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“Technoboss” : l’odyssée loufoque de Joao Nicolau dans une belle édition DVD signée Shellac

“Technoboss” : l’odyssée loufoque de Joao Nicolau dans une belle édition DVD signée Shellac

12 May 2021 | PAR Geoffrey Nabavian

Sorti en France directement en VOD en 2020, pendant le confinement dû au coronavirus, le nouveau film de Joao Nicolau est disponible en DVD, dans une édition signée Shellac qui propose aussi sa stimulante bande originale sur un CD audio séparé.

Le réalisateur portugais Joao Nicolau a fait son entrée sur la scène du cinéma d’auteur diffusé en France avec L’Épée et la Rose, sorti en 2011 et diversement reçu. En 2016, il peignait l’été d’une adolescente, dans son film John From. Dans Technoboss, il s’attache à un autre âge de la vie : le film suit les pas de Luis, proche de la retraite. Un vieux briscard assez fantaisiste qui vend et installe alarmes et systèmes de surveillance. Un homme qu’on suit un peu dans sa vie quotidienne et ses rapports avec sa famille – son fils, au cœur des mêmes déboires sentimentaux que lui, ou son petit-fils qu’il adore – mais qui se trouve bientôt lancé dans une suite de missions où s’exprime toute sa loufoquerie.

Le cinéma de Joao Nicolau entend révéler la poésie de la réalité et du quotidien, en cadrant leurs détails pittoresques et les petits incidents qui les parsèment. Ainsi, lorsque Luis effectue sa première mission, il se rend dans un vaste magasin au fronton duquel se trouve une imposante douche qui déverse en permanence de l’eau : vision curieuse, donnée à apprécier avec calme par la mise en scène. Plus tard, Luis revient d’un hôtel qui jouera un rôle important dans le récit, où il a effectué un travail, à sa façon : on lui apprend qu’il faut qu’il y retourne, et le plan qui suit cette annonce le donne à voir sur la route dans sa voiture, avec un groupe de musiciens de heavy metal à son bord, introduits dans le film sans plus de présentations.

Un réel décalé et cocasse

Tissées de micro incidents étonnants, la narration et la mise en scène de Joao Nicolau entraînent ainsi, assez facilement, le spectateur au cœur d’une odyssée légèrement cocasse, avec de la personnalité. C’est la réalité qui est donnée à voir, et ces procédés relativement discrets font ressortir la magie qui l’habite, et la petite mélancolie qui la hante parfois. De temps à autre, on s’interroge : celui qui incarne Luis, Miguel Lobo Antunes, est-il un acteur professionnel ou un homme jouant plus ou moins son propre rôle ? La réponse se trouve facilement sur Internet, entre autres, et de toutes les façons, au sein de ce film, il est amené à être un peu les deux, via la réalisation et le point de vue de Joao Nicolau.

De temps à autre, aussi, on se demande où tout cela va nous mener, quel sera le point d’arrivée de ce parcours. Puis, tout naturellement, on se rend compte qu’il se passe quelque chose de pas banal sur l’écran, et on se re-concentre sur la scène en cours : le rythme du film paraît inattendu, dicté au fil de micro incidents. Du même coup, les scènes existent pour elles-mêmes et constituent, pour une bonne part d’entre elles, des instants assez précieux.

Une édition DVD juste à la bonne hauteur techniquement

Le DVD du film édité par le distributeur Shellac – que l’on salue pour son remarquable travail depuis bien des années, incluant notamment la sortie du magnifique Malmkrog à l’été 2020 – offre une qualité d’image à une très juste hauteur, vis-à-vis du film lui-même : le grain de la photo n’est pas trop embelli, les images conservent une teinte réaliste et n’arborent pas des couleurs clinquantes. En conséquence, la substance et le sel du film ont tout l’espace nécessaire pour exister et s’en venir cueillir le spectateur : à l’image, le réel parfois grisonnant est bien là, et les petits incidents magiques ont tout le loisir de venir légèrement le saboter et le décaler.

Présenté en Compétition pour le Léopard d’or lors du Festival de Locarno 2019, Technoboss est également un film émaillé de scènes chantées. L’édition DVD propose la bande originale de l’œuvre sur un CD audio séparé. Idée judicieuse, tant les courtes chansons – aux paroles co-écrites en certains cas par Joao Nicolau – se distinguent par leur diversité. Donnant à entendre ces morceaux musicaux dans une qualité parfaite, ce CD audio offre donc une autre odyssée, une collection d’instants eux aussi décalés et légèrement réalistes, qui n’oublient pas, de surcroît, d’être pop. On vibre ainsi en réécoutant le thème mélancolique qui accompagne Luis conduisant, avant de replonger dans la chanson émouvante et rythmée où il dialogue avec son petit-fils. Tout ceci nous amène au morceau pop-rock où notre héros vante le mérite de ses ventes et installations – ainsi que de sa roublardise – en scandant à rythme régulier “Technoboss ! Technoboss !“.

Au final, outre ces différentes dimensions, on garde aussi le film en tête pour ses interprètes, tous ancrés dans le réel et décalés d’une belle façon en même temps, et les surprises de son récit, telles cette voix hors-champ qui vient aider Luis à vivre son histoire jusqu’au bout, et relate notamment une curieuse excursion dans des eaux troubles quasi illégales, filmée de manière inattendue. Un ton personnel, dans tous les sens du terme, en somme.

Technoboss est disponible en DVD, avec CD audio, chez Shellac. Informations et commande : https://bit.ly/3oeU1rN

Visuels 1 et 3 : © Shellac Distribution

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Geoffrey Nabavian
Parallèlement à ses études littéraires : prépa Lettres (hypokhâgne et khâgne) / Master 2 de Littératures françaises à Paris IV-Sorbonne, avec Mention Bien, Geoffrey Nabavian a suivi des formations dans la culture et l’art. Quatre ans de formation de comédien (Conservatoires, Cours Florent, stages avec Célie Pauthe, François Verret, Stanislas Nordey, Sandrine Lanno) ; stage avec Geneviève Dichamp et le Théâtre A. Dumas de Saint-Germain (rédacteur, aide programmation et relations extérieures) ; stage avec la compagnie théâtrale Ultima Chamada (Paris) : assistant mise en scène (Pour un oui ou pour un non, création 2013), chargé de communication et de production internationale. Il a rédigé deux mémoires, l'un sur la violence des spectacles à succès lors des Festivals d'Avignon 2010 à 2012, l'autre sur les adaptations anti-cinématographiques de textes littéraires français tournées par Danièle Huillet et Jean-Marie Straub. Il écrit désormais comme journaliste sur le théâtre contemporain et le cinéma, avec un goût pour faire découvrir des artistes moins connus du grand public. A ce titre, il couvre les festivals de Cannes, d'Avignon, et aussi l'Etrange Festival, les Francophonies en Limousin, l'Arras Film Festival. CONTACT : [email protected] / https://twitter.com/geoffreynabavia

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