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Entretien avec Carole Saturno – Picture! Festival : L’illustration embrasse Bruxelles

18 June 2021 | PAR Sylvia Botella

C’est le week-end de clôture de la deuxième édition du Picture ! Festival à Bruxelles. L’occasion de rencontrer l’une des fondatrices et directrice artistique du festival Carole Saturno. Déterminée, enjouée et exigeante, sa passion pour l’illustration est hautement contagieuse.

D’abord, revenons sur le genèse du Picture! Festival.

Inspirée par Fotokino à Marseille, j’avais très envie de développer un évènement fédérateur autour de l’illustration qui n’existait pas à Bruxelles. Alors que les artistes belges sont adulés à l’étranger. Ma rencontre avec Marie Noble a été décisive : elle avait envie de fédérer l’ensemble des opérateurs et acteurs culturels de l’asbl Mont des Arts autour d’un évènement majeur. Devenues proches, nous nous sommes mises à rêver à un festival. Puis, nous nous y sommes attelées. Réflexion faite, Picture ! Festival est né en 2019 d’un manque et de la convergence de deux forces motrices teintées de désirs. La première édition a connu un succès retentissant. En 2020, l’asbl Mont des arts est toujours partenaire du festival mais c’est Station – qui crée et accompagne des projets culturels et citoyens – qui coordonne et porte le festival.

Est-ce que Picture! Festival était le chainon manquant entre « l’illustration/art majeur » et « l’illustration / art mineur » ?

 

Le festival constitue sans doute l’un des lieux privilégiés d’observation de cette (ré)conciliation. Exposer O.Ostende de Dominique Goblet au Musée BELvue en face du Parc royal et exposer Je suis un chien ! de Kitty Crowther au magasin pour chiens Canine à Saint Gilles, c’est créer d’autres circulations des publics, d’autres regards, d’autres récits dans les « ordre de représentations ». Les exposer dans des contextes « inattendus » racontent des histoires, autres. On oublie trop souvent combien l’illustration est narrative. Il est important également de créer des publics là où ils ne s’y attendent pas. Comme c’est le cas du Bar de l’Union à Saint Gilles.

Dans le Picture! Festival, il y a quelque chose de la marche, du mouvement physique. Pourquoi cela vous importe-t-il autant ?

L’édition s’intitule Illustration on the move. Le festival oscille volontairement entre la promenade citadine et l’expérience sensible, exploratoire de l’art. Il interroge la question centrale de l’habitat de vie et l’illustration, et la manière de nous relier aux autres, et à tout ce qui nous entoure. Ici, l’illustration déborde le format livre jeunesse : la fresque se mêle aux gouaches, au dessin, à la performance, au workshop, à la master class. Le festival, c’est la promenade citadine : déambuler dans Bruxelles, ville à taille humaine, cosmopolite et tentaculaire. Les promeneur.se.s peuvent passer l’après-midi à la Maison ABC ou à la galerie Graphik (Printed noices de Pablo Dalas) à Schaerbeek. Puis, ils, elles peuvent prendre le tram pour se rendre au Mont des Arts et visiter le musée BELvue ou Bozar (Sur L’herbe de Almudena Pano et Elisa Satori). Le festival, c’est l’art de s’approprier l’espace public. Il y a là quelque chose de terriblement joyeux, généreux. On peut le faire seul.e, à deux, à plusieurs, en famille, entre amie.s. On peut être détourné.e de son chemin. Le festival, c’est aussi l’occupation de la ville : le déploiement de la fresque de plus 1 kilomètre de visages Ta gueule Brussel réalisée durant l’édition 2019 sur la place de la Monnaie nous a rappelé l’occupation de la Monnaie par le mouvement Still Standing for culture en mai 2021. Le Picture! Festival, c’est une célébration heureuse, citoyenne de l’illustration et de ses possibles ressourcements.

C’est une manière de ramener les arts dans la vie !

C’est ce que peut l’illustration. Et c’est ce qui anime profondément notre programmation artistique. Et les liens que j’entretiens avec chaque artiste. Il y a ici quelque chose de profondément enraciné et réel dans la vie de monsieur, madame et leurs enfants, tout le monde. Quelque chose de la rencontre spontanée et de la conversation existentielle sous les auspices de la générosité. 97% des activités du Picture! Festival sont gratuites. Certains trouveront peut-être que la gratuité est racoleuse. Mais ce n’est pas du tout l’esprit du festival. Pour nous, le prix ne doit pas être un frein à la rencontre, ni au partage.
Les artistes nous rappellent qu’ils.elles ont traversé, eux.elles aussi les vagues de confinement. Lorsqu’on regarde de près les planches de O.Ostende de Dominique Goblet, elles parlent du corps désirant, désiré, des fantasmes dissimulés. Que se passe-t-il derrière les dunes, derrière nos pensées, dans les rues désertes ? Dans son travail de gouache, l’artiste nous révèle beaucoup d’elle-même. Elle y est extrêmement sincère. Elle s’y met à nu, au sens propre comme au sens figuré. Pareil pour La colonie de vacances de Fanny Dreyer. Elle nous raconte, ce à quoi nous aspirons fortement, aujourd’hui : la nature, la liberté. Les artistes sont justes dans ce qu’ils.elles amènent à regarder, ressentir.

Justement, quelle est la place des femmes artistes dans le domaine de l’illustration en général, et à Picture! Festival en particulier ?

Dans les préconçus, les hommes, c’est la bande-dessinée. Les femmes, c’est l’illustration (rires). Si on pense aux « arts narratifs », on pense moins à l’illustration qu’à la bande-dessinée. Alors que l’illustration nous raconte des histoires. Même si elle est considérée comme une autrice majeure au sein du FRMK, Dominique Goblet ait dû se battre pour s’imposer !
Nous ne pouvons pas faire l’économie d’une réflexion sur les contextes économiques et les rapports de pouvoir dans lesquels se fabriquent les arts. Il revient au festival d’engager une réflexion dialoguée sur la place des illustratrices dans leur domaine. On entrevoit les limites immédiatement posées par un débat qui restreindrait ces questionnements à une affaire de « illustration de femme » ou pire à une affaire de « sensibilités féminines ». C’est pour cette raison qu’il est important d’inviter aussi des artistes tel que l’artiste allemand ATAK (Still Life, a collector’s World / Galerie Bortier) en partenariat avec Fotokino. Libre et subversif, il entre en « conversations » avec les œuvres de Kitty Crowther (Je veux un chien ! / boutique pour chiens Canine), Fanny Dreyer (La colonie de vacances / Galerie Encore), Sarah Cheveau (The Swift Martinets / Maison ABC) ou Saehan Parc, Jian Choi (Miam Miam Ping Pong / Centre culturel Coréen). Comme il est tout aussi important d’entremêler les artistes confirmé.e.s et les artistes moins confirmé.e.s au festival.
Néanmoins, on espère que la mobilisation du festival et de ses partenaires en faveur de la visibilisation des femmes artistes entrainera un effet vertueux sur la production d’autres représentations, plus diverses, plus fluides, dans le domaine de l’illustration. Et surtout que les visiteur.ses prendront conscience de leurs regards normés.

Difficile de ne pas évoquer ensemble l’extraordinaire et émouvant Live Magazine x Picture! Festival à Bozar.

Il y avait quelque chose qui dépassait son évidente singularité : le magazine réalisé en live. Il y avait là une émotion particulière, une tendresse. Parce que bon nombre des spectateur.trice.s présentes (ndlr jauge réduite : 200 places) renouaient pour la première fois depuis des mois avec la salle de théâtre, le spectacle vivant. Le format permettait de dépasser la simple curiosité, et raccorder l’illustration à une conscience collective, voire historique. Difficile de ne pas revoir avec une grande émotion les images filmées de la réunion de rédaction de Charlie Hebdo (Charb, Cabu, Tignous, Wolinski ou Honoré) des réalisateurs Jérôme Lambert et Philippe Picard. Dans Numéro 172, on y voit précisément le moment où ils.elles choisissent la première de couverture du journal qui leur coûtera la vie quelques années plus tard. Difficile de rester insensible à la poésie humaniste du grand reportage dessiné Che Guevara de Jeroen Janssen, entremêlant la petite histoire et l’Histoire. Pareil pour Mes vieilles dames de Allison Michel. Les séniors ont été les grands oubliés de la crise sanitaire. J’aimerais nommer les autres artistes : Jean-Baptiste Péretié (Le vrai du faux), Matthias Picard (Un jour sur terre), Aurélie Pollet (La femme qui en savait trop), Jacques Ferrandez (Le pays où on ne dessine pas), Philippe Beau (Ballet à dix doigts).

Pouvez-vous nous dire quelques mots sur le week-end de clôture du Picture ! Festival ?

Le Picture! Festival se clôture les 18 et 19 juin avec le salon de la micro-édition #PrintIsNotDead à Lavallée ! Et heureuse nouvelle, l’exposition Still Life, a collector’s World de ATAK se poursuivra jusqu’au 12 juillet prochain ! Le Picture! Festival se manifeste encore dans la sympathie, à travers les relations affectueuses qu’entretiennent les illustrateur.trices avec le monde qu’ils.elles habitent.

www.picturefestival.be

Visuels © Picture! Festival

Agenda culturel du week-end du 18 juin
Pan, dans l’œil
Sylvia Botella

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