Au Festival d’Ambronay, la sublime Véronique Gens dans “Lyrique Tragédie”
L’ensemble Les Surprises, une formation baroque fondée par le claviériste Louis-Noël Bestion de Camboulas et la violiste Juliette Guignard, se veut super active depuis quelques années. Après la recréation d’Issé, pastorale héroïque d’André Cardinal Détouches (1672-1749), cet été à Montpellier suivi d’une tournée (Festival de Saintes, Festival Sinfonia en Périgord ; prochaines représentations au Festival baroque de Pontoise le 12 octobre et à l’Opéra du Château de Versailles le 13 octobre), ils proposent une autre recréation, Lyrique tragédie, un opéra imaginaire pour soprano Lyrique Tragédie, construit d’airs et des pièces instrumentales de différents compositeurs, avec Véronique Gens.
C’est un hommage à la musique française, de la tragédie lyrique de Jean-Baptiste Lully (1632-1687) à l’opéra ballet de Jean-Philippe Rameau (1683-1764), en passant par Destouches — ils insèrent trois extraits d’Issé —, André Ampra (1660-1744), Jean-Féry Rebel (1666-1747), François Francœur (1698-1787), Antoine Dauvergne (1713-1797), mais aussi Jean-Marie Leclair (1697-1764), Marin Marais (1656-1728) sans parler de Jean-Baptiste Stuck (1680-1755) ou de Pancrace Royer (1703-1755).
A l’époque baroque, il était courant de créer des compilations, mais l’enjeu de ce concert est de créer une véritable trame, sous forme d’un opéra avec prologue et quatre actes qu représentent le chaos et les quatre éléments. Le thème des éléments (L’eau, l’air, le feu et la terre) n’est pas nouveau pour Les Surprises. L’ensemble a dans son répertoire Les Eléments de Destouches, présentés il y a quelques années au Festival d’Ambronay même et enregistrés sous le label Ambronay éditions (sortie en avril 2016).
L’œuvre commence avec Le Chaos de Rebel, dans une succession de dissonances surprenantes faisant appel à tous les instruments. L’air « Fureur Amour » de Scanderberg de Rebel et Francœur, que Véronique Gens chante avec l’engagement vocal et émotionnel que l’on connaît d’elle, donne le ton à la soirée. Avec cet air, elle s’impose d’emblée par la justesse du discours et la diction et la prosodie impeccables. Un autre ton, plus gracieux, est évoqué avec le « Menuet » des Eléments de Destouches, avant de céder au « Tremblement de terre » (Polyxène de Dauverge) où retentit les fracas aux timbales.
L’acte premier « L’eau » est probablement le plus varié des quatre actes. Les coups de tonnerre et autres bruits des « esprits élémentaires » cède à la colère exprimée dans « C’en est donc fait » de Stuck (Polydore), alors que le vent continue de souffler. Puis, « Air tendre » des Fêtes d’Hébé de Rameau s’enchaine à « Marche, trio et air des esprits élémentaires » d’Issé, qui fait monter la puissance de la protagoniste. Celle-ci entonne alors « Enfin il est en ma puissance » (Armide de Lully). Fière et déterminée, Véronique Gens s’exprime de la façon unique à elle : le contraste sur « Achevons.. je frémis ! Vengeons-nous… je soûpire ! » est prodigieux, alors que, en véritable tragédienne, elle n’hésite pas à pousser presque un cris sur « Que, s’il se peut, je le haïsse ! »… que le chef fait enchaîner le plus naturellement au monde à l’« Air pour les divinités » (Les éléments) qui met en valeur tout un art de la flûte à bec.
Dans la continuité, la flûte à bec ouvre l’acte suivant, celui de l’air, avec trois pièces interprétées l’une après l’autre : Air pour les heures, Air pour les heures et les zéphirs et Passepied. L’acte est dominé par une atmosphère retenue, symbolisée par « Mes Yeux fermez-vous à jamais » (Le Carnaval de Venise de Campra) que Véronique Gens chante avec une délicatesse rare, et « Sommeil et Sarabande » (Issé). Si cela se termine avec un joyeux « Tambourins » (Surprise de l’amour de Rameau), à l’acte III le feu s’ouvre avec le prélude de Platée (Rameau, arrangement d’Yves Rechsteiner) avec de délicieuses nuances orchestrales languissantes, toujours dans le souci de la continuité par rapport à l’acte précédent. Une fois de plus, enchaînement se fait de manière extrêmement naturelle, comme si c’était une et même musique, avec l’air « Noires divinités » de Leclair (Scylla et Glaucus). La chanteuse met progressivement l’ardeur et la terreur qui appellent l’« Orage » (Platée) suivi d’un apaisement (« Entrée de Polymnie » Les Boréades de Rameau).
Après tant de parcours, le dernier acte évoque l’amour (« Dieu des amants fidèles », Zaïde de Royer et « Cruelle mère des amours » (Hyppolyte Aricie de Rameau). Là encore, Véronique Gens excelle dans la clarté des paroles parfaitement adéquate avec les phrasés délicatement tournés. La succession alterné des airs et des pièces d’orchestre sont toujours soigneusement étudiée et réalisée, et la Chaconne de Marin Marais offre une véritable sensation de la fin d’une histoire.
Pour répondre aux spectateurs impressionnés et enthousiastes, Les Surprises interprètent d’abord un Rigaudon puis, avec Véronique Gens, de nouveau « Mes yeux, fermez-vous à jamais », invitant l’assemblée à laisser ce Lyrique Tragédie se refermer.
Le concert est visible sur CultureBox jusqu’au 16 septembre 2019.
Photos © Bertrand Pichène