Livres

Sylvia, Leonard Michaels

07 February 2010 | PAR Alienor de Foucaud

Les éditions Christian Bourgois publient ce mois-ci deux ouvrages de Leonard Michaels, (Sylvia et Conteurs, menteurs), encore peu connu en France. Né en 1933 à New York, mort en 2003 à Berkeley, Leonard Michaels fut universitaire, critique littéraire et écrivain, il est considéré comme l’un des maîtres de la nouvelle.

En 1960, après deux années de thèse à Berkeley, « Lenny » décide de rentrer à New-York, appelé par les entrailles rocheuses de Manhattan, avec pour seul désir d’écrire des histoires. Jeune surqualifié de 27 ans, fumeur et buveur invétéré de café, il ne sait dire que « j’aime lire » pour se présenter. C’est sur McDougal Street qu’il rencontre Sylvia Bloch, femme-enfant sauvage aux longs cheveux noirs et à la silhouette fine dont l’exotisme foudroyant hypnotise les hommes au premier regard. Jusqu’en 1964, Leonard et Sylvia vont vivre une relation passionnelle, et ce n’est que trente ans plus tard qu’il décide de faire le récit quasi clinique de cet amour, à partir de notes qu’il prenait dans ses « carnets » et des descriptions de leurs disputes. Comme un enfant qui ferait un caprice, Sylvia se repaissait de ses propres hurlements et hurlait, toujours plus, toujours plus fort offrant à son amant bientôt mari un corps à corps qui en devenait érotique, ou tout du moins sexuel.

Plus spectateur qu’adversaire, éprouvant les différents états d’âme qu’elle traversait, et retranscrivant chaque palier d’émotion, l’auteur-narrateur s’efforce de ne jamais dire que Sylvia est folle, rejetant la tentation de l’autodéfense ou de l’analyse rétrospective. Désemparé, c’est au sein de l’écriture qu’il peut s’échapper et retrouver une forme de lucidité, face à une réalité qui lui échappe : « Je ne deviendrai pas fou. Pas moi. Une santé mentale à la limite de la bêtise me maintient en vie, Je suis quelqu’un d’ordinaire […] Il me suffit d’être en vie pour être heureux. »

Mêlé à la quintessence new-yorkaise, au bourdonnement de l’activité urbaine et à la frénésie électrique des années 60, le couple croise des cohortes de marginaux et d’intellectuels, de Miles Davis à Jack Kerouac, en passant par Lenny Bruce, se confondant dans des soirées enfumées d’une décontraction moribonde durant lesquelles ils refont le monde, un monde où tout n’est que comédie, où le réalité n’existe pas.

Derrière Leonard Michaels se cache un personnage à la Byron, aussi brillant, drôle que désespéré dont l’écriture se pare d’une remarquable puissance descriptive.

« Ecrire une histoire n’était pas aussi simple que de rédiger une lettre, ou de raconter une anecdote à un ami. Pourtant je pensais que cela aurait dû l’être. Tchekhov disait que c’était facile. Mais je produisais rarement une page entière en une journée. Les mots m’obsédaient, les relations étranges entre leurs sons, comme s’ils recélaient une musique, le chant bizarre d’un démiurge duquel émergeaient des images, des choses virtuelles, rues, arbres, gens. La musique allait crescendo comme si c’était elle l’histoire. Je devais laisser le champ libre, attendre le déclic mais je n’y parvenais pas. J’étais un mauvais danseur, j’entendais la musique, j’effectuais les pas, mais j’étais incapable de me laisser emporter dans la danse. » Page 61

Leonard Michaels, Sylvia, traduit de l’anglais par Céline Leroy, Editions Christian Bourgois, 150 p. 17 €

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