Classique
[Live report] Jeux d’eau à la Philharmonie, d’Hélène Grimaud

[Live report] Jeux d’eau à la Philharmonie, d’Hélène Grimaud

24 January 2015 | PAR Stéphane Blemus

Pour le premier récital de piano à la Philharmonie de Paris depuis son inauguration, mardi 20 janvier, Hélène Grimaud a invité l’auditoire à une balade musicale sur le thème de l’eau. Pied marin requis pour un concert fleuve enivrant.

Au lendemain du concert de Daniel Barenboïm et du West-Eastern Divan Orchestra, et de ses sonorités affleurant les côtes méditerranéennes, la performance d’Hélène Grimaud s’est éloignée du rivage pour aller à la rencontre des bourrasques, torrents et tsunamis.

La Grande Salle de la Philharmonie était baignée pour l’occasion dans des tonalités de lumière bleutée qui lui donnait des reflets océaniques. Une atmosphère soulignant par avance que le nouveau programme de la célèbre pianiste était dédié à un élément fondamental : l’eau. Il fallait, pour cette plongée dans les profondeurs maritimes, un capitaine de vaisseau capable de guider un public parisien noyé dans les tracas du quotidien. Un public encore au rendez-vous ce soir-là dans le nouveau temple est-parisien de la musique classique, patient quoique bouillonnant sur les berges de la salle de concert. Positionné idéalement à fleur d’eau, à quelques mètres de la scène, j’attendais avec tous les spectateurs l’entrée en scène d’Hélène Grimaud. Lorsque l’artiste est enfin apparue, un projecteur s’est illuminé pour suivre la trajectoire jusqu’à son piano de la prophétesse au vêtement blanc immaculé.

Le son de Jonas depuis le tréfonds de la baleine

La première partie du récital d’Hélène Grimaud a émergé comme une lame de fond. Longue, subtile, pénétrante. Une succession de courts morceaux, comme autant de vagues se déversant à nos pieds et nous soulevant par-delà nos sièges. L’exploration des références aquatiques dans la musique classique a été en profondeur : pas moins de huit compositions du répertoire ont été jouées sur ce thème. Huit compositions à travers les deux siècles derniers, écrites entre le 19ème des impressionnistes et le 20ème contemporain. Huit compositions à travers les frontières, du Japon de Toru Takemitsu à l’Andalousie d’Isaac Albéniz en passant par la Moravie de Leoš Janácek.

Hélène Grimaud a joué de toutes les gammes aquatiques. Pour commencer, le Wasserklavier de Luciano Berio (1965), troisième mouvement de la série Six encores publiée en 1990, a plongé la salle dans une candeur de Renaissance transalpine réinterprétée. L’eau y a été célébrée par l’artiste, délicatement, à mesure qu’ont perlé les notes du clavier. Son doigté a laissé la place suffisante aux nombreux silences de la composition. Dans ces moments de quiétude, entourés par sonorités et éclairages aquatiques, la Grande Salle avait l’apparence de l’intérieur d’un gigantesque poisson.  Une baleine au sein de laquelle auraient naufragé un piano, son propriétaire et de nombreuses âmes égarées. Au cœur du cétacé philharmonique, Hélène Grimaud semblait hors du temps. Jonas au féminin jouant les mélodies du fond des océans.

La mue de cette eau en pluie, ondées et giboulées s’en est suivie avec le titre Rain Tree Sketch II de Takemitsu (1992). Après une ouverture rythmique obsédante, Hélène Grimaud a restitué avec brio le langage tonal du musicien japonais. A l’image de cet « arbre de pluie » aux sources poétiques – l’œuvre du Prix Nobel de littérature japonais Kenzaburo Oé –, les sons irréguliers et aigus sortis de l’instrument à cordes frappées ont paru tomber comme des gouttes sur le flanc de la Grande Salle et ruisseler le long des murs. La perméabilité de la Philharmonie aux frémissements marins s’est accentuée ensuite avec la Barcarolle n°5 de Gabriel Fauré (1894). Le jeu d’Hélène Grimaud a semblé alors produire le bruit du mouvement d’une gondole, tanguant et clapotant parmi les ruelles immergées de Venise. Le terme de « barcarolle » fait d’ailleurs référence au chant des bateliers italiens parcourant la cité vénitienne. Pas de véritable thème principal dans ce morceau, mais un appel au voyage vif et enjoué.

Les impressionnistes, des sourciers parmi les jardins de pluie

Vint ensuite la douceur des Jeux d’eau des Liszt et Ravel. Avec Liszt, la mélodie a tourbillonné dans les méandres de bassins, de cascades et d’étendues d’eau. L’éclat du martèlement des touches s’est révélé bruineux, les deux thèmes lyriques des Jeux d’eau à la villa d’Este (1877) jaillissant alternativement, par petites touches, en fin crachin. Une féérie ludique, arpégisante, à laquelle la pianiste a rendu son insolence juvénile. Héritier de l’avant-gardiste Franz Liszt, Maurice Ravel a puisé dans un îlot de sérénité ses propres Jeux d’eau (1901). Le doigté faussement nonchalant d’Hélène Grimaud a créé le mouvement impétueux d’une ondée de notes projetées en l’air. Éclaboussantes et sillonnant le sol.

Ces Jeux d’eau furent accompagnés et liés par une plongée dans l’Espagne andalouse d’Isaac Albéniz. Cette suite pour piano, nommée Almeria (1906), cède à la tentation des poèmes chantés – les « coplas » – et du fandango, et des rythmes folkloriques de la taranta et de la jota. Le compositeur exilé recrée une Espagne fantasmée, romantique et lumineuse, par cette ode à l’Andalousie, à ses charmes latins, et à son port d’Almeria tourné vers la Méditerranée. Cette chaleur ibérique a laissé place, lors de l’interprétation suivante, au trouble nostalgique de Janácek. Par cette œuvre, Dans les brumes 1 (1912), Hélène Grimaud nous a guidé à travers le brouillard de l’esprit du musicien tchèque, dans un morceau aux intensités fluctuantes et virant au flot d’arpèges.

La dernière œuvre aquatique de la soirée fut de Claude Debussy. Nous avons retrouvé le rythme non linéaire des côtes bretonnes, dans La Cathédrale engloutie (1910). Dans ce prélude, la ville légendaire d’Ys nous ouvre ses portes. Une Atlantide bretonne submergée par les flots. L’atmosphère reste donc dans la brume. Les cloches retentissent, la cathédrale est temporairement à l’air libre, avant de replonger sous la surface. Dès les premières mesures, une certaine monumentalité s’installe. Le temps semble figé et immuable, gravé dans le marbre de cet édifice mythique retenu dans l’abîme. L’aspect contemplatif de l’œuvre est moins marqué dans l’interprétation de Grimaud. Son jeu n’en est pas moins étincelant pour autant.

Brahms en amont et en aval

Après cette longue envolée sur l’inspiration aquatique des artistes classiques, un entracte bienvenu pour se réhydrater et étancher sa soif d’eau pour la soirée. Au retour à sa place, la scène est colorée différemment. Le bleu a laissé sa place à la couleur bois naturelle de la Grande Salle. La seconde partie est toute entière réservée à l’ample et dramatique Deuxième Sonate de Johannes Brahms.

Avec Sonate n° 2 (1852), Hélène Grimaud conclut à la perfection cette soirée. Le concert avait débuté avec un mouvement de Berio s’inspirant de Brahms. Voici que ce dernier s’invite pour clore le spectacle. Ecrite alors que Brahms n’était qu’un jeune homme de dix-neuf ans, cette sonate dédiée à Clara Schumann est connue comme l’une des moins brahmsiennes dans le style, la plus schumannesque, et n’est pas la sonate du musicien la plus célébrée par la critique. Il fallait tout le talent d’Hélène Grimaud pour faire ressortir le caractère extrêmement audacieux et toute la qualité technique et rythmique de cette création. L’Andante fascine, le Scherzo surprend et le final étonne par la maturité d’écriture d’un si jeune artiste. Une interprétation exaltante.

visuel: philharmonie de Paris

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