Chanson
Florent Marchet : “A travers cet album, j’ai porté un regard sur l’environnement dans lequel je vis et évolue” (interview)

Florent Marchet : “A travers cet album, j’ai porté un regard sur l’environnement dans lequel je vis et évolue” (interview)

30 November 2022 | PAR Lucine Bastard-Rosset

Le 10 juin 2022 marque la sortie du cinquième album solo, Garden Party, du chanteur français Florent Marchet. Dans le cadre de son concert au Café de la Danse à Paris et de sa tournée dans toute la France, Toute la Culture a eu la chance de l’interviewer sur son parcours artistique. 

Pour commencer, je souhaitais revenir rapidement sur votre parcours artistique. Vous avez découvert la musique très tôt en apprenant le piano dès l’âge de 5 ans. Est-ce qu’il vous est apparu naturel de devenir musicien professionnel ? Qu’est-ce qui vous a mené sur cette voie ?

La question ne s’est pas posée, je n’ai jamais ressenti le besoin de faire des choix, dans le sens où je ne me voyais pas faire un autre métier – si on peut appeler ça un métier – qu’un métier passion. 

J’ai commencé la musique très tôt. J’habitais un petit village dans le Berry et mes parents organisaient des concerts grâce à leur petite association. Ils invitaient des musiciens, des chanteurs de jazz pour le week-end et ces derniers en venaient parfois à dormir à la maison. Ce fut une ouverture artistique assez dingue pour moi. Je trouvais que la vie des adultes était assez ennuyeuse et terrifiante, et je ne voulais pas devenir ce type d’adulte. Je ne souhaitais pas avoir ce type de vie : partir le matin pour aller au bureau. 

La question ne s’est donc jamais posée, mais plusieurs fois, je me suis demandé comment j’allais en vivre. A l’époque, je crois que je préférais être à moitié “clodo” et musicien plutôt que de travailler dans un bureau.  

Vous réalisez votre premier album Gargilesse en 2004. Composer ce premier album a-t-il été quelque chose de marquant dans votre parcours ? Cela a-t-il été une étape compliquée à franchir pour vous ? 

J’ai mis du temps car il y a eu toute une période où je ne voulais pas nécessairement être chanteur, et finalement j’ai signé au moment où je souhaitais le moins être chanteur. J’ai commencé à écrire mes premières chansons assez jeune – vers l’âge de 15-16 ans – et j’ai fait des concerts très tôt en jouant un peu partout dans des bars. J’ai fait différents types de musique : de la musique irlandaise, des compositions pour le théâtre, des mariages… Je ne refusais aucune sollicitation car je voulais absolument vivre de ma musique. 

J’ai rencontré une éditrice en 2003 et je lui ai montré mes chansons pour que d’autres puissent les interpréter. Finalement, elle les a envoyés à Jean-Daniel Beauvallet des Inrocks et à Bernard Lenoir de France Inter – deux figures emblématiques de la musique indépendante de l’époque. Ils ont adoré et en ont parlé à beaucoup de personnes. 

Tout s’est donc fait simplement et c’est cet aspect qui m’a plu car je ne cherchais pas à séduire ou à plaire à un label. On me donnait la possibilité de réaliser un album et je pouvais le faire comme je l’entendais. Je tiens beaucoup à l’idée de ne faire aucun compromis dans ce que je fais car je ne veux pas avoir à regretter mes choix. Pour moi, le pire est de composer un album en faisant des concessions et que cet album ne marche pas. Au moins, si mon album ne marche pas, je n’ai aucun regret car je ne le concevrais pas autrement. Je fais de la musique et j’écris par nécessité, une nécessité existentielle. 

Vous avez réalisé cinq albums solos et deux albums en collaboration avec l’écrivain Arnaud CathrineVous avez expérimenté deux processus de création bien distincts (en solo / en collaboration), en quoi diffèrent-ils ou au contraire se rejoignent-ils ? Sont-ils complémentaires pour vous ? En quoi avez-vous besoin de l’un et de l’autre ?

A l’origine, ce projet est né de mon envie de travailler avec Arnaud car c’est un ami que j’aime beaucoup et dont j’admire le travail. On a commencé notre collaboration avec des lectures musicales : je mettais en musique des extraits de ses écrits que nous mettions par la suite en miroir avec certaines de mes chansons. 

Par la suite, l’idée d’écrire ensemble est apparue et on s’est tournés vers la lecture musicale. On a alors découvert qu’on pouvait coécrire sur des textes en prose, tout en disant les choses différemment. Il nous semble plus simple d’aborder des questions plus sociales et politiques à travers un format plus littéraire. Le premier, Frère animal est né d’une liberté totale puisque je produisais l’album. 

Arnaud m’a permis de beaucoup apprendre et m’a fait gagner en confiance. J’avais tendance à énormément jeter mes écrits car je les trouvais nuls. Il m’arrivait de mettre un temps fou à terminer mes chansons car j’avais l’impression qu’elles étaient médiocres. 

Lorsque l’on a commencé à écrire à deux, j’étais pétrifié. Après avoir écrit chacun de notre côté, on mutualisait nos idées et je me critiquais. Arnaud a finalement commencé à faire “mes poubelles” en me demandant ce que j’allais jeter. Il faut savoir que l’écriture ce n’est jamais un acte intellectuel, c’est la réécriture qui l’est. Il est important de savoir faire le tri dans un premier jet, mais j’ai appris à ne pas tout enlever avec Arnaud. 

Arnaud m’a surtout permis de réaliser ce rêve que j’avais depuis longtemps et que je ne m’autorisais pas, à savoir, écrire un roman. J’écrivais déjà des nouvelles mais comme je pensais que ce domaine n’était pas fait pour moi, je ne les montrais pas. J’avais beaucoup de complexes et un manque d’autorisation. 

Arnaud m’a permis de me déverrouiller et je lui ai aussi apporté des choses. Mais ce qui comptait surtout, c’était l’aventure humaine et de réaliser des choses ensemble. 

Afin de revenir plus spécifiquement sur votre album Garden Party sorti le 10 juin 2022, je voulais savoir ce qui vous avait mené à la création de cet album sachant que vous n’aviez pas réalisé d’album solo depuis 2014 avec Bambie Galaxy.  Ces huit ans d’intermède correspondent-ils à un choix de votre part ? Cet album a-t-il pris le pas sur d’ autres créations ?

Nécessairement, puisque toute création prend le pas sur une autre : Garden Party a balayé le second roman que j’étais en train d’écrire. 

Le confinement a joué un grand rôle dans cette création. C’est une période que j’ai particulièrement aimée car j’ai pu réfléchir sur ce qui a du sens et ce qui en a moins. Depuis le confinement, je vois la vie différemment. Le regard pessimiste et justifié que je portais sur notre futur s’est accentué. J’ai également décidé de ne faire que ce qui me plaisait, au moment où j’en avais envie. Grâce à mon premier roman, j’ai gagné confiance en moi, j’ai pu en vivre, et je me suis dit que quel que soit le format, j’allais prendre ce qui me paraît nécessaire au moment où j’en ai envie.

Plusieurs choses sont arrivées de manière concomitante. Premièrement, j’ai renoué avec le chant, je ne pensais pas revenir dans le cercle infernal de l’industrie du disque. Je sais qu’il y a des gens qui adorent ça, mais moi, je n’aime pas savoir si je vais être rentable ou non. Cette reconnexion avec le chant s’est faite grâce à une amie chanteuse lyrique. Elle m’a proposé de chanter à nouveau et cela m’a procuré beaucoup de plaisir et m’a permis de m’épanouir. 

Deuxièmement, j’ai pris le temps de me balader dans mon quartier pendant le confinement. J’habite dans un quartier résidentiel en banlieue et j’ai commencé à observer les maisons en promenant mon chien. J’allais au rythme du chien sans regarder mon téléphone ou écouter de la musique. Je me suis aperçu que ces quartiers sont très tristes : les habitants sont rassurés de se retrouver avec des personnes du même milieu social et ils ne se rencontrent pas. J’ai aussi remarqué qu’il n’y avait aucune maison en bordel, tout était très clean, avec des pelouses bien tondues. Au contraire, mes enfants disaient que notre maison ressemblait à une maison hantée. On avait un peu l’air du vilain petit canard dans ce quartier. 

J’ai absorbé ce qui était autour de moi. Par exemple, un matin, j’ai entendu les chiffres effarants des violences conjugales et on a beau les connaître, il faut continuer à les dire. Je me suis dit qu’avec toutes les personnes qui vivaient autour de moi, il y avait durant ma promenade une maison où ce qui se passe derrière les murs n’est pas très beau. C’est comme ça qu’est née la chanson “Comme il est beau”. 

Réfléchir à des tas d’histoires de quartiers, relier des histoires qu’on m’a raconté et des histoires vécues, ça m’a donné envie d’écrire sur des personnages. Les textes sont venus assez rapidement. Je souhaitais creuser certains sujets que je ne pouvais développer autrement. A travers cet album, j’ai porté un regard sur l’environnement dans lequel je vis et évolue. J’ai donc commencé à écrire quelques chansons pour assouvir mon envie d’écrire sur certains sujets. 

Depuis vos premiers albums, vos chansons sont empreintes d’une forte mélancolie et abordent des sujets souvent difficiles tels que la dépression, le deuil, les violences conjugales, l’anorexie, la violence, la frustration masculine et bien d’autres. Pourquoi ressentez-vous le besoin de dépeindre ces récits marquants et choquants de la vie ? Est-ce une volonté de pointer du doigt des ” sujets d’actualité” ? Une forme d’engagement ?

Ce ne sont que des sujets qui m’animent. Quand je m’intéresse à un sujet, cela part de mon intimité : le fait de connaître un ami qui ne parle plus à son fils par exemple. Je creuse ensuite ces sujets en écoutant des podcasts, en regardant des documentaires. Pour ce sujet-là, je pense que ce n’est jamais à l’enfant de revenir, ce sont les parents qui doivent tendre la main. A partir du moment où on met au monde un enfant, on a cette responsabilité-là et même quand il déconne, on l’aide sans le juger. 

Ce sont donc des sujets qui m’animent. C’est difficile à expliquer, mais si j’avais la force, l’envie, le désir extrême d’écrire sur un sujet léger, je le ferais. Mais je n’y arrive pas. 

Par exemple, j’attends beaucoup d’un livre que je choisis, ou d’une pièce de théâtre. J’attends que celui-ci change réellement ma vie ou me donne un éclairage sur le monde. Et je suis sûr que la chanson peut également permettre cela. Je pense que l’art et la culture peuvent être un contre-pouvoir et c’est comme ça que j’envisage mes chansons. Je ne me définis pas comme un chanteur engagé mais je suis concerné par la société et je ne peux faire semblant que tout va bien alors que ce n’est pas le cas. D’ailleurs, je suis toujours effaré lorsqu’on me dit que je suis pessimiste. Je trouve cela dingue car c’est juste que je ne suis pas une autruche avec la tête dans le sable. Je ne suis pas tout le temps enferré dans un désespoir profond en disant que c’est foutu, je garde quand même un peu d’espoir. 

Pour terminer, je souhaiterais savoir si vous comptez vous lancer dans un nouveau projet prochainement : que ça soit dans la création d’un nouvel album ou encore une autre création puisque vous êtes aussi écrivain et compositeur pour le cinéma et le théâtre.

Je suis en plein dedans, je veux terminer mon second roman avant la fin de l’année. J’ai déjà beaucoup avancé mais il faut encore que je creuse certaines choses. J’ai également très envie de refaire un album car j’adore ce qui se passe sur scène en ce moment et je sens que ça me fait un bien fou. Encore plus que jamais j’ai envie de faire des choses qui me donnent envie de me lever le matin. 

Quel est le sujet de votre prochain roman ?

Je n’en parle pas encore trop, mais cela sera sur la transmission et l’admiration. 

Visuel : © Marie Rouge – Florent Marchet

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Lucine Bastard-Rosset
Après avoir étudié et pratiqué la danse et le théâtre au lycée, Lucine a réalisé une licence de cinéma à la Sorbonne. Elle s'est tournée vers le journalisme culturel en début d'année 2022. Elle écrit à la fois sur le théâtre, la musique, le cinéma, la danse et les expositions. Contact : [email protected] Actuellement, Lucine réalise un service civique auprès de la compagnie de danse KeatBeck à Paris. Son objectif : transmettre l'art à un public large et varié.

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