Le silence pour tout héritage
Magistral premier roman d’Hugo Lindenberg, « Un jour ce sera vide » raconte l’été d’un jeune garçon auprès de sa grand-mère et de sa tante « folle ». Un texte remarquable et bouleversant où les intuitions d’un enfant comblent les silences de sa famille.
« Tout ce qui échappe à mon regard n’est que fiction. » Ainsi parle le narrateur d’ « Un jour ce sera vide », premier roman d’Hugo Lindenberg, texte d’une telle maîtrise qu’il semble nous venir de très loin, des tréfonds d’un cœur lourd qui a déjà beaucoup vu, d’un écrivain qui aurait déjà publié des ébauches prometteuses. Voir. Regarder. Observer. Le narrateur, à peine dix ans, des intuitions fulgurantes comme seuls les enfants sont capables d’en avoir connaît immédiatement le monde, la moindre inflexion du réel à travers son regard perçant et attentif. L’écrivain, lui, met en mots ces intuitions, les façonne et ça donne un texte à la saveur délicate, au rythme lancinant, un texte bouleversant.
L’enfant passe l’été en Normandie avec sa grand-mère, juive polonaise qui roule les « r ». Sur la plage, il observe les familles normales, « les familles comme les autres » et se penche sur les méduses échouées sur la grève. Il rencontre Baptiste, une amitié est scellée en quelques mots, avec la facilité des camaraderies enfantines. L’arrivée de sa tante « la folle », ouvre le chapitre des « monstres » et rien ne peut plus être comme avant.
Si un roman est toujours une sorte de conservatoire des gestes, celui d’Hugo Lindenberg est, en ce sens, exemplaire. Imiter les gestes des autres, pour l’enfant, c’est se fondre dans une identité de garçon (si difficile à fixer) parce que « rien ne [lui] est plus étranger qu’un garçon de [son] âge », mais aussi dépasser la honte qu’il ressent à l’égard de cette grand-mère qui offre à la famille de Baptiste « un bol de foie haché ». De chaque geste peut découler une ambivalence. Le narrateur aime tant Baptiste qu’il « aurai[t] voulu le noyer », d’un baiser peut naître une colère « c’est affreux de regarder une famille entière mentir à un enfant quand on y pense ». Au milieu d’une grand-mère qui ne lui parlera jamais de sa mère absente et une tante « folle » qui pleure le suicide de Mike Brant, l’enfant n’a que les gestes pour dire, les odeurs pour se guider, parce que « le silence, c’est ça mon héritage ».
Chaque chapitre d’ « Un jour ce sera vide » est une miniature ciselée, ouvragée avec virtuosité. Indissociables les uns des autres, ces chapitres sont pourtant comme des nouvelles dont le recueil constituerait un roman. Il y a, en chacun d’eux, un charme étrange qui ne ressemble à rien de connu et qui néanmoins se fait l’écho d’autres beautés. Quand un livre se hisse à la hauteur de très grands textes, ceux de Nathalie Sarraute bien sûr citée en exergue, mais également ceux de Janet Frame (la grand-mère du « Lagon » !) quand il se tient à leur côté sans rougir, on se dit qu’on vient de lire un roman qui va durablement marquer les esprits.
Hugo Lindenberg, Un jour ce sera vide, Christian Bourgois Éditeur, août 2020, 16,50€