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Les Plumes, l’épopée extra-ordinaire de Salim Barakat

24 April 2012 | PAR La Rédaction

Salim Barakat est né en 1951 à Qamishli, Syrie, dans une famille kurde. Après avoir milité au Liban dans les rangs de la résistance palestinienne, il s’est expatrié à Chypre, puis en Suède où il réside actuellement. Son œuvre compte déjà plus de trente-cinq ouvrages écrits en arabe. “Les plumes” est le récit d’un voyage initiatique, de la quête identitaire d’un jeune kurde. Une prose risquée et un style insolite, où la frontière entre le réel et le fantastique est gommée.

Quel curieux hommage Barakat a-t-il décidé de rendre au peuple kurde. Un hommage qui se lit comme un conte. Au travers du personnage de Mem, Barakat fait parler l’âme kurde via une kyrielle de métaphores, de rencontres, d’images, de légendes d’un peuple mille fois humiliés.

Dès les premières pages, l’auteur joue avec les limites du vraisemblable. Mem est un jeune kurde envoyé par son père à Chypre pour trouver le « Grand Homme ». Tout le monde parle de lui mais il n’apparaît jamais. Il est le but jamais atteint, il incarne la quête avortée. Sa parole ne parvient aux oreilles de Mem que par des intermédiaires. Mais six ans après son départ pour Chypre, Mem peine à vivre avec cet échec et veut mettre fin à ses jours. Tandis qu’il fouille dans ses affaires, il trouve une plume dans ses bagages. A partir de là, un flot de souvenirs, d’anecdotes, de légendes, défilent devant ses yeux : il revoit Qamishli, sa ville natale, il entend la voix et le rire de son père, les légendes kurdes qu’il lui racontait… Le récit fait des allers-retours entre ce Kurdistan mille fois rêvé et aimé et une pâle réalité à Chypre.

Tout au long de sa quête, Mem attend le « Grand Homme » comme on attend Godot : il tourne en rond, il s’épuise, il se remet en question, il se lasse. Il ne lui reste plus qu’un goût amer dans la bouche, celui de l’échec. Mais Mem évolue, apprend, s’initie à la vie. Et pas seulement parmi les hommes. Parfois, il passe à l’état animal, il devient chacal ou oiseau, il converse avec les hommes aussi bien qu’avec les animaux. Le faune et la flore guident son chemin. Mem a aussi un frère jumeau, Dino. D’un chapitre à l’autre, ils semblent interchangeables. Comme si l’un pouvait se glisser le temps de quelques pages dans le destin de l’autre.

Face à ces personnages hauts en couleur, l’envers du décor est plus sombre. Barakat dépeint aussi la réalité kurde dans toute sa douleur, sa mémoire collective qui peine à cicatriser ses plaies: il décrit les humiliations, les insurrections sanglantes contre le gouvernement syrien, les massacres. Et dans le monde de Barakat, le sang et la souffrance des hommes laissent une marque indélébile sur la terre. « Rien de ce que les hommes ourdissent contre les hommes n’échappe aux terres et aux champs, de même que rien n’échappe à l’attention des forêts, les unes flairant le destin des autres (…). »

Le roman de Salim Barakat est puissant parce qu’il n’est pas complaisant, l’hommage au peuple kurde est réussi car il est digne. Et cette épopée kurde est d’autant plus forte qu’elle est écrite, paradoxalement, en arabe.

“Les Plumes”, de Salim Barakat, Roman traduit de l’arabe (Syrie) par Emmanuel Varlet, « Mondes arabes », série dirigée par Farouk Mardam-Bey, Editions Actes Sud, 23,50 €. Sortie mars 2012.

« Cette terre était une terre livrée à tous les vents. Les arbres ondoyaient et ondoyait l’herbe. Ondoyaient les âmes dans l’embrun des cascades. Ondoyaient les certitudes, et les gouvernements, et les tribus, et les serments, et l’audace, et la fatigue, et les courges séchées, tandis que la douleur se couvrait d’un duvet, comme la fleur de menthe. »

Rebecca Benhamou.

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