Les Cris de Paris ont fait revivre l’Italie des XVII et XVIIIèmes siècles à Ambronay
L’ensemble dirigé par Geoffroy Jourdain a su faire revivre un moment-clé entre musique spirituelle de la Renaissance et baroque. À l’abbatiale d’Ambronay, les choeurs ont résonné des Crucifixus polyphoniques et de nombreux autres morceaux chantés lors des célébrations de l’époque.
Le programme intitulé “Passions vénitiennes” a notamment permis de réentendre Monteverdi, l’un des pères du baroque italien comme jamais. Terminant un line-up baroque de grande tenue, le compositeur italien a bénéficié d’une interprétation remarquable de son Beatus vir (“Louez l’Éternel!”). Plusieurs des pièces jouées ce soir-là étaient d’ailleurs, comme celle-ci, tirées du Selva Morale e spirituale, recueil d’œuvres baroques sacrées composé par Monteverdi. Grand connaisseur du répertoire de ce dernier comme nous avions pu l’entendre avec son Orfeo à l’Opéra de Paris, le chef d’orchestre Goeffroy Jourdain dirigeait l’ensemble avec son dynamisme habituel.
Les morceaux choisis donnaient un aperçu de la musique sacrée vénitienne des XVIIe et XVIIIe siècles, –en somme un condensé d’une époque charnière. En effet, c’est à ce moment-là que la musique jouée dans les églises acquiert une véritable théâtralité. Le langage musical reste certes rigoureux, soumis au règles du chant polyphonique, hérité de l’ars perfecta de maîtres comme Palestrina. Cependant il évolue vers des ornements et une sensibilité nouvelle sous l’influence de l’opéra, qui vient de naître en terre italienne précisément. L’émotion, l’illusion théâtrale et la virtuosité s’invitent au cœur du sacré. Les auditeurs en eurent un très bel exemple avec la soprano Michiko Takahashi interprétant Hor ch’è tempo di dormire (“Maintenant qu’il est l’heure de dormir”) de Tarquinio Merula. Elle sût rendre la grâce et l’émotion, intime et profonde, de ce chant exprimant la douleur de la Vierge devant la mort de son fils, le Christ, évoqué avec tendresse comme un jeune enfant s’endormant.
La musique instrumentale est par ailleurs en train de prendre une grande place à cette époque. Accompagnant les voix avec le caractère propre de leur instrument, les musiciens soutiennent le chant, lui conférant une ampleur peut-être encore jamais atteinte dans l’histoire de la musique sacrée. C’est ce moment charnière qui a été merveilleusement rendu lors de ce concert par les musiciens de la formation des Cris de Paris. Le théorbe donnait une coloration unique à l’ensemble, notamment lorsqu’il marquait le tempo grave et répétitif de Hor ch’è tempo di dormire. Les violes de gambe, les violoncelles ainsi que la contrebasse étaient remarquablement mis en valeur dans les différents morceaux. Les instruments à vent semblaient littéralement donner un souffle divin aux pièces…pour reprendre le fil rouge de cette édition d’Ambronay, “Vibrations : souffle”. Les pièces jouées sur instruments d’époque ressortissaient principalement du répertoire liturgique bien que quelques pièces profanes y faisaient néanmoins écho, comme ce Hor che’l ciel e la terra (“Maintenant que le ciel, la terre”) -toujours de Claudio Monteverdi- inspiré de Pétrarque. Les auditeurs y trouvèrent une continuité surprenante : les deux registres, sacré et profane, relevant d’une même sensibilité, qui marquât visiblement l’époque. Le répertoire choisi ce soir-là en traduisait l’âme, entre expression des sentiments intimes et louange du divin exprimée par la communauté.