« L’Enfant et les sortilèges » à la Philharmonie : une soirée enchantée
La fantaisie lyrique créée en 1925 ne perd toujours pas de son originalité et fut magnifiée mardi et mercredi dernier lors des deux représentations à la Philharmonie de Paris. Ces soirées s’inscrivent dans une tournée débutée à Stockholm et se poursuivant à Londres, faisant ainsi voyager L’enfant et les sortilèges à travers le monde, emportant dans les bagages un plateau de rêve : Omo Bello (la pastourelle, la chouette, la chauve-souris), Sabine Devieilhe (tout juste auréolée de son titre d’artiste lyrique de l’année dans les rôles du feu, du rossignol et de la princesse), Julie Pasturaud (la bergère, un pâtre, l’écureuil, la chatte), Hélène Hébrard (l’enfant), Elodie Méchain (la mère, la tasse chinoise, la libellule), François Piolino (la théière, la tasse chinoise, la libellule), Jean-François Lapointe (l’horloge comtoise, le chat) et Nahuel Di Pierro (le fauteuil, l’arbre), le tout sous la baguette du chef Esa-Pekka Salonen et dans le cocon de la nouvelle Philharmonie de Paris.
Avant de goûter à la fantaisie de Ravel, nous avons droit à la version du ballet intégral Ma mère l’oye en prémices de cette soirée. L’acoustique de la salle aidant, les nuances de l’orchestre sont phénoménales, plongeant dans des pianissimi d’une extrême douceur, à peine un murmure, puis affolant de plaisir nos pavillons dans des fortissimi d’une grande maîtrise. On voit ici la patte d’Esa-Pekka Salonen qui donne toute sa dimension à la partition de Ravel et rend évident son aspect de conte enfantin. Le premier violon, Roland Daugareil, se démarque du reste de l’orchestre de Paris par une implication dans son jeu, totalement absorbé par la musique, tant dans les parties orchestrales que durant ses soli. La harpe, de son côté, rend merveilleusement dans cette salle où on a l’impression de l’entendre à nos oreilles. Fermez les yeux, et vous vous retrouvez au milieu des vents. Une véritable redécouverte de ce ballet.
La deuxième partie est bien sûr L’enfant et les sortilèges. L’ensemble des interprètes vient donc rejoindre le reste de l’orchestre après l’entracte, chacun prenant place sur une chaise, les rôles masculins (y compris l’enfant) côté cour, les rôles féminins côté jardin. On pourrait craindre qu’avec une version de concert, la compréhension de l’œuvre soit fort délicate au vu des nombreux personnages fantaisistes de l’histoire. Les conséquences de la mise en scène en version de concert est en réalité toute autre : chaque chanteur détient plusieurs pancartes à ses côtés, chacune indiquant le nom d’un des personnages qu’il joue. Ainsi, avant chaque prise de parole, il lève et tourne celle qu’il convient avant de prendre place vers le centre de la scène.
On sent d’ailleurs un véritable jeu d’acteurs, comprenant le sens ludique de ce mot : ils s’amusent et prennent plaisir (du moins le ressent-on) à réellement jouer ce qu’ils incarnent. Nous voyons donc une moue boudeuse de petit garçon sur le visage de Hélène Hébrard qui traîne les pieds en s’avançant au tout début de l’œuvre, et qui n’hésite pas à tirer effrontément la langue pour marquer son désaccord avec sa mère. Le duo des chats est, quant à lui, hilarant et les miaulements de Julie Pasturaud sont phénoménaux de réalisme. Chacune de ses interventions est d’ailleurs marquée par une implication agréable et surprenante, peut-être davantage encore que ses camarades de scène, allant jusqu’à faire mine de se laver les oreilles à la manière du félin qu’elle incarne. Omo Bello, toutefois, est la seule à sembler en retrait par rapport à ses personnages. Autre bémol plus gênant dans cette belle soirée : l’acoustique si agréable pour les instruments devient handicapante pour les voix qui peinent à se faire entendre malgré les efforts déployés par les artistes. Certainement quelques réglages encore à effectuer dans cette salle qui sent toujours la peinture…
Ainsi, entre ce système de pancartes et les jeux des interprètes, le public se retrouve tel un enfant à qui l’on conterait une histoire, merveilleusement appuyée par la musique. Le choral sacré final prend une ampleur véritablement religieuse dans l’acoustique de la salle et borde les enfants que nous sommes devenus, ne souhaitant pas de fin à cette histoire fantastique.