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Germaine Tailleferre à la Cité de la Musique, l’hommage musical de l’Orchestre de Chambre de Paris

Germaine Tailleferre à la Cité de la Musique, l’hommage musical de l’Orchestre de Chambre de Paris

30 January 2023 | PAR Eleonore Carbajo

La Cité de la Musique fait honneur ce jeudi 26 janvier à Germaine Tailleferre, compositrice du XXe siècle, membre du « groupe des Six ». Intitulé « l’oubliée du groupe », ce spectacle rend hommage à la vie de cette femme, dont l’œuvre n’a pas eu la postérité méritée en comparaison à ses homologues masculins, sous la baguette de Chloé Dufresne et des musiciens de l’Orchestre de chambre de Paris.

« Je suis née musicienne comme je suis née les yeux bleus »

Une programmation à la Philharmonie qui sort des sentiers battus pour faire honneur à Germaine Tailleferre. Née en 1892, cette « artiste du XXe siècle » selon le titre du numéro qui lui est dédié dans le Magazine de l’Orchestre de chambre de Paris « Ensemble ! », est parvenue à se faire un nom dans la composition française, malgré l’invisibilisation de son travail. Le programme choisi met en valeur un panel de différentes œuvres de son répertoire, piochées tout au long de sa vie, ainsi que les compositions de ses influences et amis.

Une femme dans un monde d’hommes, déjouant dès sa jeunesse la surveillance de son père pour composer et jouer du piano. Elle est l’unique présence féminine du « groupe des Six » réunissant Georges Auric, Louis Durey, Arthur Honegger, Darius Milhaud et Francis Poulenc. Une compositrice au franc-parler, qu’on découvre dans cette mise en scène originale de l’œuvre de Tailleferre, où sont intercalés entre chaque pièce des extraits d’interviews, ainsi que diverses récitations théâtrales explicitant le parcours biographique de celle-ci, dans une perspective pédagogique qui fait sens au sein de l’hommage musical poursuivit par la formation orchestrale et les nombreux solistes qui se succèdent. L’occasion de découvrir le répertoire et l’œuvre « ni féminine, ni masculine, mais qui existe en soi » de la compositrice, comme elle la décrivait elle-même. L’arrivée de l’orchestre dans la salle se fait en musique avec la diffusion de Swing Little Girl, chanson de Charlie Chaplin pour la réédition du film Le Cirque. Cela transporte directement le public dans l’atmosphère vers laquelle veut nous mener la metteuse en scène, Chloé Lechat, l’ambition étant de faire connaitre l’artiste « en essayant de faire ressentir au public, via le théâtre et la musique, quelques émotions qui la concernent » (propos recueillis par Raphaëlle Blin).

Entre chaque pièce ou extrait, Dominique Reymond prend la parole pour tisser entre eux divers éléments biographiques de la vie de Germaine Tailleferre, accompagnée de Marie Perbost, soprano, qui se prête aux mimes et à une interprétation théâtrale de la vie de Germaine, prenant place sur le fauteuil installé à cet effet en bordure de scène, comme un microcosme de l’univers de la compositrice. A chaque fois, on assiste aux rencontres qui ont marqué sa vie personnelle comme musicale, à l’instar de Charlie Chaplin aux Etats-Unis durant la guerre, ou de son admiration sans faille pour Stravinski, Ravel, sa rencontre avec la mécène princesse de Polignac, ou avec les poètes Paul Valéry et Paul Claudel.

Une mise en scène chorégraphiée et d’une précision sans faille, l’occasion d’apercevoir dans l’obscurité les variations d’effectifs de l’orchestre, qui gonfle ou s’amenuise au fil des pièces jouées.

Une œuvre diversifiée, mise en valeur par les solistes et par l’Orchestre de chambre de Paris

Un concert qui innove donc, le choix étant fait de présenter quatre pièces de Germaine Tailleferre, qui donnent un bel aperçu de l’œuvre protéiforme de la compositrice : le Concertino pour harpe et orchestre composé en 1927, l’ouverture de l’opéra bouffe Le Bel Ambitieux, ainsi que La Rue Chagrin (1955), l’Arabesque pour clarinette et piano composée en 1973 et le Concerto pour voix élevée, dit “de la fidélité”, interprété pour la première fois en 1981.

Un programme qui met en lumière des solistes dont il convient de souligner la virtuosité, à commencer par la vélocité de Valeria Kafelnikov à la harpe, qui donne une véritable leçon musicale, guidant de ses amples mouvements tout l’orchestre vers une interprétation sublime du Concertino en trois mouvements. Etouffant tantôt de ses avant-bras les vibrations des quarante-sept cordes de sa harpe dorée, et laissant tantôt résonner les sonorités précieuses de l’instrument, son jeu est accompagné des sonorités timbrées des trompettes et cors jouant avec sourdines, ou encore du thème des flûtes, pour un instant magique et hors du temps. Régal pour les yeux que les allers et retours intrépides des doigts de la soliste sur toute la tessiture de cet instrument, aussi beau à écouter qu’à contempler, la partition de Germaine Tailleferre glissant çà et là des dissonances et un spectaculaire et soudain final au rythme de la caisse claire, qui laisse la précise baguette de la cheffe en l’air de longues secondes.

Changement d’ambiance avec l’interprétation piano-voix de l’ouverture du Bel Ambitieux et de la Rue Chagrin, deux morceaux qui transportant le spectateur dans l’univers d’un café-jazz aux lumières bleutées et où seule la voix de la soprano Marie Perbost semble compter. Le temps y est comme suspendu à ses lèvres, sous l’élégant accompagnement de Théo Fouchenneret au piano.

Pour finir cette soirée en beauté, se succèdent l’interprétation de deux morceaux de la compositrice, à commencer par l’Arabesque pour clarinette et piano composée en 1973 et brillamment interprétée par Florent Pujuila, guidant là aussi des mouvements de son pavillon le jeu de Théo Fouchenneret.

Dernier acte de ce concert-hommage, c’est Emy Gazeilles qui remplace Marie Perbost, souffrante, afin d’interpréter le Concerto dit « de la fidélité », écrit à l’aube de la vie de Germaine Tailleferre. Comme une vocalise infinie, qui se propage dans l’orchestre et s’amplifie des vibratos des cordes, une parenthèse onirique en un souffle, qui clôt merveilleusement cet hommage à une des plus grandes compositrices françaises.

Germaine Tailleferre à l’aune de ses inspirations

Le choix a été fait de faire connaître l’œuvre de Germaine Tailleferre, à la lumière de ses compositions, mais aussi par le biais de celles de ses compagnons et inspirations. De ce fait, entre chaque interludes visant à conter la vie de la compositrice, on peut entendre des extraits de Darius Milhaud, Maurice Ravel, Igor Stravinski, ou encore Francis Poulenc. L’occasion de mettre en valeur un répertoire moderne, aux influences néo-classiques, ainsi que divers solistes.

Le super soliste invité Afanasy Chupin, exubérant premier violon, entraîne toute la formation de son archet et de son jeu habité pour l’interprétation en guise d’ouverture d’un extrait de Trois Rag-caprices composé par Milhaud et joué pour la première fois à Paris en 1922. Puis c’est avec poésie que la formation s’attaque au Soupire, extrait de Trois Poèmes de Stéphane Mallarmé, composé par Maurice Ravel en 1913. Dans l’obscurité, Marie Perbost chante, sa voix se mêlant rapidement aux harmoniques des violons et à la rengaine entêtante de l’orchestre qui lui fait place. Le son est plein, s’imprègne de l’acoustique de la Cité de la musique, les différents chefs de pupitre des cordes menant la cadence sous les directions précises de Chloé Dufresne.

Avec Stravinski, nouveau changement d’ambiance ! Pour cette interprétation de Dumbarton Oaks, l’effectif rétrécit dans l’ombre, pour faire place à une formation réduite à dix cordes, et à une harmonie faisant la part belle au basson et aux deux cors en fa, dont les performances sont à souligner. Une partition qui joue sur les différents timbres des vents, mais aussi beaucoup sur les coupures rythmiques, ne laissant pas au public le temps de s’ennuyer, le tenant en haleine tout le long de la représentation, et tout particulièrement lors du mouvement Finale, Con moto.

Les transitions s’effectuent au rythme de la voix off, des interviews, ou des récitantes. L’hommage aux inspirations et compagnons de Germaine Tailleferre se clôt avec l’extrait de Sinfonietta de Francis Poulenc, grand nom du « Groupe des Six », qui compose cette œuvre en 1947. L’effectif de l’orchestre de chambre de Paris s’étoffe pour faire entendre le troisième mouvement, l’Andante cantabile de la Sinfonietta. Les pizzicati des basses en croches laissent entendre le thème chanté des violons, lui-même équilibré par le contre-champ des violoncelles et les interventions des vents qui s’entremêlent s’enchaînent pour notre plus grand plaisir.

Les récitantes reprennent la parole pour le dernier interlude avant le finale du concert, soit l’interprétation du Concerto “de la fidélité”. Une fin de vie humble, où Germaine Tailleferre s’occupe à transmettre son amour de la musique à de jeunes élèves : « une façon agréable de terminer sa vie, en la commençant ».

Un hommage réussi à la Cité de la Musique, court mais percutant, qui fait (re)découvrir au public l’œuvre de la compositrice.

Crédit photo : Joachim Bertrand.

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Eleonore Carbajo

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