Classique
Il Diluvio Universale à Ambronay : délectable déluge…d’applaudissements!

Il Diluvio Universale à Ambronay : délectable déluge…d’applaudissements!

08 October 2019 | PAR Elodie Martinez

Entre Le Messie donné jeudi soir à l’Auditorium de Lyon, porté notamment par les Arts Florissants et William Christie, et le concert de clôture pour la première fois participatif, le festival d’Ambronay proposait pour son ultime weekend Il Diluvio Universale, créé ici-même en 2010 et qui a depuis tourné dans le monde entier en plus d’avoir rencontré un impressionnant succès au disque (plus de 13 000 CDs vendus). Pour cette 51ème représentation, forcément spéciale et dédiée à Jacques Bouillon, le chef Leonardo García Alarcón a répondu présent entre deux représentations des Indes Galantes à Bastille. Un vrai régal qu’on aurait souhaité sans fin !

Alors que les musiciens de la Capella Mediterranea se sont progressivement installés avant que le concert ne commence, seul le chef rentre pour débuter ce « dialogue à cinq voix et cinq instruments » (lors de sa création en 1682 à Messine). Pour notre plus grand plaisir, ce ne sont pas seulement cinq instruments qui sont présents sur scène, mais bien l’ensemble d’une vingtaine d’instrumentistes, dont le percussionniste iranien Keyvan Chemirani, essentiel ici. Dès les premières notes, il semblerait bien que ce Diluvio Universale soit à présent inscrit dans les gènes de la Capella Mediterranea. Sous la direction à l’enthousiasme communicatif de Leonardo García Alarcón, chacun apporte sa pierre à l’édifice, ou, dans le cas présent, sa goutte d’eau au déluge. La joie de l’introduction est interrompue par la Justice Divine qui apparaît depuis l’un des côté de la salle, dans le public, avant de monter sur l’avant-scène et d’être rejointe par les quatre éléments qu’elle a appelés : l’Air, la Terre, le Feu et l’Eau. Plus de doute : il s’agit davantage d’une version semi-scénique que simplement concertante.

Après avoir été un César impérial le 28 septembre dans ces mêmes murs, Christopher Lowrey endosse à présent le rôle de la Justice Divine impromptue, furieuse et vindicative, poussée à bout par l’Homme. La ligne de chant clair, formidablement projetée, traduit l’inflexibilité de la décision fatale. Quant à l’Eau de Julie Roset, c’est un véritable régal dont on se délecte à chaque note. C’est ensuite au tour du formidable chœur de chambre de Namur d’entrer en jeu en arrivant par les côtés de la salle et se positionnant non pas sur la scène, mais devant. Avouons que cela fait son effet ! Nous ne sommes encore qu’aux débuts de la soirée, mais le public a déjà plusieurs fois l’occasion d’être surpris. Arrivent enfin Rad et Noé, interprété par Mariana Flores et Valerio Contaldo. Tout deux d’avèrent d’une belle crédibilité dans leur interprétation du couple mythique, le timbre solaire du ténor s’alliant parfaitement à celui de la soprano.

Dieu intervient enfin, depuis le fond de scène, la voix sortant d’abord de nulle part avant d’être identifiée : il s’agit de Matteo Bellotto. La basse pose une divinité qui se rapproche un peu du Jupiter ou Zeus antique, sans grande compassion avec les mortels – la méritent-ils seulement ? – mais sauvant Noé et sa famille avant que ne s’abatte le déluge. Nous assistons alors à l’une des pages peut-être les plus impressionnantes de la partition (bien qu’elle impressionne en réalité de bout en bout) avec les gouttes qui tombent lentement, puis plus resserrées sous la harpe puis les cordes, la tempête s’annonçant, affolant les chœurs qui cherchent à s’abriter. C’est sans compter sur la Mort qui arrive, toute de cape noire vêtue, armée de sa faux, maquillage cadavérique, démarche lente… Fabian Schofrin offre décidément une interprétation visuelle marquant, y compris dans sa danse guillerette avec son tambourin un peu plus tard pour fêter littéralement sa victoire dans une tarantella de tous les diables. Dommage qu’à côté de cela, la voix ne suive malheureusement pas, fatiguée, parfois à la limite de la justesse pour ce personnage finalement décalé jusqu’au bout.

Un autre grand moment de la soirée arrive alors : le moment du déluge, à présent que la tempête et la Mort ont été annoncées. L’écriture musicale est d’un tel aboutissement que se peint sous nos yeux ce terrible tableau digne du Radeau de la Méduse,  les hommes et les femmes étant engloutis avant même de pouvoir finir leurs mots, hurlant parfois, emportés par les flots, disparaissant durant les derniers instants grâce aussi au talent sans borne des choristes. La Nature humaine de Caroline Weynants surgit après cette horreur, « engloutie dans le massacre commun », et n’accuse aucun reproche ni dans son dialogue avec la Mort, ni dans son air « Ahi perduta Innocenza ! »

Rad et Noé reviendront finalement, appuyés par le chœur, et c’est que surgit, parallèlement à l’alliance céleste, la page probablement la plus prenante de l’œuvre : « Ecco l’Iride paciera » à trois voix, avec Mariana Flores et Caroline Weynants d’une part, et Mariana Flores et Julie Roset d’autre part, la seconde  ayant le sourire jusque dans les yeux. Les chœurs se mêlent également au chant et à cette mélodie entêtante qui donne envie de danser et de chanter avec eux, restant graver dans la tête. Il faut dire que la ligne mélodique dessine elle aussi une multitude d’arcs-en-ciel : difficile de ne pas succomber alors que le tableau final se met déjà en place avec l’ensemble des protagonistes.

Dire que le public réserve un triomphe aux artistes serait un euphémisme. Le chef prend alors la parole et exprime tout son amour et son attachement à ce lieu si particulier à ses yeux où il a notamment, le rappelle-t-il, rencontrer sa femme. Il raconte également l’origine très amusante de la naissance du projet d’Il Diluvio, finalement né d’un qui pro quo entre « médecine » et « Messine » ! Fidèle à sa générosité, il offre trois bis (mais le public aurait pu assister à l’ensemble de l’œuvre en bis avec joie) : le fameux « Ecco l’Iride paciera » qu’on espérait bien entendre à nouveau ici, « Or se tra sacre Olive » qui est le dernier air entendu, puis « Ahi che nel fin di cosi tragedia » qui est l’air résonnant entre le terrassement de la Nature Humaine et la dans de la joie de la Mort. Le chef n’hésite d’ailleurs pas à rejoindre les chanteurs pour ces bis, rendant le tout encore plus festif.

Finalement, l’unique regret d’une telle soirée ne peut être que son inéluctable fin. Une fin qui, toutefois, continue de tourbillonner dans la tête bien longtemps après la dernière note… « Ecco l’Iride paciera, In cui l’anime vagheggiano la Divina humanità”…

©Bertrand_PICHENE-CCR Ambronay cp

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Elodie Martinez
Après une Licence de Lettres Classiques et un Master en Lettres Modernes, Elodie découvre presque par hasard l'univers lyrique et a la chance d'intégrer en tant que figurante la production du Messie à l'Opéra de Lyon en décembre 2012. Elle débute également une thèse (qu'elle compte bien finir) sur Médée dans les arts en France aux XVIIe et XVIIIe siècles, puis, en parallèle d'un stage dans l'édition à Paris, elle découvre l'univers de la rédaction web et intègre l'équipe de Toute la culture où elle participe principalement aux pages d'opéra, de musique classique et de théâtre. Elle a aussi chroniqué un petit nombre de livres et poursuit l'aventure une fois rentrée sur Lyon. Malheureusement, son parcours professionnel la force à se restreindre et à abandonner les pages de théâtre. Aujourd'hui, elle est chargée de projets junior pour un site concurrent axé sur l'opéra, mais elle reste attachée à Toute la culture et continue d'être en charge de l'agenda classique ainsi que de contribuer, à moindre échelle, à la rédaction des chroniques d'opéra.

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