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L’ « Audace » de l’Orchestre Pasdeloup s’immisce à la Philharmonie de Paris

L’ « Audace » de l’Orchestre Pasdeloup s’immisce à la Philharmonie de Paris

18 January 2023 | PAR Eleonore Carbajo

La Philharmonie de Paris ouvre ses portes ce samedi 14 janvier au plus ancien orchestre symphonique français ; l’Orchestre Pasdeloup, dirigé par Christian Vásquez. Au programme de cette après-midi musicale, le Concerto pour piano n°3 de Beethoven, interprété par la charismatique Suzana Bartal, et la célèbre Symphonie n°9 dite « Du Nouveau Monde » de Dvorák.

La finesse d’une interprétation de Beethoven

Dès la sortie du métro, une foule grandissante et déterminée se presse vers les escalators de l’imposante Philharmonie de Paris. Cette après-midi se place sous le signe du spectaculaire ; avec au programme deux piliers du répertoire classique, il y en aura pour tous les goûts. Arnaud Nuvolone, 1er violon solo de l’Orchestre fait résonner le la de l’accord dans la grande salle Pierre Boulez, puis c’est au tour du chef et de la concertiste de faire leur entrée sous les applaudissements du public, pour nous livrer leur interprétation du célèbre Concerto pour piano n°3 de Beethoven en ut mineur (op.37). Composé entre 1800 et 1802, c’est un Beethoven annonciateur du romantisme qui rompt avec les structures classiques mozartiennes, que l’on retrouve dans cette œuvre majeure aux tonalités tragiques.

Les premières notes de l’Allegro con brio résonnent avec douceur et prennent progressivement de l’envergure dans l’acoustique de la Philharmonie, dans un jeu subtil de nuances allant crescendo afin de faire place à la concertiste. Dès les premières notes, Suzana Bartal nous donne à voir toute la finesse de son jeu. Avec précision, le thème se décline et se complexifie dans les mains de la pianiste, ornementé par bon nombre de trilles faisant perdre le fil de la partition au spectateur emporté. L’orchestre augmente en intensité pour soutenir le grandiose d’un piano à la Beethoven, pendant que les staccatos de la main gauche résonnent avec brio dans la pièce. Jouant sans partition, la pianiste franco-hongroise s’illustre pour le raffinement de son interprétation, toujours avec sobriété. On notera la merveilleuse cadence à la fin du premier mouvement, où les doigts de la pianiste virevoltent sur toute l’envergure du clavier pour le plus grand plaisir des yeux du spectateur ébahi.

Impossible pour le public de ne pas accueillir le final de quelques timides applaudissements que Suzana Bartal accueille d’un sourire sincère. Le Largo rompt avec le caractère triomphant qui précède et fait résonner un thème lent et mélancolique initié par le piano solo, puis repris à l’unisson par les premiers violons et flûtes. La virtuosité de la partition se déploie dans les accords à large ambitus qui se relayent entre la main gauche et la main droite de Suzana Bartal, sous les pizzicati des cordes et le thème cristallin joué par la flûte et le basson. La concertiste et le chef d’orchestre se montrent complices, échangeant durant le morceau des sourires chaleureux et des regards appuyés. Le silence de la salle témoigne de l’admiration générale pour l’interprétation juste et élégante de ce deuxième mouvement du concerto.

Cette fois-ci, pas le temps pour le public d’applaudir, place au Rondo ! Un thème d’ouverture classique où là encore, Suzana Bartal semble s’amuser des trilles, rebondir sur les touches, la pédale se lève et s’abaisse avec une précision et une rapidité déconcertante dans un spectre impressionnant de nuances. Les entrées échelonnées des différents pupitres donnent à découvrir leurs timbres, et la palette de nuances de l’orchestre qui accompagne la concertiste. Le jeu est sautillant, d’une finesse heureuse et techniquement déconcertante. Après les derniers accords d’un final triomphant, le chef laisse échapper un « bravo » à l’intention de Suzana Bartal ; le salut et les appels se déroulent main dans la main, la complicité musicale entre la concertiste et l’orchestre sautant aux yeux.

Une Symphonie du Nouveau Monde spectaculaire

Après une courte pause, l’orchestre s’étoffe de percussions, de cuivres et de contrebasses pour faire résonner l’œuvre majeure d’Antonín Dvorák dans la Philharmonie. La Symphonie n°9 en mi mineur, B. 178 (op. 95) « Du Nouveau Monde » est composée en 1893 et jouée pour la première fois par l’Orchestre philharmonique de New York la même année. Première œuvre composée sur le sol américain, les inspirations américaines et tchèques se mélangent pour le plus grand plaisir des musiciens, comme des spectateurs. Le public trépigne d’impatience ; tout le monde a en tête les airs les plus connus de cette œuvre capitale du répertoire classique. De sa baguette, le chef dirige sans partition la colossale symphonie en quatre mouvements. Les violoncelles entrent en scène, bientôt entrecoupés par les tenues cuivrées des cors. Petit à petit, les thèmes s’installent, donnant à voir toute la diversité de l’orchestre, dont tous les timbres sont parfaitement mis à l’honneur. L’Orchestre Pasdeloup se prend au jeu de la partition de Dvorák et prend du plaisir ; chacun se meut sur sa chaise au rythme des interventions, avec un souci particulier fait aux nuances. Soufflets, accents, sforzando se superposent et emportent le spectateur dans la virtuosité de la pièce. Le thème se décline et se répète dans tous les pupitres de vents, des cors au piccolo en passant par les trompettes ou encore le hautbois. L’air des flûtes permet au public de reprendre haleine avant le final du premier mouvement, cadencé par l’éclatant pupitre de cuivres qui donne couleur et ampleur à l’orchestre, entraîné dans les chromatismes des violons. Tout s’accélère, l’orchestre ne peut lutter contre le fracassant tonnerre d’applaudissements qui s’en suit.

Le deuxième mouvement Largo, partie la plus reconnue par les critiques lors de la première interprétation de la Symphonie, nous transporte dans une atmosphère tout autre. La Philharmonie se pare d’un silence solennel dans lequel le cor anglais s’immisce et s’impose. Merveilleuse interprétation que celle proposée par le soliste, accompagné par le contre-chant de la clarinette et par le tapis sonore des cordes. Ce mouvement semble échapper au public du fait de la nostalgie qui s’en émane, les sourdines des cors et l’éventail de piano amplifiant cet aspect à la fois lointain et intime au spectateur. Le chef laisse la liberté au soliste de mener l’orchestre, parfaitement habité, il mime de sa main les pizzicatos des violoncelles et contrebasses ainsi que les vibratos des violons. Le thème du « Nouveau monde » revient en filigrane, annonciateur de la virtuosité des mouvements suivants. Le choral des cuivres clôture de manière circulaire ce somptueux mouvement, magnifié par l’interprétation du cor anglais. On passe ensuite de l’intime au scintillant dans le Molto vivace du troisième mouvement, au rythme des timbales et du thème se déployant entre les solistes de la petite harmonie et les violons, magnifié par les ruptures de rythme binaires des cors et l’éclat du tutti.

Chacun retient son souffle, le chef garde sa baguette levée, l’orchestre sourit et trépigne d’impatience avant d’entamer l’emblématique ouverture de l’Allegro con fuoco, quatrième et dernier mouvement de la symphonie. Sonnez les trompettes pour le thème magistral de Dvorák, dont l’intensité se déploie dans tout l’orchestre. On passe du tonnerre des cuivres au perlé des bois, et on lit le plaisir des musiciens dans leur gestuelle. Le chef donne de sa personne, annonce les départs même le dos tourné aux pupitres des violoncelles. Partout à la fois, il guide ses musiciens avec brio dans cette interprétation réussie de la symphonie, que ce soit pour les parties solistes des clarinettes et violoncelles, l’accompagnement du bout de l’archet des altos, ou le son resplendissant du pupitre de trombones qui semble passer au-dessus de tout l’orchestre avec une facilité déconcertante. Lors du flamboyant final, tous les instruments sont mis en valeur dans un équilibre parfait et resplendissant. La dernière note résonne dans la Philharmonie ; le public est en émoi et les musiciens semblent ravis de leur performance. On notera toute l’élégance de Christian Vásquez, qui fait saluer l’orchestre depuis le cœur de la formation, et qui lève les instrumentistes presque un par un, en veillant à serrer la main à bon nombre d’entre eux. Le chef est rappelé à quatre reprises avant que l’orchestre lui-même fasse signe au public de son départ. Tout le monde repart le sourire aux lèvres, et Dvorák plein les oreilles.

Visuels © 2023 Concerts Pasdeloup.

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