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[Interview] Nemanja Radulovic, Carnet de Voyage : « Ce disque est très personnel, rattaché à moi, à mon histoire, à ceux que j’aime »

[Interview] Nemanja Radulovic, Carnet de Voyage : « Ce disque est très personnel, rattaché à moi, à mon histoire, à ceux que j’aime »

18 November 2014 | PAR Marie Charlotte Mallard

Après Paganini Fantasy Nemanja Radulovic présente avec un album intimiste et introspectif : Carnet de Voyage enregistré avec ses ensembles Les trilles du Diable et Double sens et collaborant pour l’occasion avec Yvan Cassard. A travers un florilège de morceaux choisis, allant de Brahms, Tchaïkovski, Katchaturian aux mélodies populaires de son enfance, le musicien se confie, se raconte en musique. Un album oscillant entre caractère passionné, sensibilité et profondeur où l’on est à la fois happé par le tourbillon festif et volcanique slave comme par la douceur de nuances piano cristallines émouvantes et poignantes dans les titres les plus calmes. Un album où l’on est subjugué tant par la clarté du son que celle du discours, mais surtout par cette implication personnelle touchante. Nemanja Radulovic revient pour nous sur ce carnet de voyage, ce journal intime musical. 

Dans les différents reportages qui vous sont consacrés – notamment retour à Belgrade- on peut vous entendre jouer certaines de ces œuvres populaires avec votre ensemble Double sens, ce disque n’était-il pas présent dans votre tête depuis plusieurs années ?

Oui, il y a beaucoup de pièces que nous avons déjà jouées avec Double Sens et Les trilles du diable. Mais il y a également plusieurs pièces toutes nouvelles, et d’autres réarrangées par Yvan Cassard auxquelles il donne véritablement une autre couleur par rapport aux premières interprétations d’il y a quelques années. Ce disque est tellement personnel qu’il y a effectivement des pièces qui m’accompagnent depuis très longtemps.

Vous voyagez partout à travers le monde, vous avez passé  maintenant un peu plus de la moitié de votre vie en France, cet opus vous serait-il une quête identitaire ? 

Sûrement ! J’ai été vraiment très marqué, surtout les dernières années, par les événements qui se sont passés dans mon enfance comme par la suite lorsque je suis arrivé

en France. J’ai trouvé important de pouvoir laisser une trace de cette période qui pour moi était une des plus difficiles et finalement aussi une des plus belles de ma vie. C’est le 8e disque mais c’est le premier ou il y a tant de petites pièces, c’est surtout le premier où tout est vraiment très personnel, rattaché à moi, à mon histoire, à ceux que j’aime, aux êtres chers qui ne sont plus là et à qui je le dédie d’ailleurs. C’est aussi un album d’amitié, nous avons eu énormément de bonheur avec les musiciens des Trilles du Diable, de Double sens à l’enregistrer. Ce fut de grands moments de complicité qu’on gardera jusqu’à la fin de notre vie.

Vous parliez de personnes chères à qui était dédié ce disque, votre famille est très importante, vous avez dans votre violon de nombreuses photos, vous êtes très lié avec vos sœurs, où les retrouve-t-on dans cet album ?

Je crois que l’on retrouve véritablement toute ma famille dans cet album, et particulièrement ma mère qui n’est plus de ce monde depuis quelques années maintenant. Elle était vraiment mon guide dans la vie. C’est quelqu’un qui m’a appris le courage dans les moments difficiles, et je voulais vraiment lui rendre un hommage tout particulier notamment avec des pièces qui m’ont liées à elle. Il y a certaines œuvres qui quand je les entends me rappellent ma mère et me permettent de la retrouver. Parmi les œuvres du disque il y a la Liste de Schindler, Dvorack : Quand ma vieille mère, Prokofiev : L’amour des trois oranges, et Niska Banja une musique traditionnelle. En outre, Brahms Danse Hongroise n°1 me lie à l’une de mes sœurs, et La couronne de Petria de Simjanovic à l’autre. Ma famille est il est vrai ,très importante, elle a toujours été un soutien, mes parents comme mes sœurs m’ont toujours encouragé. Je me souviens qu’un an après être arrivé à Paris j’ai eu un doute, je trouvais le violon vraiment difficile et puis mes parents m’ont dit que quoi que je décide ils me suivraient et ça m’a beaucoup rassuré.

Comment les autres titres sont-ils reliés à vous ? Évoquent-ils, des souvenirs d’enfance, de concerts ?

Katchaturian La danse du sabre, est une des premières pièces que j’ai jouée dans l’ensemble de violoniste avec mon professeur Dejan Mihailovic, une pièce dont je garde le souvenir de l’amusement entre tous les musiciens, de beaucoup de bonheur, et de partage.

Il y a Kusturica avec Ovo je muski svet la BOF de La vie est un miracle par exemple que j’ai eu la chance de rencontrer il y a quelques années. Je regardais ses films et suivais son travail que j’adore et que je trouve magique car tout est dans les détails et c’est tellement sincère. Surtout, la musique est très importante dans ses films, vivante et très présente.

Kalajic, Vatra Suze, est une pièce que j’ai découverte sur facebook ! Celle qui l’a composée est une amie d’enfance violoniste aussi élève de mon premier professeur. Deux semaines avant l’enregistrement, elle avait posté un clip ou elle jouait elle-même sa propre pièce. J’ai tellement adoré, je suis tombé sous le charme et j’ai trouvé que cette pièce pouvait aller avec les autres pièces de l’album. Je lui ai demandé la partition, j’ai demandé à la maison de disque si l’on pouvait le rajouter et tous ont accepté. C’est une pièce pour violon seul, en trois minutes avec quatre parties différentes, dans laquelle on retrouve l’expression slave et en même temps une nostalgie, une révolte dans certaines parties, ainsi qu’un côté dansant.

Chostakovitch, La romance Le Taon et la Danse Russe de Tchaikovski, me lient à toute une période que j’ai passé à Paris ou j’ai beaucoup écouté ces deux compositeurs et ces deux pièces que je trouve magnifiques. Elles me parlaient beaucoup…

Comment est née la collaboration avec Yvan Cassard et que vous a-t-elle apporté musicalement ?

Notre rencontre s’est fait grâce à la maison de disque. Cela fait quelques années maintenant que je travaille avec Universal, de  même qu’Yvan Cassard. Ils nous ont présenté mais au départ nous ne savions pas du tout ce que nous voulions. A la base, je ne cherchais pas forcement à réarranger, même si cela nous arrive parfois avec Les Trilles du Diable. Au moment de l’enregistrement j’ai découvert un artiste extraordinaire, en tant qu’arrangeur mais aussi directeur artistique. Surtout, nous avions véritablement la même vision des morceaux, et du son que l’on souhaitait obtenir. C’était donc une belle rencontre et une superbe collaboration. Il est vrai que celle-ci a insufflé de la fraîcheur et ce parce que nous avons utilisé certains instruments qu’on n’utilise pas toujours dans le classique, notamment en terme de percussion.

Vous nous avez parlé des liens familiaux présents, amicaux dans ce disque mais parliez des événements qui vous ont marqué dans votre enfance, et dont émerge aujourd’hui ce disque, le violon est-il un média qui d’exprimer cette histoire ?

J’avais environ 5 ans lorsque la guerre a commencé dans cette partie du monde et ça a duré jusque fin 99. Ce n’était pas tous les jours à Belgrade, mais l’année 1999 fut très dure car nous avons été bombardés pendant 72 jours non-stop. C’était des moments où les gens étaient dans un partage et dans un soutien incroyable, même des gens que vous ne connaissiez pas devenaient les plus importants de votre vie dans ces épreuves. Nous avons fait de magnifiques rencontres, mais il y a eu aussi beaucoup de pertes comme dans chaque guerre. Cela vous fait d’autant plus apprécier le quotidien et la musique qui vous rendent si heureux et vous aident à traverser toutes ces choses. La musique me permettait de sortir de ce quotidien difficile, et surtout d’exprimer ce qu’en tant que gamin de 13 ans, je n’arrivais pas forcement à expliquer avec des mots. Encore aujourd’hui d’ailleurs je n’arrive pas toujours à exprimer les sensations que je peux avoir par rapport à tout cela où même dans la vie en générale. Je les comprends mieux avec la musique, le ressenti est plus intime…

Partir en France était donc un moyen de sortir de ce contexte plus que de venir y exploiter votre talent ? 

Oui, mes parents ont décidé de partir pour nous trois. Ils avaient envie de continuer une nouvelle vie, parce qu’ils voyaient qu’en Serbie ce n’était plus possible. En effet, c’était devenu très dur d’y faire des études, et tout était vraiment très compliqué. Chaque sortie du pays pour un concert où un concours il fallait demander tant de choses, l’administratif était très lourd, les visas, des papiers, des garanties ect… Ils se sont dit que c’était un bon moment pour partir ailleurs et commencer une nouvelle vie.

Votre professeur à Belgrade disait que c’était un acte de création en live, que de jouer en concert  on le sent très fortement chez vous, il y a beaucoup de relief et c’est très intimiste, comment parler de soi avec le discours d’un autre ?

Le rôle d’un interprète selon moi, c’est d’être là pour faire vivre une musique, il y a certes une partition mais il faut savoir que le compositeur était peut-être dans un état particulier, le jour où il l’a composée, et que sans doute qu’il ne l’aurait pas écrite de la même manière un an plus tard. Je crois que pour nous aussi interprètes, il est important de faire vivre le discours musical avec l’état dans lequel on se trouve, qu’on soit très heureux ou triste, il faut essayer de faire passer cela à travers la musique et créer quelque chose de personnel. On ne volt pas une partition, on ne la modifie pas, on la fait revivre avec des sensations que l’on a sur le moment. On lit la partition, on s’imprègne mais on y met nos propres émotions. J’essaie également d’avoir ce côté enfantin et émerveillé face à la musique par rapport aux différents répertoires que je joue et de redécouvrir la partition, l’envie …

Quels sont les  violonistes qui vous ont porté, et qui aujourd’hui imprègnent votre jeu?

Mon premier professeur à Belgrade, Patrice Fontanarosa en France qui m’a donné une liberté de création, une manière de voir la vie en se fiant aux différents sens, aux odeurs, au goût, au toucher. Par rapport à l’instrument, ça m’a appris à pouvoir canaliser mon énergie et mes émotions. Dans les grands violonistes j’adore Isaac Stern qui vraiment me racontait des histoires avec son instrument, comme si chaque note était un mot, l’entendre jouer m’a particulièrement touché. Je suis toujours impressionné par les artistes créateurs, pas forcément ceux qui vont faire une lecture parfaite d’une pièce, mais ceux qui vont s’engager sur la scène, qui font bouger le monde et nous font comprendre les choses. Quand on a la liberté tout devient plus facile, il n’y a pas de jugement. Il faut avoir une bonne technique pour pouvoir aller plus loin évidement mais parfois c’est la musicalité qui nous permet de dépasser cela.

Vous dites que votre violon est votre confident, votre ami, la personne la plus importante de votre vie, il semble y avoir une relation plus que physique avec votre instrument le violon a-t-il une âme ?

Oui à l’intérieur ! Je pense que l’instrument a une âme qui doit être partagée entre l’âme de l’interprète. Les deux doivent se rejoindre pour obtenir un résultat. J’ai changé plusieurs fois de violon, j’avais les mêmes sensations, mais quand on a en face un violon qui répond tout de suite à ce que l’on veut entendre, on sent qu’on peut aller très loin avec l’instrument, c’est ce qui est important et intéressant avec notre instrument. On essaie d’aller toujours plus loin dans les couleurs, dans l’intonation, dans chaque chose: plus long, plus rapide, plus piano…. Pour moi le silence fait aussi partie de la musique, la respiration me guide pour avoir un état différent, pour pouvoir créer sur la scène ou dans le travail. J’adore les mouvements lents, jouer, interpréter des pièces d’une profondeur et d’un état plus calme. Avec Paganini j’avais justement voulu mettre en avant la ligne chantée et mélodique complètement sensible. La virtuosité n’est pas le plus important. 

Lorsque l’on parle de vous on remarque toujours ce style rock, maintenant que vous avez collaboré avec Yvan Cassard qui travaille sur des projets autant classiques que pop, rock, variété, est-ce que vous envisagez de vous amuser avec d’autres styles ?

On ne sait pas trop ce que l’avenir nous réserve. Je me suis déjà amusé

sur certaines choses, ce genre de projet c’est surtout une histoire de rencontre. Je ne me vois pas que dans un style. Sur le disque de Paganini on s’est amusés avec Alexsandar Sedlar à enregistrer une version plus hard rock. De temps en temps je m’amuse, surtout quand on fait des bœufs à la maison ça m’arrive, alors pourquoi pas…

Carnet de Voyage, Nemanja Radulovic, Deutsche Grammophon,

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Marie Charlotte Mallard
Titulaire d’un Master II de Littérature Française à la Sorbonne (Paris IV), d’un Prix de Perfectionnement de Hautbois et d’une Médaille d’Or de Musique de Chambre au Conservatoire à Rayonnement Régional de Cergy-Pontoise, Marie-Charlotte Mallard s’exerce pendant deux ans au micro d’IDFM Radio avant de rejoindre la rédaction de Toute la Culture en Janvier 2012. Forte de ses compétences littéraires et de son oreille de musicienne elle écrit principalement en musique classique et littérature. Néanmoins, ses goûts musicaux l’amènent également à écrire sur le rock et la variété.

2 thoughts on “[Interview] Nemanja Radulovic, Carnet de Voyage : « Ce disque est très personnel, rattaché à moi, à mon histoire, à ceux que j’aime »”

Commentaire(s)

  • Pat

    Ce mec est génial, je l’adore. Il joue comme il respire.

    December 9, 2014 at 18 h 35 min
  • Surboons

    C’est quelque chose que ce joueur de violon ! Original et attachant, il accroche l’oreille et l’on ne peut s’en détacher …

    December 11, 2014 at 3 h 30 min

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