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“La Passion selon Saint Jean” : Le Calvaire du Christ à son paroxysme par Calixto Bieito et les Talents lyriques au Théâtre du Châtelet

“La Passion selon Saint Jean” : Le Calvaire du Christ à son paroxysme par Calixto Bieito et les Talents lyriques au Théâtre du Châtelet

19 May 2021 | PAR Yaël Hirsch

La mise en scène par l’espagnol Calixto Bieito de la Passion la plus âpre de Jean-Sebastien Bach (1724) devait jouer du 10 au 13 mai pour le grand public sur la scène du Châtelet. C’est avec quelques professionnels que nous avons pu voir ce chef-d’œuvre, dirigé par l’exigeant maestro Philippe Pierlot et qui sera diffusé pour le public sur OperaVision à partir du 4 juin pour 6 mois. 

Vendredi Saint dans une distribution grandiose

Traditionnellement, La Passion selon Saint-Jean était jouée à Leipzig chaque année pour le Vendredi Saint. Nous, c’est juste avant l’Ascension que nous avons pu assister à la captation de l’œuvre au Théâtre du Châtelet. Cette deuxième session a duré deux heures, avec des images d’une beauté époustouflante et une exigence musicale qui touchait à la ferveur. D’entrée de jeu, alors que les Talents Lyriques occupent la scène, et que le chœur de Paris (40 solistes amateurs absolument bluffants) occupe les sièges du parterre, une femme est tiraillée entre deux cordes et semble crucifiée (la soprano Lenneke Ruiten). Jésus (sculptural et charismatique Benjamin Appl) s’approche d’elle avec une sensualité qui n’adoucit en rien le calvaire époustouflant et lancinant que nous allons suivre pendant trois heures (deux heures et les reprises). La mise en scène épurée, contemporaine et néanmoins habitée par 2000 ans de tradition iconographique joue des costumes contemporains et d’une vraie prise de possession de tout l’espace du Théâtre. Jean, notre narrateur, incarné par la voix cuivrée et l’aplomb irrésistible de Joshua Ellicott, arpente les balcons et aussi la scène pour nous faire revivre la vie et la mort du Christ. En Pilate, Andreas Wolf est particulièrement inquiétant et presque “bourgeois” dans son costume. L’alto Carlos Mena nous fait bien sentir l’effroi qu’a pu susciter le calvaire. Et provoquant l’ire de la foule, Robert Murray est magnétique. 

Une mise en scène éblouissante et sacrée de la Passion

Du sang coule, de la chair se frotte pour dire la séduction et la foi de manière concrète et néanmoins, le tableau est terrible, austère, implacable : le Christ meurt pour sauver l’humanité. Alors que les Talents Lyriques nous propulsent dans l’Histoire avec un grand H, tissant un lien entre le temps du Christ, celui de Bach et le nôtre et que la direction extrêmement exigeante de Philippe Pierlot, qui n’hésite pas à également orchestrer le chœur ou prendre la viole de gambe pour s’incorporer dans son orchestre, cette Passion est à la fois divine et populaire. Alors qu’évidemment les chœurs sont la clef de voûte de l’œuvre, même si c’est moins évident du point de vue français et “laïc”, le fait que des amateurs chantent – et chantent aussi bien- est tout à fait en harmonie avec le propos de la réforme et de Bach : la passion est celle de tous les croyants. Depuis le public, nous suivons donc cette montée de violence et de sacré, qui culmine avec un enterrement du corps nu du Christ (tradition à Jérusalem) sous des pierres qui ressemblent à des pavés parisiens. L’on sort de cette mise en scène grandiose et habitée et de cette version musicale extrêmement intense de La Passion selon Saint Jean avec beaucoup de gravité et de ferveur. Croyant ou non, quelque chose de central à notre civilisation est venu nous percuter, en profondeur.

visuels (c) Théâtre du Châtelet / Thomas Amouroux

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Yaël Hirsch
Co-responsable de la rédaction, Yaël est journaliste (carte de presse n° 116976), docteure en sciences-politiques, chargée de cours à Sciences-Po Paris dont elle est diplômée et titulaire d’un DEA en littérature comparée à la Sorbonne. Elle écrit dans toutes les rubriques, avec un fort accent sur les livres et les expositions. Contact : [email protected]

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