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Une matinée perdue de Gabriela Adamesteanu: un chef-d’oeuvre de la littérature roumaine

Une matinée perdue de Gabriela Adamesteanu: un chef-d’oeuvre de la littérature roumaine

17 March 2013 | PAR Alice Dubois

Gabriela Adamesteanu est née en 1942 à Tärgu Ocna, en Roumanie. Furieusement engagée contre le système politique de son pays, elle tarde à publier son premier roman, se refusant à jouer le jeu de l’asservissement des écrivains au réalisme socialiste. C’est en 1975 que sort son premier roman, La Monotonie de chaque jour, vivement salué par la critique. Dix ans plus tard, elle signe Une matinée perdue, véritable pamphlet contre le régime communiste. Ce n’est que 20 ans après que le roman est traduit en français, en 2005. Aujourd’hui, Gabriela Adamesteanu se partage entre ses activités de rédactrice en chef d’un journal de Bucarest, de commentatrice politique et de romancière. L’auteure sera présente cette année au Salon du livre de Paris où la Roumanie est mise à l’honneur. L’occasion de partir à la rencontre des lettres roumaines trop longtemps ignorées.

 

Nous sommes à Bucarest, vers le début des années 80. Vica, ancienne couturière à la retraite poursuit son bonhomme de chemin, entre souvenirs lointains et dure réalité. Femme du peuple au franc-parler jubilatoire, un brin vulgaire et sans chichi, Vica raconte. De son adolescence difficile où elle éleva seule ses frères dans la misère, à sa vie de femme d’épicier, elle se souvient de ceux qui ont jalonné sa vie.  Partant rendre visite à Ivona, la fille de feu madame Muti, une de ses anciennes clientes bourgeoises, elle replonge dans un passé où la guerre et les dissensions politiques emportèrent les moins dociles. Alors couturière à domicile, naturellement douée pour écouter et répéter les ragots, Vica a vécu au coeur de la vie des autres, de leur quotidien. Appréciée par tous grâce à son humour, Vica a traversé le siècle en s’agrippant à la vie.

C’est ce que j’y dis à mon homme! Va donc faire un tour au lieu de mariner devant la télé et de me prendre la tête ! Moi, à sa place, j’en crèverais de jamais sortir. Alors, au bout d’un bout de temps, je vais m’aérer. Aujourd’hui chez Machin Chouette, demain chez Trucmuche, on se cause de ci, on se cause de ça…”

En quatre parties assez bien ficelées, l’auteure nous balade entre passé et présent, au plus profond de l’histoire d’un pays ravagé par la guerre et la dictature. En laissant parler le petit peuple et l’ancienne bourgeoisie en parallèle, elle nous offre une vision sans concession sur l’histoire de la Roumanie de la veille de son entrée en guerre en 1916 jusqu’aux années 80 qui marquent la fin de la période communiste. Au travers de Vica, vieille canaille attachante et émouvante, on plonge au cœur des histoires familiales, de ces petites histoires qui ont fait les grandes.

Maitrisant parfaitement l’art de la narration, Gabriela Adamesteanu passe des pensées de l’une aux pensées de l’autre, pointant du doigt l’hypocrisie et la cruauté dont les femmes font parfois preuve entre elles. Alors que Vica la pauvre et Ivona la riche s’échangent des politesses et ressassent leurs souvenirs, chacune juge et accuse intérieurement l’autre, cette autre qui symbolise un monde si éloigné, envié ou au contraire décrié. Malgré les frontières qui ont séparé les classes sociales tout au long du siècle, les individus se retrouvent finalement autour d’une histoire et de souffrances communes.

« Je voulais pas être au courant de la politique, je voulais même pas en entendre parler! Parce que si c’est pas moi que je m’occupe de moi, ça sera personne!»

 

Une matinée perdue est considérée aujourd’hui comme l’un des chefs-d’oeuvre de la littérature roumaine contemporaine. Plus qu’un roman social et politique, c’est aussi une oeuvre remarquable sur la vieillesse, la fin de vie, sur l’énergie et la volonté de femmes qui ne cessent de se battre pour aller jusqu’au bout. En suivant les pas de Vica, on est émus par la force de ce personnage qui n’a jamais flanché devant la dureté de la vie. Un très bel hommage aux mères courage.

 

Une matinée perdue de Gabriela Adamesteanu.

Traduit du roumain par Alain Paruit. Editions Folio. Folio N° 5533. Février 2013.544p. 8,10€.


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Alice Dubois
Alice a suivi une formation d’historienne et obtenu sa maitrise d'histoire contemporaine à l'université d'Avignon. Parallèlement, elle est élève-comédienne au Conservatoire régional d'art dramatique de la ville. Elle renonce à son DESS de Management interculturel et médiation religieuse à l'IEP d'Aix en Provence et monte à Paris en 2004 pour fonder sa propre compagnie. Intermittente du spectacle, elle navigue entre ses activités de comédienne, ses travaux d'écriture personnels et ses chroniques culturelles pour différents webmagazines. Actuellement, elle travaille sur un projet rock-folk avec son compagnon. Elle rejoint la rédaction de TLC en septembre 2012. Elle écrit pour plusieurs rubriques mais essentiellement sur la Littérature.

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