicatesse les ondulations affectives d’un cycle scandé d’intermèdes instrumentaux. Parfois aux confins du souffle, la ligne vocale met en valeur l’intimisme d’une inspiration qui ne renonce pas au déploiement mélodique, sans avoir besoin de céder à de stériles facilités, et sait composer, avec son partenaire, de belles et évocatrices alchimies de timbres et de couleurs, au plus près de la narration. Si certains préféreront des voix plus amples pour les Chants de Terre et de Ciel de Messiaen, l’attention au texte cisèle une interprétation concentrée, avec une dramatisation économe et intelligente. Après les miroitements d’arpèges d’Ondine, un des trois numéros de Gaspard de la nuit de Ravel, que Yoan Héreau déploie avec une maîtrise indéniable, l’étendue des moyens expressifs de la soliste s’affirme dans le recueil de Crumb, Apparition, mélodies et vocalises élégiaques, où elle fond les mots dans des chatoiements et des camaïeux où se résument les intentions de la partition. Enjambant les frontières administratives, départementales et régionales, Bruno Messina assure une relève fidèle et dynamique du Festival Messiaen au Pays de la Meije. Ce week-end d’ouverture en offre l’éloquente illustration.

Gilles Charlassier

Festival Messaien au Pays de la Meije, Saint-Théoffrey, juillet-août 2019

©Festival Messiaen

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