Les ensorcelants yeux bleus des mères
Comptant parmi les plus grand auteurs et les plus grands exégètes de la littérature francophone, l’ancienne professeure de Columbia University Maryse Condé, est de retour cet automne chez Lattès avec un roman qui promène son lecteur depuis sa Guadeloupe natale jusqu’en Afrique, en passant par Haïti. A la fois poétique et cruel, “En attendant la montée des eaux” est un libre quasi-initiatique.
Médecin assez aisé d’âge mûr, Babakar vit assez bien, exilé en Guadeloupe, et surtout seul, depuis la disparition de son aimée, Azélia, qui lui a été enlevée quand il vivait encore en Afrique. Quand il vient trop tard pour sauver une belle femme enceinte, il décide de garder avec lui l’enfant qui a survécu à l’accouchement. Et de l’emmener à Haïti, malgré les sinistres, pour respecter les vœux de la défunte. Ce nouvel exil rappelle tous les fantômes du passé et permet au lecteur d’entrer dans la vie tumultueuse de Babakar, alors qu’il habitait à Ségou, au Mali…
Fresque politique et poétique, “En attendant la montée des eaux”, mêle sans les comparer les réactions d’humains divers dans plusieurs pays francophones aux prises avec le désordre politique et la violence. Souvent réaliste et cruel, le texte en appelle cependant également à la magie, par les mots qui se colorent au fil du voyage, et à travers le personnage de la mère du héros, morte dans son enfance, et dont les yeux bleus et la peau noire font d’elle une merveilleuse sorcière, capable, telle l’Athéna d’Ulysse, de guider son fils à travers les méandres de l’Histoire. Mais comme tout bon esprit, elle continue à générer des sentiments humains de colère ou de jalousie qui peuvent parfois envoyer Babakar dans de dangereuses impasses… Un très beau roman, riche, dérangeant, et engendrant de nombreuses réflexions, sans jamais fixer les identités. Une pierre de plus ajoutée à cet édifice colossal qu’est l’œuvre de Madame Condé.
Maryse Condé, “En attendant la montée des eaux“, Lattès, 364 p., 19 euros.
«Un homme dans le cabinet d’un obstetricien, c’est un coup de pistolet tiré dans un concert de violes de Gambe.» p. 47