Manuel : Penser la politique d’Astrid von Busekist
Professeure à l’IEP de Paris, responsable du Master de recherche “Politique Comparée”, et rédactrice en chef de la revue “Raisons Politiques”, Astrid von Busekist a enseigné, après notamment Pierre Manent et Bernard Manin, le Grand cours d’Enjeux Politiques de Sciences-Po Paris. Le premier volume de ce cours vient d’être publié aux Presses de Sciences-Po. Ceux et celles qui préparent le concours de Sciences-po, aussi bien que les étudiants des facultés de droit et de science politique, ou bien tout simplement tous ceux et celles qui cherchent à se familiariser avec la science politique, trouveront dans ce cours un outil à la fois limpide et exigeant, qui clarifie sans simplifier les grands débats de la théorie politique actuelle.
Avec l’économie et le cours d’espace mondial, le cours de Grands enjeux politiques était, jusqu’à très récemment, un bloc d’enseignements obligatoire que toutes les 3 e et 4e années de l’IEP devaient suivre. De grands professeurs se sont succédés à la tribune de l’amphithéâtre Boutmy pour donner aux étudiants de Science Po les outils théoriques nécessaires à l’analyse affûtée des grands enjeux politiques actuels. Le caractère interdisciplinaire de ce cours mobilisant la théorie politique, l’histoire, l’économie, l’anthropologie et le droit, a en effet préparé les générations qui l’ont suivi à lire d’un œil bien plus averti l’actualité politique. Le “cours familier de philosophie politique” (Tel Gallimard) de Pierre Manent était issu de ce cours. Les questions sociales et politiques à l’ordre du jour changeant avec le contexte, il était temps de renouveler cette familiarité au politique. Et c’est ce que fait avec beaucoup d’intelligence et d’intégrité Astrid von Busekist.
La première partie du manuel s’intitule “la concordance des temps” et rappelle l’importance du contexte historique et social lorsqu’on pense la Politique. Faisant l’effort de définir notre Modernité libérale, dans laquelle se déroule sa réflexion (chap. 1) et posant des questions aussi importantes que celle des limites de notre universalisme, Madame von Busekist cartographie les positions politiques qui peuvent être prises par les “Modernes”, se pensant comme des individus libres de leurs choix, et participant rarement aux affaires de la Cité sinon en élisant leurs représentants. Ce faisant, l’auteure offre un inventaire indispensable de ce que nous devons aux “Anciens” (chap. 2). S’ensuivent plusieurs chapitres de théorie politique classique : L’État (chap. 3) sur lequel les anthropologues livrent une analyse originale et éclairante, Les totalitarismes (chap. 4), contre-modèles persistants de nos démocraties, et La Nation (chap. 6), spécialité de Madame von Busekist, qui sort enfin son lecteur de l’éternel débat Fichte/Renan pour l’amener vers des théories plus contemporaines de la nation. De même, le chapitre sur la Guerre (chap. 5) sort des éternelles gloses sur Clausewitz pour rendre compte des nouvelles perspectives que la Guerre d’Irak a suscitées. La première partie se clôt sur un chapitre “européen” (chap. 7) qui dépasse les simples questions institutionnelles, pour observer comment cet objet politique nouveau qu’est l’Europe interroge notre conception de la démocratie.
La deuxième partie du Manuel s’articule autour de la question de la Justice, l’essai de John Rawls, “Théorie de la Justice” (1974) ayant totalement transformé la manière de penser la politique. Astrid von Busekist explique cette théorie et les principaux débats qu’elle a suscités (chap. 8), avant de transposer cette question de justice sociale vers celle qui semble l’avoir supplantée depuis les années 1990 : celle de la reconnaissance. Offrant un exquis excursus sur son domaine de spécialité : la politique des langues (chap. 9), Madame von Busekist y illustre parfaitement cet enjeu majeur qu’est devenue la reconnaissance dans nos sociétés multiculturelles, avant d’aborder la question des quotas, de la parité et des autres “inégalités” trouvant leur légitimité dans le désir de créer plus de justice (chap. 10). Les trois derniers chapitres du livre replacent trois questions cruciales pour nos démocraties dans ce contexte de la justice sociale : la question de l’intégration et de la reconnaissance des nouveaux venus (chap. 11), celle de ce que nous devons aux générations futures, notamment limiter les risques de destruction et la détérioration de notre planète (chap. 12), et enfin les enjeux de nouveaux domaines de savoir, comme la génétique, qui sont entrain de transformer “l’espèce humaine” (chap. 13).
Le manuel que propose Astrid von Busekist se situe sciemment et volontairement dans une perspective libérale, le libéralisme politique étant, selon les mots de l’auteure “une utopie réaliste”. Cette perspective n’empêche pas la politiste de conserver une approche critique – y compris face aux valeurs que porte avec lui ce libéralisme- et de prendre en compte les théories d’auteurs en désaccord majeur avec les principes du libéralisme politiques : marxistes, anarchistes ou schmittiens ont la place qui leur revient dans le panorama actuel de la théorie politique. Interrogeant les fondements de nos démocraties, “Penser la Politique” constitue ainsi une somme indispensable pour quiconque veut revenir aux grands auteurs classiques de la philosophie politique (Machiavel, Montesquieu, Rousseau, Tocqueville, Arendt…) et en savoir plus sur les grandes œuvres modernes de la théorie politique (Berlin, Dworkin,Elias, Gellner, Habermas, Kymlicka, Rawls, Ricoeur, Skinner, Walzer….)
Astrid von Busekist, “Penser la Politique, volume 1, Enjeux et défis contemporains“, Presses de Science-Po, 444 p., 28 euros. Paru le 9 novembre 2010.