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Lépante de Michel Lesure, le mythe de la victoire du Christ…

Lépante de Michel Lesure, le mythe de la victoire du Christ…

16 May 2013 | PAR Le Barbu

lepantePublié en 1972 aux éditions Juillard sous le titre “Lepante ; la crise de l’empire ottoman” l’ouvrage de Michel Lesure est réédité depuis le mois d’avril en format poche dans la collection Folio Histoire. Michel Lesure est un historien spécialiste du monde ottoman, des rapports entre Venise et la Turquie au XVI ème siècle et des relations franco-ottomanes à l’époque des guerres de Religion. Il s’est également intéressé à la Russie et en particulier aux mouvements révolutionnaires de la fin du XIXème siècle.

 

Juillet 1570 : l’armée turque déferle sur Chypre, pièce maîtresse de l’empire maritime de Venise, et la conquiert en quelques mois, à l’exception de Famagouste. A Lépante (au nord du Péloponnèse actuel), le 7 octobre 1571, trois heures durant, près de 170 000 hommes s’affrontent sur la mer. C’est l’une des plus gigantesques batailles navales de l’histoire. L’immense flotte ottomane – 280 navires, 34 000 combattants – est anéantie, et douze à quinze mille esclaves chrétiens libérés. L’histoire paraît se retourner : victorieuse du Turc, l’Europe chrétienne croit achever la croisade. Mais le sultan n’a pas dit son dernier mot…
De cette bataille à la mesure du monde on ne connaissait que la part du vainqueur.
Michel Lesure ouvre ici le trésor des archives ottomanes : sous le triomphe chrétien, il montre la crise profonde puis le ressaisissement de l’empire turc. Un ressaisissement qui conduira bientôt l’Espagne, tournée vers l’Atlantique, à faire la paix et à abandonner la Méditerranée aux corsaires. Lépante, dont le mythe éclatant vit encore, est d’abord une hécatombe inutile, où les ennemis s’épuisent dans la bravoure et le sang avant de comprendre que le temps des croisades comme celui de la guerre sainte est passé.

Nombreux ont été les historiens qui, depuis 1571, se sont attachés à reconstituer les mouvements, les abordages et les combats des différentes escadres qui composaient cette armada chrétienne scellée par la Sainte Ligue, et les Vénitiens, au départ réticents et qui préféraient conserver une paix relative afin de préserver leurs intérêts économiques en Méditerranée, n’ont pas échappé à la règle. Mais, au-delà du fait militaire, l’importance de cette bataille peut être mesurée à l’aune de ses conséquences politiques.

En 1453  Constantinople est prise par les turcs. Ce qui restait de l’Empire Romain d’Orient rebaptisé Empire Byzantin n’est plus. Depuis cette date, les Ottomans de Soliman le magnifique et de ses successeurs constituent une puissance militaire de premier ordre, terrestre et navale. Cette domination turque en Méditerranée et dans les Balkans bouleverse l’échiquier géopolitique et économique. Les Chrétiens ne font que reculer face à leurs assauts: à Rhodes, Chypre ou même Malte (les chevaliers de Saint Jean y ont souffert un siège terrible). Partout les chrétiens se sont montrés divisés face à ce danger. Pour à la fois ressouder la chrétienté et lutter contre le péril turc, le pape Pie V entreprend de monter une coalition chrétienne : la sainte Ligue. Venise directement menacée par la poussée ottomane, appuie les manœuvres diplomatiques vaticanes. Philippe II d’Espagne, champion du catholicisme, soutient mollement cette initiative ; il envoie cependant des navires avec à leur tête le fameux Don Juan d’Autriche, qu’il n’apprécie guère. Les autres cités italiennes fournissent aussi des galères. Une flotte chrétienne est ainsi constituée. La rencontre avec les galères turques près de Lépante  donne lieu à une mêlée confuse où l’ardeur, la détermination et un meilleur équipement des Chrétiens, pourtant inférieurs numériquement, leur assurent la victoire. Un triomphe chèrement payé : environ 7500 morts chez les chrétiens, 30 000 morts et 8000 prisonniers chez les Turcs, des chiffres tout à fait considérables pour ce temps.

Cette victoire chrétienne devient rapidement un mythe où sont glorifiés les sauveurs de la vraie foi. Mythe qui va se perpétuer jusqu’à des époques tardives dans la littérature épique espagnole du XIXème siècle, et même encore au XX ème siècle. L’originalité de l’étude menée par Michel Lesure repose sur le fait qu’au milieu de toute une littérature certes prolifique bien que lacunaire où les récits des acteurs sont rares, il met en lumière un monde ignoré : les archives turques.

Ce carnage était-il bien utile ?

Certes, Lépante témoigne d’un Empire Ottoman qui se fissure mais qui ne s’éteindra qu’après la première guerre mondiale. La flotte turque a certes été détruite en partie mais elle se reconstitue et les conquêtes restent ottomanes. Les intérêts privés des nations chrétiennes vont dissoudre rapidement la Sainte Ligue. Cette « treizième croisade » lancée par le pape Pie V dans une atmosphère d’exaltation religieuse extraordinaire contre le Turc est un coup d’épée dans l’eau. Le centre des priorités et de gravité de l’Europe occidentale se déplacent durant ce siècle vers l’Atlantique et le « Nouveau Monde ». La Méditerranée perd sa primauté dans les rapports géopolitiques.

Une réédition d’actualité de ce choc entre deux civilisations qui fait écho à notre époque contemporaine où l’occident mène toujours des « croisades » contre « l’hérétique » qui a pris les noms de terrorisme, d’islamisme, ou d’Al-qaida, mais qui ne cache pas ses desseins géostratégiques et autres intérêts économiques.

 

Auteur : Michel Lesure

Editeur : Gallimard

Collection : Folio Histoire

Date de parution : 19/04/2013

Genre : POCHE HISTOIRE

Nombre de page(s) : 400

Prix : 9.1  €

Pour aller plus loin :

Qui a gagné la bataille de Lépante ?

Les Turcs soumis le 08/10/2009 par Michel Lesure dans Les Collections de L’Histoire n°45

http://www.histoire.presse.fr/les-collections-de-lhistoire/45

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Le Barbu
Le Barbu voit le jour à Avignon. Après une formation d'historien-épigraphiste il devient professeur d'histoire-géogaphie. Parallèlement il professionnalise sa passion pour la musique. Il est dj-producteur-organisateur et résident permanent du Batofar et de l'Alimentation Générale. Issu de la culture "Block Party Afro Américaine", Le Barbu, sous le pseudo de Mosca Verde, a retourné les dancefloors de nombreuses salles parisiennes, ainsi qu'en France et en Europe. Il est un des spécialistes français du Moombahton et de Globalbass. Actuellement il travaille sur un projet rock-folk avec sa compagne, et poursuit quelques travaux d'écriture. Il a rejoint la rédaction de TLC à l'automne 2012 en tant que chroniqueur musique-société-littérature.

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