L’invitée, d’Emma Cline: l’enfer au paradis.

Dans L’invitée, la romancière américaine Emma Cline décrit la vie chaotique d’Alex, une jeune femme condamnée à l’errance après avoir été congédiée par «son protecteur». Le roman est aussi une critique acerbe de la haute société de la côte est américaine.

La malédiction d’Alex:

Quand Alex 22 ans, rencontra Simon, sa situation était des plus délicates. Harcelée par les textos de Dom, un ex violent, à la porte de sa colocation, elle est devenue indésirable dans beaucoup d’endroits à New York. «Tout ce qu’elle touchait semblait maudit». Vols, drogues, médocs, sexe, parfois pour de l’argent, sa vie ressemble à une fuite en avant désespérée. Le vilain petit orgelet au coin de son œil est le baromètre de son angoisse. Son soulagement est immense lorsqu’elle est «invitée» par Simon, un riche quinquagénaire, dans une belle villa de Long Island. Mais la sécurité et le réconfort seront de courte durée. Après une minime entorse à la «bienséance» elle est immédiatement congédiée. Le monde de Simon se referme pour elle. Pour Alex commence la survie au jour le jour, elle dérive au hasard des rencontres et fait la connaissance de Jack un jeune garçon «avec qui on a envie d’être gentil». En attendant, peut être de retrouver Simon, «de remettre les compteurs à zéro».

Un monde sans pitié

Le personnage d’Alex domine le roman. Le texte paraît accompagner l’errance de l’héroïne préoccupée uniquement par sa survie immédiate. L’écriture retranscrit parfaitement la voix intérieure, angoissée, d’Alex. Le lecteur s’interroge sur son devenir, il s’inquiète pour elle. Comment en est elle arrivée là? Alex ne semble pas le savoir elle même. Elle peut être choquante par son apparente absence de préoccupations morales, par son opportunisme radical. Elle est émouvante aussi par son anxiété permanente, son profond désespoir, sa culpabilité. Alex c’est l’incertitude absolue. Sa précarité l’oblige à une hyper vigilance permanente devenant ainsi une fine observatrice de ses contemporains, de leur faiblesses ,de leur psychologie.
«L’invitée» est une critique sociale acerbe de la société fortunée de la côte Est des États Unis. Un milieu préoccupé que de lui même où la femme peut être réduite au statut d’objet sexuel. Un milieu où l’on ne rentre que par effraction à moins d’y être invité, au risque d’être brutalement rejeté.
Le parcours d’Alex est édifiant. Malgré son ingéniosité, elle ne peut que subir. Les belles villas, les œuvres d’art, les piscines, l’océan omniprésent: la beauté du cadre tranche avec la dureté des faits. Emma Cline est pessimiste, sur la vulnérabilité de la jeunesse, sur le caractère hermétique des différences sociales. Son roman, saisissant, ne laissera pas le lecteur indifférent.

Emma Cline, L’invitée, traduit de l’anglais (États-Unis) par Jean Esch, Éditions La Table Ronde, 320 pages, 23 Euros, sortie le 18 05 2023.

Visuel©: couverture du livre , Éditions La Table Ronde