Chanson
[Interview] Benjamin Schoos : « je me sens comme un artiste transversal »

[Interview] Benjamin Schoos : « je me sens comme un artiste transversal »

30 May 2014 | PAR Bastien Stisi

Aussi éparpillé (et aussi drôle) en interview que dans le cadre de ses multiples activités artistiques (chanteur et compositeur, fondateur et patron du label Freaksville Record, chroniqueur, ancien dessinateur, ancien rockeur, ventriloque pour les besoins d’une émission de radio belge…), Benjamin Schoos s’apprête à sortir Visiter la Lune, un EP qui introduit son second album à paraître au mois de septembre, et qui continue à faire graviter la pop francophone dans un second degré élégant et rétro futuriste…

Je suis désolé : quand j’ai tapé « Une Dernière Danse » sur Google, je suis tombé sur le morceau de Kyo, et ensuite sur celui de Indila

Benjamin Schoos : C’est déjà ça, je suis troisième ! Ce n’est d’ailleurs pas de chance parce que ça fait deux-trois ans que cette chanson est dans les cartons (comme je suis sur de nombreux projets en même temps, il y a toujours un décalage entre ce que je fais sur scène et ce que je promotionne), et on le  sort pile au moment où il y a un tube en France qui s’appelle « Dernière Danse » ! En même temps, pour ce qui est du référencement, ça pousse parfois un peu le truc vers le haut parce que les gens se trompent : tu veux acheter Indila en MP3, tu es distrait, y a un coup de téléphone, et bim, tu achètes Benjamin Schoos.

Une Dernière Danse, c’est donc le nom de l’EP que tu viens de sortir, bientôt suivi d’un autre (Visiter la Lune), et avant un second LP (Beau Futur) qui sortira un peu plus tard…Je t’avoue être un peu perdu dans ta discographie…

B. S. : En gros, il y a un album qui sort en septembre et deux singles juste avant. Le format digital et numérique nous oblige un peu à repenser ce genre de sorties : quand on regarde par exemple les stats de mon album précédent (sur Deezer ou sur Spotify), on voit que les cinq premiers titres ont beaucoup été écoutés, et que personne n’a écouté les autres. Alors, autant sortir directement des singles de cinq titres, comme ça les gens écouteront l’album en entier…

Dans Dernière Danse, on te sent proche de Biolay et de Christophe, et dans Visiter la Lune, on pense plus à Tellier ou à Marchet (le côté pop symphonique et cosmique). La distinction était-elle volontaire ?

B. S. : Je pense effectivement que ces gens dont tu parles ont des goûts communs avec moi. Le premier EP a essentiellement été enregistré en Espagne, à Séville, avec un batteur latino cubain qui a un groove un peu particulier, et transposé dans l’univers un peu « chanson » qui est le mien, c’est vrai que ça peut rappeler Christophe. C’est peut-être dû aussi au fait que je compose au piano sur Dernière Danse, chose que je ne faisais pas avant sur Chine Man vs Chinese Girl.

Concernant Visiter la Lune et Florent Marchet, je connais le concept de Bambi Galaxy mais je ne l’ai pas encore écouté, mais je crois que tu as raison, on partage des thématiques (le futur, l’anticipation, la science-fiction) qui sont dans l’air du temps dès lors que l’on parle de musique pop. Barbara Carlotti aussi a fait un disque de ce style, Cosmic Fantaisie. Le rock est mort, et est symbole d’une musique capitaliste et mercantile. La pop l’a toujours été, mais dans son verset le plus rétro futuriste, on a la sensation d’avoir une certaine forme de liberté.

Et puis, le fait de faire de l’anticipation pop permet de raconter des trucs de fous. Quand j’ai sorti L’homme-Libellule par exemple, on était en plein dans une époque où régnait une pop française du quotidien façon Renan Luce. « Dans mon frigo, y’a des œufs » : je n’ai jamais tellement adhéré à ce genre de pop. J’essaye plutôt de m’extraire de ce genre de réalité par le biais de scénarios.

Le côté kitsch eighty, on l’a d’ailleurs toujours senti, que ce soit dans le son comme dans l’esthétisme de tes clips (on se souvient du clip de « Je ne vois que vous », avec Laetitia Sadier)…

B. S. : En fait, c’est plutôt la vision qu’ont les autres de ma musique qui transparaît dans les clips : je suis incapable de tenir correctement une caméra ou de ne pas rendre floue une photo prise avec un smartphone, alors je laisse beaucoup de libertés aux personnes qui travaillent avec moi !

Tu es peut-être incapable de tenir une caméra, mais il n’empêche que tu es quand même un peu dessinateur…

B. S. : En Belgique, pour vivre de ton art, tu es obligé d’être un peu multitâches…J’ai proposé ma musique au peuple Belge, et en retour, on m’a proposé de faire des dessins pour un magazine ! À l’époque, je remplaçais un pote qui était dessinateur pour le magazine Le Soir en Belgique. Il était malade, et il savait que je faisais un peu de collages : j’ai fait une série de dessins, c’était sympa. Suite à ça, j’ai un magazine mensuel qui m’a proposé de faire la couverture de l’édito pendant quelques années, entre 2005 et 2010. J’ai ensuite fait des chroniques à la radio dans une émission humoristique. C’était vraiment n’importe quoi (je faisais tous les jeudis une séance de ventriloque complètement débile…), mais j’étais payé. À côté de ça, j’ai continué à faire de la musique, et je suis passé dans la catégorie « producteur ». J’ai alors monté en 2006 avec quelques amis le label Freaksville Record, sur lequel je fais paraître mes disques et des artistes que j’aime bien.

Et tu arrives à trouver une cohérence artistique entre toutes ces activités ?

B. S. : Artistiquement, on peut dire que le LP à venir ressemble au véritable « moi ». En ce qui concerne les disques que j’ai fait précédemment, il est vrai que tout ça était assez éparpillé, et finalement pas très lisible. Aujourd’hui, je me sens véritablement comme un artiste transversal qui s’est battu pour gérer et pour posséder ce qu’il a créé (ce qui est rare dans le cadre d’un artiste), plutôt que de signer avec une multinationale ou un label. Je n’avais pas envie de me faire dépouiller de ma culotte pour être multi-diffusé en radio et faire la couverture des magazines. Je me sens mieux dans cette position-là.

Il y a un côté hyper cinématographique dans ta musique. Tu citais Godard sur ton dernier album (« La Chinoise »), là, sur « La Grande Aventure »tu cites Luis Buñuel en évoquant « Belle de Jour »…J’ai aussi lu que ton père tenait un vidéo-club quand tu étais plus petit.

B. S. : En fait, mon père était docteur en biochimie génétique, et ma mère était scientifique également. J’ai donc baigné dans un climat de ce genre, et même si mes parents n’étaient pas des casses-couilles qui parlent tout le temps de trucs scientifiques. La génétique, les mutants, la trisomie…c’est des trucs qui m’ont toujours poursuivi ! Mon père faisait des courses de bagnoles avec des potes, et ils avaient ouvert un vidéo-club qu’il tenait un week-end par semaine. J’ai forcément avalé beaucoup de choses, et notamment beaucoup de séries B. Ma culture est donc essentiellement cinématographie, mais du point de vue « vidéo ». Par contre, je n’étais pas trop rayon porno. Maintenant, à huit ans, les gamins savent ce que c’est qu’un gang bang, mais avant, on ne savait pas trop…

C’est ce qu’évoque ton morceau « Sexomaniaco 2000 » ?

B. S. : Je parle surtout du passage à l’an 2000. On parlait beaucoup du bug et tout, mais moi ce qui me fascinait c’était que beaucoup de magasins s’appelaient « 2000 quelque chose ». Genre « coiffure 2000 », « Optique 2000 ».  J’ai aussi des potes qui sont témoins de Rael, qui m’expliquaient que pour entrer en état d’hypnose en méditation, il fallait faire la prière en regardant l’anus de la personne qui est devant toi. Selon eux, l’anus est le centre stellaire et cosmique. J’évoque ça aussi dans la chanson.

Tu donnes la sensation de vouloir te réinventer à chaque projet, jusqu’aux différents personnages que tu utilises dans tes albums…

B. S. : Je ne sais pas. Mais c’est vrai que, comme un gamin, lorsque je vois quelque chose qui me plaît bien, j’ai envie de le reproduire, et ce même si tu ne fais jamais exactement la même chose que l’original. Mais c’est plutôt une envie spontanée, enfantine. Comme un carnet de dessins que tu remplirais au gré des envies.

J’aimerais finir en faisant écho à cette interview, période Miam Monster Miam qui circule sur le net, sur laquelle tu parles des tableaux de chat que tu as chez toi…

B. S. : Cette interview était un peu particulière : le but de l’émission était d’amener des objets qui sont censés te toucher. Généralement, c’est une émission assez psychologique, où les gens sont très sérieux. Moi, j’ai pris ça comme un gag, et j’ai tout inventé. Sauf que le mec qui présentait l’émission n’a pas du tout saisi mon humour, et a compris seulement à la fin que je me foutais un peu de sa gueule. Ça a fait un tollé général au sein de la télé, et j’ai été blacklisté. Il était un peu vexé…Donc non, j’aimerais bien, mais je n’ai pas de tableaux de chats déguisés accrochés à mes murs. Le seul truc qui est vrai, c’est que je suis resté traumatisé par ce petit singe qui a sauté dans la friteuse alors qu’on était en repas de famille, et que j’évoque dans l’interview. Quoi qu’à bien y réfléchir, je crois que ce n’était pas un singe, mais peut-être un écureuil de Coré…tu peux désormais rétablir la vérité sur cette affaire !


Benjamin Schoos, Visiter la Lune, Freaksville Records, 2014

Visuel : © François Mercier

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Bastien Stisi
Journaliste musique. Contact : [email protected] / www.twitter.com/BastienStisi

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