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Loud “La culture québécoise est compliquée à définir, c’est un ADN un mélange, le rap, c’est la même chose”

Loud “La culture québécoise est compliquée à définir, c’est un ADN un mélange, le rap, c’est la même chose”

16 May 2022 | PAR Jacques Emmanuel Mercier

Loud est sans doute  le rappeur québécois, le plus connu. De passage à Paris, pour la sortie de son troisième album Aucune promesse. Une rencontre autour du rap et de la belle province.

On a pu apprendre que sur le deuxième album, vous aviez adopté un style plus large. Comment voyez-vous les choses pour ce troisième ?

Je dirais que l’on a pas continué sur cette voie. Sur le premier, Une année record et le deuxième Tout ça pour ça, nous étions dans une recherche d’un public plus large. Avec le temps de pause, que ce soit à cause du covid ou du temps que l’on s’est imposé nous-mêmes, j’ai eu le luxe de commencer un projet dans un certain sens, de me rendre compte que ce n’était pas ça que je voulais faire, de le reprendre à zéro. On a pu aller dans une direction plus rap, moins mélodique et mieux produit. C’est dans la subtilité que je le sens. C’est un album qui me ressemble sûrement plus que les précédents, c’est vraiment dans mes racines, à nos sauces. Je dirais plus québécois.

On sent dans les featuring beaucoup de rap, très rap québécois, non ?

L : Oui ! les personnes qui ont collaboré sont issues de cette scène québécoise. White-B, c’est un garçon très établi au Québec, son groupe L214 fonctionne super bien, Imposs, c’est une légende à Montréal, Racoon, c’est un peu l’avenir du rap québécois. C’est vraiment l’étoile montante du rap québécois, c’était important d’avoir ce côté très authentique, on cherchait des gens qui comprennent ce que l’on voulait.

 

Une différence majeure avec le rap français est que le rap québécois est sans doute beaucoup plus influencé par le rap US. On entend souvent dans tes textes par exemple des phrases en anglais. Est-ce que le rap québécois a une identité propre et si oui qu’elle est cette identité ?

L : Clairement oui. La culture québécoise est compliquée à définir, mais elle est différente de la culture américaine ou canadienne ou même française, c’est dans l’ADN, mais ce n’est aucun des trois. Dans le rap québécois, il y a une influence forte de la scène rap east coast. Je pense que le rap de cette scène nous a beaucoup influencé à l’époque, beaucoup plus que la scène rap française qui a du vite trouver son identité propre. De plus, je viens de Montréal et la plupart des gens sont bilingues là-bas, donc on est très porté sur ce qui se passe au sud. C’est aussi au Québec que l’on trouve beaucoup d’influence française, au niveau de la musique, du cinéma… La culture québécoise est faite de ça, de ce mélange, le joual par exemple, le franglais on arrive souvent à converser comme ça.

 On a pu lire que tes plus grosses influences étaient Jay-Z ou Kanye West avant d’autres. Est-ce que cela peut s’expliquer par le fait qu’ à l’époque, le rap français était plus compliqué à trouver là-bas ? 

L : je dirais que IAM, NTM, Solar, sont des projets qui ont énormément fonctionné au Québec, l’un des premiers albums que j’ai écouté, c’était un d’IAM, ils sont vraiment connus au Québec. Mes premières impressions du rap français, c’était sans doute L’école du micro d’argent, quand j’ai commencé à développer mes goûts, c’était avec du rap US. Des trucs auxquels je fais référence parfois sont issus de là. J’ai peut-être perdu de vue le rap français mais j’y reviens en ce moment.

On sait que vous faites très attention à vos textes. vous venez de nous dire avoir recommencé ce projet de zéro, pourquoi ça ?

Au début, on faisait peut-être machinalement ce que l’on avait déjà fait les deux dernières fois. On était dans un processus de création fort. Le rythme était très élevé. C’était sur plusieurs années de l’écriture, de la production des tournées, entre les albums, on voulait garder ce rythme-là. Avec la pandémie, durant deux ans, la nécessité de faire sortir des musiques rapidement à disparu selon moi. J’ai eu le temps de redécouvrir ce qui me plaisait dans le processus de création, on le faisait peut-être d’un angle trop business à un moment. L’idée était de garder la machine en vie. Beaucoup de choses nous ressemblaient de moins en moins, c’était des choses qui allait fonctionner, qui avait les codes pour, du moins. Durant la première partie de la production, les chansons que l’on a faites n’étaient pas inspirées, ça aurait pu fonctionner mais pour nous, non. Si on ne peut pas le défendre, ça ne marche pas. En parallèle, j’avais fait des choses plus rap, qui me parlaient. Des projets plus sombres, l’idée était de faire un projet qui partait dans ce sens-là. Au final, c’est devenu tout un album. Contrairement aux autres fois où l’on faisait 10 morceaux point, là, on en a fait beaucoup plus. On s’est permis pas mal de choses. Avec les deux producteurs, on se comprend très bien, on se suit depuis quelques temps déjà, notre intention, je le dis sans prétention était de faire quelque chose de beaucoup plus intemporel. On ne voulait pas faire quelque chose de commercial, un truc du moment, non. L’idée c’était de faire quelque chose par rapport à nos goûts à nous. Nous, on l’aime.

Dans l’une de vos chansons les plus connues Devenir immortel et puis mourir on peut entendre « On l’aura notre terre promise, on vivra à jamais dans les livres d’histoire ou dans les dossiers d’archives de la police». On a cette impression que la notion d’héritage vous préoccupe. Est-ce que vous avez peur de ne rien léguer de ton rap.

 Je ne dirai pas que c’est une peur qui m’habite, ce n’est pas quelque chose à quoi je réfléchis. Plus je vieillis, plus je vois, ce Big Picture, plus je pense aux traces que je peux laisser dans le rap québécois, faire un album comme celui-là, c’est une réflexion qui nous vient forcément. L’envie de voir venir l’industrie, ceux qui nous ont découvert, façon grand public, c’est peut-être plus à des trucs comme ça que je pense, comment on peut rediriger les courants, dans d’autres sens. Je ne sais pas si ça marche mais on essaye d’y contribuer avant de penser à mon héritage personnel.

Depuis tout à l’heure, vous vous exprimez avec des : “nous”, “on”. Cet album est-il un projet d’équipe ?

Ouais, c’est ça ! Pour un projet spécifique, parfois, des gens vont venir. Nous c’est moi et Jost, Ruffsound, on a une collaboration de longue date. On se connaît beaucoup aux niveaux des goûts. Mais je vois ça comme si on était un projet de groupe. J’écris les textes certes, mais c’est avec eux que je construis cet album. Donc, dans la présentation, c’est un projet solo, mais dans les faits, ils travaillent autant que moi sur le projet.

Sur le prochain album, il y a un projet qui s’appelle #10. C’est un morceau hommage à Montréal,  est-ce ça l’identité québécoise dans le rap, une adaptation des codes ?

Le Hockey, c’est une religion, Guy Lafleur, c’est une des plus grandes légendes du sport au Québec. Je voulais aussi faire le pont avec n°10 de Booba. Lui parle des personnes ayant porté le n° 10 dans le football, je voulais faire ce parallèle. Nous aussi, on a nos propres cultures, nos propre légendes. C’est aussi un message aux personnes qui nous écoutent en France. C’est comme une manière de présenter ce que l’on fait, qui on est. Il est important je pense de bien représenter sa ville. C’est une manière d’assumer, pas de copier, là, on montre en quoi on se distingue, c’est ce qui nous rend plus intéressants. Montrer ce que l’on a à offrir aux autres, le rap français ne manque pas de choses à proposer, il faut trouver quelque chose à proposer. C’est une fierté territoriale. Quand on a la chance d’avoir une vitrine, il faut être fier de là d’où on vient.

Depuis la France, on voit des reportages nous disant que la culture, québécoise est plus ou moins menacée par la culture anglo-saxonne. Est-ce important pour vous de défendre la culture québécoise ?

C’est clair ! après je pense que ca veut dire différentes choses, pour différentes personnes. Pour nous aussi il y a eu des problèmes, des controverses par rapport à la forte utilisation de l’anglais dans nos musiques, le mélange des langues… Pour certaines personnes, ça vient aider à diluer l’identité québécoise, américaniser notre musique. C’est une façon de le voir, nous, avons fait juste en sorte d’être honnêtes avec nous-mêmes. Qu’on aime ou pas, notre identité est québécoise, il y a ce bilinguisme-là. D’une certaine manière, j’ai plus l’impression qu’on défend l’identité montréalaise, que québécoise vraiment. Parce que, c’est ça que l’on connaît. Je pense néanmoins que la culture québécoise est en pleine santé. La menace de l’américanisation est là, certes, mais on n’est pas les seuls, c’est le cas en Europe aussi. Mais je pense que l’on est dans une période vraiment forte. Mais c’est un sujet fort, qui mérite plus de débat.

 

Vu de France, vous êtes le rappeur québécois le plus connu, avez-vous conscience de cela ? Ou avez-vous une autre analyse ?

Je crois oui, c’est un peu malheureux, mais il y a peu de rappeurs québécois qui ont pu s’installer ici et pérenniser leur présence, je ne dis pas l’avoir fait, loin de là. C’est un working in progress, aucune promesse, il arrivera ce qu’il arrivera. Plusieurs rappeurs, je pense, ont quand même une présence, c’est le cas des rappeurs comme Enima, Koriass, qui se font de plus en plus connaître en France. Mais c’est vrai que c’est compliqué, on a une barrière culturelle, je pense, peut-être que le rap français est « surchargé », l’offre est énorme, la compétition est énorme. Se faire une place pour n’importe qui, qu’on soit Français, Belge ou même Suisse, c’est compliqué, c’est difficile pour moi aussi. Pour un Québécois, c’est compliqué de s’exporter ici en France, ce sont deux ou trois artistes par génération.

Justement c’est toujours important pour un Québécois d’avoir une reconnaissance de la part de la France? D’un point de vue artistique ?

Je pense que oui. Ca fait toujours rêver. ça fait partie des ambitions pour n’importe quel artiste francophone, c’est aussi quelque chose de rare, en ce moment, c’est Hubert Lenoir qui marche bien. Une opportunité de se faire un nom ici, c’est rare, ça se tente forcément.   

Pour finir, j’avais envie de vous demander quelle était votre définition d’un “artiste” ?

Alors (rire) je ne sais pas si j’aurais une réponse vraiment intéressante. Je dirai, c’est quelqu’un qui a des idées et qui les exécute, c’est quelqu’un qui cherche et qui met en place ses idées, je dirai ça ! 

 

Crédit photographie  : pochette de l’Uber Eats Freestyle fourni par l’équipe presse

 

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Jacques Emmanuel Mercier

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