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<em>Lointain souvenir de la peau</em> : De monstrueux petits secrets

Lointain souvenir de la peau : De monstrueux petits secrets

16 April 2012 | PAR La Rédaction

Dans Lointain souvenir de la peau, son 12ème roman, Russell Banks se penche sur l’impossible réinsertion d’un jeune homme piégé par ses pulsions, dans une Amérique paradoxalement aussi permissive que prompte à la répression.

L’Amérique triomphante n’est pas la préoccupation première de Russell Banks, qui lui préfère de loin, l’exploration littéraire de son côté sombre, de ses parias. C’est ce que nous montre une fois de plus l’auteur dans son dernier roman, Lointain souvenir de la peau, qui met en scène la rencontre d’un jeune délinquant sexuel très naïf et d’un Professeur d’Université surdoué et obèse. Dans la cité fictive de Calusa, double littéraire de Miami, les anciens condamnés pour crime sexuel, qui doivent se tenir à plus de 800 mètres des écoles, n’ont d’autre choix que de vivre près de l’aéroport international, ou dans un immense marais infesté de moustiques et d’alligators (calque des Everglades), ou encore sous le viaduc reliant le coeur de la ville à son luxueux front de mer. C’est là, dans ce camp où vivent la plupart de ces délinquants de tous ordres que le Professeur choisit pour sujet de recherche universitaire le Kid, un grand adolescent de 22 ans, renvoyé de l’armée, et condamné à porter un bracelet électronique pendant 10 ans pour un acte « idiot », selon son propre aveu. Malgré leur absence apparente de point commun, l’un se révèlera vite le miroir de l’autre. Aussi dépendant de la nourriture que l’est le Kid des films porno, aussi seul et marginalisé que lui par ses différences et son environnement familial, le Professeur a lui aussi ses zones d’ombre que le récit s’emploiera à dévoiler, au compte-goutte, dans un suspense captivant. Dénonçant de façon très convaincante l’absurdité d’un système basé sur le tout-répressif, qui broie de façon implacable jusqu’aux plus petits coupables (voire jusqu’aux coupables potentiels), le roman amène surtout à s’interroger sur la façon dont l’Amérique gère, en s’en débarrassant littéralement, les monstres qu’elle engendre elle-même. Bien qu’un peu trop cinématographique dans sa forme et sans doute dans ses intentions (parions sur une adaptation très prochaine sur grand écran), Lointain souvenir de la peau est aussi un plaidoyer efficace et magistralement mené sur la nécessité de chacun, au sein de la collectivité à laquelle il appartient, – et quels que soient les travers de celle-ci- d’assumer la responsabilité de ses actes.

Russell Banks. Lointain souvenir de la peau. Actes Sud, 444 p. 23,8 €.

« Il fait semblant d’être seul ici. Il tourne le dos aux appentis et aux tentes en polyuréthane, aux cabanes en contreplaqué de récupération un peu plus loin, ainsi qu’aux hommes qui y vivent, debout tout autour comme des fantômes rongés d’ennui, et il contemple la baie en pensant non pas à l’endroit où il est mais à l’endroit où il aimerait être. C’est ainsi qu’il a appris à supporter de se trouver là où il est sans pleurer à chaudes larmes comme un petit garçon perdu. Ou pire: sans essayer de s’échapper de ce lieu ».

Par Ariane Singer.

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