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Alexandre Bloch, directeur de l’Orchestre National de Lille nous parle de cette saison 2020-21

Alexandre Bloch, directeur de l’Orchestre National de Lille nous parle de cette saison 2020-21

06 October 2020 | PAR Yaël Hirsch

Alors que l’Orchestre National de Lille vient d’ouvrir sa saison avec un concert Copland, Haydn et Bartok et le soliste Edgar Moreau, et qu’il se prépare à jouer les 8 et 9 octobre au Nouveau Monde et à la Philharmonie un programme de Métamorphoses avec Micha Maïsky, Alexandre Bloch nous parle de cette saison 2020-21 où les réservations pour les concerts s’ouvrent peu à peu…

Comment vous êtes-vous adaptés à la situation de prudence sanitaire ? Vos bonnes habitudes de communiquer avec le public aussi via le numérique vous ont-elles aidées ? Comment cela a-t-il impacté cette programmation de saison ?

Pendant le confinement c’était assez exceptionnel, parce qu’avec nos enregistrements numériques, nous avions énormément de contenus de grande qualité audiovisuelle. On a pu les réutiliser pour garder un lien avec le public et aussi pour nous réinventer un peu. Notre tour de force a été de maintenir le festival Lille pianos et de le transformer en mode digital en gardant un tiers de la programmation qui était prévue. C’était le premier festival classique de cette envergure en France. Même si nous n’accueillons pas de public dans la salle, les artistes étaient au rendez-vous, le public était là aussi, derrière les écrans, avec une proposition artistique de festival qui se tenait. C’était important de continuer à jouer. Tous les artistes qui ont participé à ce festival le disaient.

Au mois de juin, nous avons continué à travailler en streaming avec l’orchestre, en choisissant de travailler en général par groupe d’instruments ou en orchestre plus réduit… Mais le public nous manquait, le fait de voir des visages dans la salle, de ressentir toutes ses émotions. Nous avons eu la chance de faire un concert avec le public le 14 juillet pour une fin de saison emblématique. Et quand nous avons repris le 24 septembre, cela faisait du bien de se retrouver. A Lille, le public est très fidèle à son orchestre. Dès que la billetterie a ouvert, nous avons eu des lignes d’attente pendant plusieurs jours. Le premier événement qui était, comme chaque année, une présentation de saison était plus rempli que d’habitude.

Bien sûr, il y a des annulations, d’artistes comme Nemanja Radulovic en résidence cette saison mais qui a été bloqué en Hongrie et a été remplacé le 24 septembre par Edgar Moreau…Et lorsque l’on va en région, parfois les salles ne sont pas équipées. Mais nous n’avons pas annulé, nous avons gardé ces concerts et décidé de les jouer à Lille. Nous ouvrons les concerts pour deux mois en attendant la suite des mesures de sécurité. Nous avons bien sûr réduit la jauge, à peu près à un tiers de la salle, mais en fait depuis la scène ce n’est pas si visible. Et l’on utilise un peu cette situation pour s’essayer à des répertoires dont nous n’avons pas l’habitude, on travaille par ensemble : les cordes ou alors les cuivres, et l’on travaille intensément selon de nouveaux axes.

Comment se déroule le début de la saison ? Avec quels grands solistes allez-vous jouer ?
Au-delà de la programmation à laquelle nous nous adaptons, comme toute entreprise. Octobre et novembre vont avoir lieu dans les mêmes conditions que la fin de la saison dernière, c’est à dire avec des concerts plus courts, d’une heure sans entracte, moins de personnes sur la scène, une plus grande distanciation entre les musiciens. Nous poursuivons les concerts “flash” du midi avec Micha Maïsky qui vient à Lille cette semaine et propose en plus du concert Métamorphoses, un concert plus intimiste où il joue avec sa fille violoniste, Lily, un récital qu’ils ont enregistré ensemble pour Deutsche Grammophon.
Nemanja Radulovic va également donner un récital flash. Et en janvier, j’espère qu’il n’y aura pas de problème pour qu’un autre grand soliste en résidence chez nous, Thierry Escaich vienne pour son Concerto pour orgue et orchestre n°1. C’était mon professeur et je sais que s’il faut tout changer pour pouvoir jouer, il le fera. Et nous continuons à diffuser nos concerts pour le public qui ne peut pas venir avec notre studio digital, visuel et audio.

Pouvez-vous nous en dire plus du concert Métamorphoses qui a lieu avec le violoncelliste Micha Maïsky les 8 et 9 octobre à Lille et Paris ?
J’attends vraiment avec impatience cette rencontre avec Micha Maïsky, j’ai vraiment hâte de pouvoir travailler avec lui et je suis heureux de pouvoir continuer le travail que j’ai commencé avec les cordes en cette rentrée. Aux côtés de deux pièces de Tchaïkovski et du Kol Nidrei de Bruch, c’est une pièce exclusivement pour cordes de Strauss qui donne son nom au concert, avec 23 solistes parmi les musiciens de l’orchestre. On a souvent parlé de cette pièce de 1945 en disant qu’à la fin de la Deuxième Guerre mondiale, le bombardement de Munich et notamment de son Opéra a marqué Strauss et l’a poussé à cette variation sur le deuxième mouvement de la Symphonie héroïque de Beethoven, qui est une marche funèbre. Mais en fait je pense que c’est plus compliqué que ça parce qu’on a retrouvé dans les esquisses d’autres pièces qu’avait faites Strauss, qu’il avait commencé à l’écrire bien avant et d’après un texte de Goethe assez profond. Les mots questionnent qui on est, qui on devient. Évidemment l’on sait bien le rapport que Strauss a eu avec le gouvernement pendant cette période particulière de l’histoire. Et alors qu’il s’est détaché des autorités nazies à la fin, je pense que c’était sa manière de prendre conscience que peut-être c’était un peu tard. La pièce est introspective et dit quelque chose de la versatilité des hommes en fonction de la situation. Et puis peut-être que ce terrassement de l’Opéra de Munich, c’est tout l’art qui s’en va. Mais en même temps la fin de la guerre c’est aussi la fin de la période la plus terrible de l’histoire. Donc voilà c’est ce recul que j’aimerais donner à notre interprétation de cette œuvre.

Et pour le reste de la saison, les grandes lignes sont tout de même esquissées ?
Oui, nous avons tiré deux fils rouges : celui des héros que nous allons essayer de respecter, ce qui n’est pas toujours facile, par exemple pour la Symphonie fantastique de Berlioz avec une formation réduite. Et puis nous restons dans l’année Beethoven d’ici la fin de l’année civile, avec même un petit peu dans la suite en 2021 notamment avec notre chef invité principal Jan Willem de Vriend qui va conduire la 4e Symphonie, notre fondateur Jean-Claude Casadesus qui dirige la 1ière et la 5e, et normalement de mon côté je ferai la 3e aussi. Pour ces grandes œuvres, le problème ce n’est pas tant le nombre de musiciens qu’on peut mettre sur la scène, par exemple sur ces symphonies-là, mais celui la longueur du concert : si on veut le jouer sans entracte, il faut juste garder la symphonie.

Vous avez aussi prévu plusieurs ciné-concerts, notamment, un diptyque Hitchcock et une ouverture sur le jazz avec Eric Truffaz et Chilly Gonzales ?
C’est la politique de l’orchestre de proposer un programme transversal, que ce soit d’accompagner un pianiste de jazz comme Chilli Gonzalez ou un trompettiste comme Eric Truffaz, mais aussi de faire des ciné-concerts. Notre version de Star-Wars les années précédentes a vraiment conquis le public et nous sommes heureux de pouvoir varier les répertoires avec un week-end Hitchcock, où nous jouons avec Vertigo et l’orchestre de Picardie, Psychose. Au programme pour les plus petits également, nous avons prévu de jouer avec le film Mary Poppins. Et c’est bien de pouvoir proposer de la musique pour tous les âges.

Comment allez-vous à la rencontre des plus jeunes, quel est votre programme pédagogique ?
La pédagogie est toujours au cœur de l’Orchestre National de Lille, toujours au cœur de mes valeurs à moi aussi. Nous avons mis en place un dispositif d’éducation musicale avec l’orchestre Démos et un programme pour les enfants de 7 à 12 ans issus de centres sociaux. Je travaille sur cet orchestre Démos avec une autre chef d’orchestre, Lucie Leguay, qui en parallèle est chef assistant à l’Orchestre National de Lille. Avec ces jeunes, nous avions fait un premier orchestre d’une centaine d’enfants sur un cycle de trois ans, et nous avons recommencé un autre cycle l’an dernier. Mais ils ont dû s’arrêter en en cours de route. Pendant le confinement nous avons gardé le lien avec ces enfants, j’ai notamment enregistré des vidéos pour eux, qui prenaient parfois l’aspect de petites pastilles humoristiques, et post-confinement il y a eu des rendez-vous individuels. Ils ont fait leur rentrée la semaine dernière avec les intervenants, et nous adaptons le programme : nous allons les séparer en trois pour pouvoir pallier à la situation. L’orchestre a également participé à l’opération de l’Education Nationale de La rentrée en musique. Il y a des groupes d’instrumentistes qui dès le mois de septembre sont allés faire la rentrée dans certains collèges, certaines primaires… Enfin, si la billetterie n’est pas encore ouverte au grand public après novembre, pour les groupes scolaires, toute la saison a été ouverte. Il y aura aussi des opérations avec des étudiants. Chaque année l’association de mécènes Arpège offre des places à tous les étudiants de la métropole Lilloise et de la région : nous offrons la moitié d’une salle à ces étudiants et c’est une sortie importante pour eux. Nous sommes une de salles avec l’âge moyen le plus jeune de France, avec un public assez diversifié.

Y a t-il une autre actualité importante en ce début de saison pour l’Orchestre National de Lille ?
Parmi nos actualités, je suis également très fier de la sortie cet automne de notre nouveau CD de la 7e symphonie de Mahler qui vient en point d’orgue du grand cycle Mahler que nous avons organisé entre janvier 2019 et janvier 2020. Nous l’avons enregistrée avec Alpha Classics. Le travail que nous avons effectué avec les musiciens, en profondeur, a permis de sortir un disque au répertoire assez conséquent avec des parties qui sont très virtuoses pour tous les musiciens, qui sont très exposés, mais qui ont la force technique et artistique pour le faire… Non seulement le disque est venu conclure un travail sur la longueur de maturité avec la musique de Mahler, mais nous avons emporté ce concert sur les scènes de la Philharmonie de Paris et de Liège. Il y a vraiment une histoire autour de cette symphonie et je suis heureux que nous ayons un beau témoignage de notre travail… Après l’enregistrement j’ai beaucoup travaillé avec l’ingénieur son pour les couleurs afin d’être le plus fidèle au son de l’orchestre tel que je l’entends du podium et faire entendre cette clarté sonore qui un peu notre signature.

visuel : Ugo Ponte © onl _ orchestre national de lille

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Yaël Hirsch
Co-responsable de la rédaction, Yaël est journaliste (carte de presse n° 116976), docteure en sciences-politiques, chargée de cours à Sciences-Po Paris dont elle est diplômée et titulaire d’un DEA en littérature comparée à la Sorbonne. Elle écrit dans toutes les rubriques, avec un fort accent sur les livres et les expositions. Contact : [email protected]

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