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Berliner Philharmoniker : Le choix de ne plus l’avoir

Berliner Philharmoniker : Le choix de ne plus l’avoir

16 May 2015 | PAR La Rédaction

Surmédiatisée par rapport à l’influence de la musique classique dans le monde actuel, l’élection du nouveau directeur des Berliner Philharmoniker s’est soldée par un échec retentissant (Voir ICI). Comme en politique, on pense d’abord aux candidats malheureux, oubliant trop rapidement que les grands perdants d’une élection sont d’abord les électeurs.

Prévue depuis plusieurs mois, la désignation du successeur de Simon Rattle au Berliner Philharmoniker devait avoir lieu lundi dernier à la Jesus Kirche de Berlin, dans laquelle l’orchestre a réalisé de nombreux enregistrements mythiques avec Herbert von Karajan. N’ayant pas réussi à se mettre d’accord, les musiciens ont annoncé en soirée reporter le vote de plusieurs mois.

Utilisons les bons mots, ce lundi 11 mai aura été un fiasco pour la formation berlinoise, encore l’un des meilleurs orchestres de la planète. La presse favorable à son directeur actuel, Simon Rattle, dont le mandat s’achève en 2018, développe bien peu le pré-bilan de ses seize années. Elle ressasse à loisirs un renouveau apporté par le chef anglais et une ouverture sur le répertoire. Avec quoi ? Le consensuel sexagénaire John Adams peut-être, la jeune avant-garde musicale certainement pas ! Aura-t-il alors permis un regard neuf sur les œuvres classiques ? Vous en jugerez par vous-même lors de la tournée 2015, avec des intégrales Beethoven à Paris, New-York ou Vienne…

Ce qu’il reste de l’orchestre et de cette formation de tradition en 2015 : un son internationalisé, plus léger, plus fluide, aux individualités fantastiques, pas complètement en phase entre elles. Les Wiener Philharmoniker donnent dans leur fosse le son que l’on entend des enregistrements des années 50, la Staatskapelle de Dresde aussi, l’Orchestre du Met également, avec cette capacité à concentrer d’un coup toute la puissance dans une note, puis à jouer la suivante éthérée. Berlin a évolué, le terme tradition devenu gros mot a laissé place à celui d’innovation et l’orchestre est entré dans une modernité dont il ne sait plus quoi faire.

Alors ce 11 mai, au lieu de se poser les questions d’avenir concernant leur pérennité et leur supériorité, les 124 musiciens votant se sont posés des questions politiques. Plutôt que « Quel sera notre cœur de répertoire en 2040 ? », ils se sont demandés « Quel candidat nous dirigera encore dans 20 ans ? », plutôt que « Qui serait le plus heureux et le plus formateur pour l’ensemble ? », ils se sont dit « Quel prétendant a la meilleur image pour la presse ? ». En clair, et comme aux élections républicaines, ils ont cherché qui était le meilleur candidat, plutôt que de trouver le meilleur dirigeant.

D’une formation qu’on ne quittait qu’à sa mort, le Philharmonique de Berlin est devenu avec le chef Claudio Abbado une formation trop lourde que l’on quitte pour reconstruire autrement ailleurs, puis avec Simon Rattle une formation trop pesante que l’on quitte pour moins bien, avec tout le respect qu’on doit à l’excellent London Symphony Orchestra, dont il prendra les fonctions de directeur en 2017. Emmener Berlin vers l’avenir était donc selon les candidats en lice choisir un chef d’à peine 40 ans (Dudamel, Nelsons, K. Petrenko) et prendre à nouveau le risque important d’une rupture dix années plus tard, ou favoriser un candidat « d’attente » d’environ 70 ans, au regard de Barenboim, Muti ou Jansons, avec peut-être la chance de le voir mourir au pupitre… vaste programme !

Qu’auraient donc pu apporter Riccardo Chailly ou Christian Thielemann que n’avaient pas les autres ? L’aura d’un nom qui à lui seul remplit avec n’importe quel orchestre les salles du monde entier. La maîtrise absolue du matériau orchestral, avec une capacité non seulement à indiquer clairement ce qu’on souhaite faire entendre au public, mais aussi comment les musiciens peuvent y parvenir. Un répertoire allant de Bach à aujourd’hui, en passant par des programmes russes ou français (en 2016 un concert Fauré/Chausson/Debussy par Thielemann), des grandes symphonies (Bruckner 6 ou Faust Symphonie de Liszt par Chailly en 2013 et 2014, Bruckner 4 ou 8 par Thielemann). Une assurance pour les plus grands solistes d’un accompagnement idéal. Ou tout simplement une rupture conventionnelle dans 5 à 10 ans si besoin, pour raison de santé en cas d’excuse à trouver.

Qu’a-t-il manqué alors pour ne pas les élire ? Un refus de la part d’un des prétendants favori est toujours une éventualité, mais cela ne ferait qu’aggraver le problème : Berlin n’est plus seulement une formation que l’on quitte, mais aussi un ensemble que l’on rejette. Repousser l’échéance de six mois ou un an n’y changera rien : ce laps de temps est trop court pour faire ressortir de nouveaux génies à la direction d’orchestre et certainement déjà trop long pour proposer à nouveau le poste aux noms précités.  A trop écouter les bien-pensants dont les ambitions sont souvent de bien penser pour les autres, on risque finalement de ne plus penser par soi-même. Aujourd’hui les faits parlent d’eux-mêmes.

Vincent Guillemin


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La Rédaction

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