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BRIDGET CROFT : la fille fragmentée

BRIDGET CROFT : la fille fragmentée

07 April 2012 | PAR La Rédaction

Bridget CROFT, 35 ans. Signe particulier : bipolaire. Son psy sait mais ne lui dit rien. Les psys ne disent jamais rien. Dans leurs cabinets s’accumulent les âmes fragmentées des filles saturées de modernité. Le matin, réveillée en douceur par son éveil lumière musical, Bridget se connecte à elle-même. Elle est encore un « replicant » en bon état, un prototype breveté aux longs cils permanentés. Bridget Croft est née dans une cocotte-minute. Sa mère, nostalgique du manifeste des 343 salopes, s’est chargée de son expédition sur terre sans lui apprendre à devenir une femme. Depuis, elle erre dans un monde fait d’émoticônes, de pokes et de cheveux en extension.
Adolescente, elle a appris l’auto-défense en observant Lara Croft. Son flingue virtuel n’est jamais loin, à portée de main. Bridget est son propre dictateur et s’impose une discipline de fer, qu’elle trouve non pas dans les épinards mais dans l’ingestion de sachets protéinés. Le docteur Dukan est son tyrannique maitre de ballet. Quant à son jean slim, il se fout que ses reins soient bousillés, trop fier de son job d’indic pistant les écarts alimentaires. Tel un cygne noir au cou gracile, elle se contorsionne chaque matin rêvant d’être une égérie de Marc Jacobs. Elle vit dans un mini Palais de Tokyo où surgissent comme par enchantement des têtes de porcs sur des corps humains disloqués. Tout le monde trouve ça moche mais tout le monde dit que c’est beau. Elle n’est plus à une contradiction près.

Quand la ville dort, elle s’enfile du Cristal Roederer en faisant la conversation à des clones blafards d’Hedi Slimane. Quand elle ne prend pas la pose, elle pense à autre chose et se sexe Toy ou se tablette tactile avec sa copine Chloé. Quand la ville dort, parfois elle lâche prise et perd le contrôle. Son cerveau encombré d’informations cède à la tentation de la fragilité. Elle écaille son vernis color-block, laisse son abdomen reprendre sa forme naturelle. Elle se Bridgetise et pleure des rivières sur un Titanic dont le naufrage lui rappelle celui de son existence. Alors, elle se sectionne, se brise, se divise et perd ses écailles de propreté. Elle est en morceaux, éparpillée, attendant qu’un Peter Pan vienne reconstruire son puzzle identitaire. Elle reprend le dessus. Encore. Toujours. Elle se reconnecte, appuie sur la touche suppression et se Photoshop le visage du bonheur. Elle ne veut plus perdre le pouvoir. Trop aphrodisiaque.

Amazones modernes, les filles fragmentées sont passées en mode Girl Power et téléchargent déjà l’application « être enceinte sans prendre un gramme ». Spice girls érudites, elles ont grandi avec Madonna et sa petite culotte en cuir. Cuisses musclées, cheveux lissés, lèvres ourlées de collagène, anorexiques au moral protéiné, elles partent en guerre chaque matin juchées sur leurs stilletos. Elles épousent des stars du foot, des acteurs blonds, des ados attardés, roulent des pelles à des jeunes filles en fleur et font les modes de demain. Elles n’oublient rien et maitrisent tout. Naguère perçu comme le symbole d’une oppression subie par les femmes, leur Wonderbra est devenu le symbole d’un rituel esthétique qu’elles érigent en principe de vie. La fille fragmentée n’aura jamais les seins qui tombent. Nelly ARCAN, célèbre auteure fragmentée, obsédée par la perfection du corps et la jeunesse éternelle, s’est donnée la mort le 24 septembre 2009. Sa « burqa de chair » avait eu raison de son âme.

 

MANFREDI Astrid

 

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