
Notre ailleurs, par Rasha Khayat, récit d’un déracinement
Les Editions Actes Sud publient ce mois de mai le premier roman de l’écrivaine saoudienne allemande Rasha Khayat intitulé Notre ailleurs, un roman calme mais puissant sur l’exil, la notion de foyer (le fameux « Heimat » en allemand, cet endroit où l’on se sent chez soi) et sur la violence de l’intégration.
De la difficulté de l’entre-deux
On les entend rarement, les voix de ceux qui ne se sentent véritablement chez eux nulle part. Les voix de ceux qui sont nés là-bas, ont grandi ici, mais à qui on demande toujours d’où ils viennent. Est-ce l’endroit où on est né, qui définit le chez soi ? Où est-ce l’endroit où on grandit ? Peut-être, n’est ce réellement ni l’un ni l’autre. Ou les deux à la fois. Ça dépend. Tout dépend. Peut-être n’y a-t-il pas de réponse.
Rasha Khayat est née à Dortmund en 1978 et a grandi à Djeddah, en Arabie saoudite, avant de retourner avec sa famille en Allemagne quand elle avait onze ans. De sa propre histoire, elle a fait la base de son premier roman, Notre ailleurs un roman très doux, très calme, mais qui donne à entendre une parole qu’on n’entend que trop rarement.
Son narrateur, Basil, a une vingtaine d’années. Fils d’une allemande et d’un saoudien, il a grandi en Arabie Saoudite et passait toutes ses vacances auprès de sa famille allemande. Jusqu’au jour où sa petite sœur et lui ne sont pas retournés à Djeddah pour la rentrée des classes. Ils sont restés en Allemagne et ne sont plus jamais retournés chez eux. Désormais, c’était l’Allemagne, chez eux. Leur mère leur a acheté des manteaux pour supporter l’hiver, ils sont allés dans une nouvelle école et quelques mois plus tard, ils ont reçus les meubles et affaires qu’ils avaient laissé en partant. Sans un bruit, il a fallu tout réapprendre.
Bien des années plus tard. Basil doit partir en Arabie Saoudite. Layla, suite à une déception amoureuse en Allemagne, est partie renouer avec ses racines saoudiennes, remplir le trou formé de ces années d’absence. Et elle a rencontré un homme, ce n’était pas prévu. Mais ils ont décidé de se marier. Basil, sans sa mère qui n’a pas voulu l’accompagner, va assister à ce mariage et retourner là où il n’est jamais revenu.
Que reste-t-il de ce pays au fond de lui ? Qu’a-t-il oublié ? Peu à peu, les mots lui reviennent. Cette langue qu’il avait cru effacer de sa mémoire. Les coutumes, les vêtements. Basil, en silence, observe ce monde qui a si longtemps été le sien avec le regard d’un étranger, quand aux yeux de ses camarades de classe en Allemagne, c’était lui qui l’était. Son regard devient le nôtre, celui d’un homme dont l’identité se trouve quelque part entre les deux, entre ici et là-bas.
Autofiction ?
Où s’arrête la fiction ? C’est une question omniprésente. Qu’est-ce que Rasha Khayat a puisé dans sa propre expérience, dans son propre déchirement ? A la manière d’Ifemelu, l’héroïne du roman de Chimamanda Ngozie Adichie Americanah – un autre grand roman sur l’exil et le déracinement -, l’autrice tient un blog, “West-östliche Diva” (“La diva occidentale-orientale”, clin d’oeil en forme de détournement du titre d’un recueil de poèmes de Goethe : Le Divan occidental-oriental), un blog comme un œil sur ce que signifie être l’autre d’une société.
Notre ailleurs, récit très fort, plein de nostalgie, est peut-être une forme différente de parler de son expérience. De donner une voix à ces enfants du monde qui parfois, ont bien du mal à savoir qui ils sont vraiment. Un roman à lire, c’est certain.
Rasha Khayat, Notre ailleurs, Editions Actes Sud, 20€, 208 pages.