Musique
[Chronique] « The End » : commencement d’une nouvelle ère de l’opéra au théâtre du Châtelet

[Chronique] « The End » : commencement d’une nouvelle ère de l’opéra au théâtre du Châtelet

15 November 2013 | PAR Sandra Bernard

[rating=3.5]

Déroutant, surprenant, impressionnant, les qualificatifs manquent pour parler de The End, le nouveau spectacle du théâtre du Châtelet. Imaginez, un opéra contemporain sans interprète vivant sur scène ! Interprété par Hatsune Miku, une idole vocaloid, un logiciel à la pointe de la technologie nippone en matière de création vocale.

Imaginez, la scène du Châtelet occupée par un vaste dispositif vidéo (4 écrans et des projecteurs pilotés par ordinateurs) et avec, dans un coin, une console musicale masquée par des écrans. Après une longue introduction dans le noir le plus total, Miku apparait, flottant dans les airs, elle s’éveille dans une pièce virtuelle aux côtés d’une souris géante qui semble veiller sur elle. Tout est en place, l’histoire débute, sombre, souvent abstraite et inquiétante.

En 1h30 se succèdent des tableaux très différents, entre monologues introspectifs, grandes déclamations et phases de silence. La musique, parfois à la limite de la dissonance, est basée sur des harmoniques simples voire dépouillés. L’opéra, entièrement imaginé par le musicien Keiichiro Shibuya qui utilise le logiciel vocaloid permettant de synthétiser une voix et des d’instruments à cordes ou à vent classiques, mais aussi de la musique électro, transformant le très sage théâtre du Châtelet en boite de nuit high-tech. Les sonorités sont étranges et inhabituelles, la voix cristalline et métallique déverse son flow à une vitesse hallucinante, avec naturel. Miku et son “double” conversent souvent et, là encore, la prouesse technique est au rendez-vous puisqu’avec le même logiciel on obtient deux voix proches mais distinguables.

Les mouvements sont fluides, la symbolique est présente, l’ambiance est dérangeante avec le trio Miku, la souris et l’autre, tant les relations entre les personnages sont étranges. La séduction de l’image opère, oscillant entre narration introspective et luminosité épileptique.

Pour réaliser cette performance, Keiichiro Shibuya a choisi Hatsune Miku, la première idole vocaloid et véritable Diva idéale, afin de dépasser les limites de la voix humaine. Cette dualité entre son apparence humaine et sa nature synthétique est grandement utilisée dans la trame de la tragédie. Cet être totalement virtuel est une jeune fille à la longue chevelure verte, au visage fin, aux grands yeux et à la voix cristalline. Adulée en Asie depuis 2007, cette idole 2.0 s’est déjà produite en concert devant des milliers de fans conquis, et le nombre de visionnages de ses clips sur internet dépasse celui de Lady Gaga. Sa popularité tient à la possibilité pour chacun d’utiliser le logiciel vocaloid et de créer ses propres compositions avant de les partager sur les réseaux sociaux, et à son look kawaii inspiré des uniformes de lycéennes. Elle “médite” également sur sa relation à ses fans, ceux qui la font avancer au sens propre du terme. Connue pour ses interprétations de chansons gaies, son utilisation dans cet opéra sombre et tragique peut étonner. Elle est connue dans nos contrées pour son interprétation du générique de fin de l’animé Black Rock Shooter. Son relooking par Marc Jacobs, alors encore chez Louis Vuitton, la rend plus mature.

L’œuvre est née d’une collaboration entre des acteurs de l’avant-garde : musicien, auteur et metteur en scène, vidéaste et membre d’un collectif d’architectes new-yorkais. On trouve ici une trame dramatique, des arias, des récitatifs, tout comme dans un opéra traditionnel mais transcendés. The end est une expérience des plus originales, à la fois futuriste et esthétique, qui perturbe et demande une certaine réflexion. Il est également clair que ce type de production ne plaira pas à tous les publics.

Page de l’opéra sur le site du théâtre

Interview des créateurs (Japonais sous titré anglais)

Visuels : ©Théâtre du Châtelet/©Vuitton

Informations pratiques :

Les 12, 13 et 15 novembre 2013 à 20h, prévoir 10 € pour le catalogue.

En japonais, surtitré

Producteur : Atsunori Toshi (A4A). Soutien à la production : YCAM. Co-réalisation : Théâtre du Châtelet, A4A /
Collaboration costumes : Louis Vuitton.
Avec le soutien de : grand marble.
Remerciements : (C) Crypton Future
Media, ATAK. « Vocaloid » est une marque déposée par Yamaha Corporation

Infos pratiques

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Amelie Blaustein Niddam
C'est après avoir étudié le management interculturel à Sciences-Po Aix-en-Provence, et obtenu le titre de Docteur en Histoire, qu'Amélie s'est engagée au service du spectacle vivant contemporain d'abord comme chargée de diffusion puis aujourd'hui comme journaliste ( carte de presse 116715) et rédactrice en chef adjointe auprès de Toute La Culture. Son terrain de jeu est centré sur le théâtre, la danse et la performance. [email protected]

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