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« Underworld » de William R. Burnett : Romans de gangsters

« Underworld » de William R. Burnett : Romans de gangsters

10 June 2019 | PAR Julien Coquet

Ces cinq romans de William R. Burnett, enrichis par une biographie, une préface, des notes et des annexes font de ce Quarto un tout cohérent et indispensable pour tout amateur de romans noirs américains.

C’est une petite révolution que propose le Quarto Gallimard correspondant à l’un des maîtres et des précurseurs du roman noir américain : donner à lire entièrement et textuellement cinq grands romans de William R. Burnett. Ce Quarto, qui s’inscrit dans la droite lignée de ceux consacrés à Raymond Chandler ou encore à Dashiell Hammet, propose la trilogie The Asphalt jungle (Quand la ville dort), Little men, Big World (Rien dans les manches) et Vanity Row (Donnant donnant), augmentée d’Underdog (Tête de lard) et de The Cool Man (Un homme à la coule), publiés entre 1949 et 1968, tous centrés sur l’Underworld, ce sous-monde que tout chacun connaît mais que personne ne voit, la pègre américaine.

La présente édition restitue jusqu’à 20% du texte original. Créée en 1945, la « Série Noire », qui accueillit très tôt les romans de William R. Burnett, obéissait à des règles éditoriales très précises, notamment celui d’une pagination identique entre tous les volumes (254 pages). Alors, si le roman était trop long, si la description n’apportait rien, ou si le discours se traînait selon le traducteur, ce dernier n’hésitait pas à faire des coupes sèches dans le texte. L’un des grands personnages qui revient avec cette réédition, c’est celui de la ville. Chez Burnett, la ville est tentaculaire, bruyante, suffocante et donc vivante. L’auteur, originaire de l’Ohio, s’inspira grandement du choc qu’il reçut en déménageant à Chicago : « Pour moi, un outsider, un étranger de l’Ohio, le choc de Chicago a été énorme. Je me sentais écrasé par sa taille, son grouillement, sa saleté, sa turbulence, sa vitalité frénétique ».

Les romans de Burnett, au-delà d’une approche quasi-sociologique des changements apportés par le développement rapide d’une grande ville, se focalisent tous sur la psyché des gangsters, et ce dès Little Caesar (Le Petit César). Comme le remarque Benoît Tadié dans sa très éclairante préface, Burnett part d’une croyance simple : tout homme, même un gangster, est un être humain. En cela, le romancier se doit de retranscrire ses pensées, ses souvenirs, ses émotions, etc. Avec un style concis, Burnett se revendique totalement de l’œuvre de Georges Simenon, son auteur de polar préféré, et de Balzac, en souhaitant écrire une comédie humaine du crime. En France, Burnett est peu connu et on entend plus son nom dans le domaine du cinéma pour lequel il signa de nombreux scénarios et où ses films furent adaptés avec succès (Le Petit César adapté par Mervyn LeRoy en 1929, Quand la ville dort par John Huston en 1949). Il faut pourtant (re)découvrir William R. Burnett et ses histoires de crimes, de cambriolages ratés, de règlements de comptes, de politiciens véreux, car dans les années 1920, à Chicago, « la criminalité ne semblait ni périphérique ni exceptionnelle, mais partie intégrante de la vie collective ».

Extrait de The Asphalt Jungle :
« C’était à cette heure de la nuit qu’il aimait rester seul, tout à fait seul, sans que rien ni personne ne vienne le déranger. Dehors, la ville était calme et obscure ; pas de rayons inquisiteurs du soleil dont il fallait se garder, pas de foule dérangeante, aucun des regrets, des peurs et des ambitions du plein jour. Dans son petit appartement chaud et douillet, il se sentait à l’abri du monde. Il pouvait boire tranquillement, lire ses journaux et songer à ce qui se passerait le lendemain sur les champs de courses du monde entier ; puis les premières lueurs de l’aube s’élèveraient au-dessus des toits branlants de Camden Square ; les premiers murmures annonciateurs d’une nouvelle journée allaient monter des rues encore obscures de la grande ville ; alors il pourrait éteindre sa lampe dont la lumière aurait déjà commencé à faiblir aux approches de l’aurore ; étendu sur son lit, il pourrait retourner vers son passé : ce passé radieux qui faisait maintenant figure de rêve sans consistance réelle – et pourtant il l’avait bel et bien vécu -, ces années heureuses, sans le moindre lien avec les affreuses et rudes certitudes, mais inéluctables, du présent ; cette époque où personne ne l’appelait « Dixie », ni « Dix », ni « le Bouseux », où personne ne se moquait de son accent du Sud et où personne ne se permettait de faire toute une histoire parce qu’il devait deux mille trois cents dollars qu’il avait bien l’intention de rendre ; où tout le monde le traitait avec amabilité et respect ».

Underworld, William R. Burnett, Gallimard, Quarto, 1120 pages, 28 euros

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Julien Coquet

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