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Horreur musicale dans le cabaret horrifique de la Porte 8

Horreur musicale dans le cabaret horrifique de la Porte 8

17 March 2019 | PAR Victoria Okada

« La porte 8 », une formule courte en guise d’un apéritif imaginé par l’Opéra-Comique, joue la carte de frissons macabres. Après Le Domino noir (opéra d’Auber) et Petite balade aux enfers (spectacle de chant et marionnette sur l’histoire d’Orphée et Eurydice, avec la maîtrise populaire de l’Opéra-Comique) Valérie Lesort reprend un spectacle qui a déjà attiré des adeptes « arrosés d’hémoglobine et de champagne », avec une mise en scène forte et délirante pour traverser « toutes sortes d’inquiétants paysages musicaux peuplés de démons, de meurtriers, de fous furieux, de revenants et de rires » !

En poussant la porte 8 de la rue Marivaux, on n’entre pas facilement à ce qui ressemble à un caveau à cadavres. Il faut d’abord écarter un corps… humain ? animal ? enveloppé dans un linceul blanc et suspendu comme un bœuf écorché dans une boucherie. En traversant la salle, on voit un crâne posé sur une table avec quelques autres objets inquiétants. La lumière à la couleur du sang et une fumée sombre qui remplie l’espace empêchent de voir cinq mètres plus loin. En gagnant la place, la table, couverte d’une nappe rouge sang (la couleur de la soirée !), est souillée par des toiles d’araignée. On sert cependant du champagne, car une bouteille est posée sur chaque table, mais est-il empoisonné… ?

La soprano Judith Fa et le baryton Lionel Peintre incarnent des personnages fantomatiques et maléfiques, qui n’hésitent pas, si besoin (et aussi même si ce n’est pas nécessaire !), de tuer le pianiste Martin Surot à plusieurs reprises au cours de la même soirée. Leur maquillage est terrifiant, leur costume à moitié pourri, comme s’ils venaient de sortir de leur tombeau. Valérie Lesort, sorcière effroyable couronnée d’une main humaine coupée, est chargée des bruitages, de craquements d’os, de grincements de portes… avec des objets insolites comme le balai pour les crépitements du feu.

Les croassements de corbeau introduisent cette soirée, et les premières paroles chantées par Lionel Peintre, « Serviteurs n’apportez pas les lampes car il n’y a pas d’aube chez les morts », annoncent le ton, mais il insère également des drôleries entre les vers. Après Furie terribili (Rinaldo de Haendel), Judith Fa, folle, sort une tête coupée, chasse le pianiste, et s’accompagne pour chanter Nosferatu (Marie Paule Belle) avec une humeur mortelle et sourire malsain. Si le baryton chante La Danse macabre (Saint-Saëns) en devenant un squelette et en passant d’une table à l’autre et Le tango des joyeux bouchers (Boris Vian) la tête posée sur l’assiette comme un plat de résistance, la soprano, qui était une marquise morte depuis 300 ans, endosse pour Le Fantôme de l’Opéra (Andrew Lloyd Webber) une robe bleue aux paillettes à l’américaine des années 1970 avec les seins et les hanches exagérément accentués. Dans Le Tango stupéfiant (Marie Dubas) Lionel Peintre joue un pianiste débutant, alors qu’à la fin de l’Air de la Folie (Platée, Rameau), Judith Fa est ramenée en fauteuil roulant à l’hôpital psychiatrique. Et dans l’air Armide et Hidraot (Armide de Lully), Martin Surot est une dernière fois victime de l’horreur, car Judith Fa arrache son cœur !

L’art des deux chanteurs s’adapte horriblement au style de la chanson et de l’air qu’il chante. Notamment, Judith Fa change complètement sa manière de respirer, de souffler et de prononcer selon qu’elle chante une comédie musicale, chanson ou mélodie ; dans Le Tango stupéfiant, elle devient même une « diseuse ».

Une soirée originale et réjouissante (malgré le malheur qui s’abat aux protagonistes de chaque air), appuyé sur une qualité musicale… Hélas, hautement heureuse !

Prochaines mises à mort : du 22 au 25 mai à 19 heures 30.

photos © Stefan Brion

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Christophe Candoni
Christophe est né le 10 mai 1986. Lors de ses études de lettres modernes pendant cinq ans à l’Université d’Amiens, il a validé deux mémoires sur le théâtre de Bernard-Marie Koltès et de Paul Claudel. Actuellement, Christophe Candoni s'apprête à présenter un nouveau master dans les études théâtrales à la Sorbonne Nouvelle (Paris III). Spectateur enthousiaste, curieux et critique, il s’intéresse particulièrement à la mise en scène contemporaine européenne (Warlikowski, Ostermeier…), au théâtre classique et contemporain, au jeu de l’acteur. Il a fait de la musique (pratique le violon) et du théâtre amateur. Ses goûts le portent vers la littérature, l’opéra, et l’Italie.

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