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Le Mythe tragique de l’Angélus de Millet ou le Mystère Dali

03 November 2011 | PAR Sixtine de The

Lorsque Dali écrit Le Mythe tragique de l’Angélus de Millet en 1938, il applique son procédé d’interprétation « paranoïaque-critique » à la toile de Jean-François Millet, et en fait surgir une nouvelle signification grâce à un réseau d’associations personnelles.

« Faire surgir le drame insoupçonnable, caché sous les apparence hypocrites du monde, dans le simulacre obsessif, énigmatique et menaçant de soi-disant prière crépusculaire et désertique qui s’appelle officiellement encore : « L’Angélus de Millet ».

Et pourtant, cette toile est une des œuvres les plus célèbres de la peinture française, parce qu’elle symptomatise une certaine idée de la France profonde : la prière, la terre, le travail en famille. Tout pour ne pas plaire à Salvador Dali. Il récuse la célébrité inexplicable de cette toile à « l’aspect misérable et insignifiant ». Tellement célèbre pourtant, qu’on la retrouve dans de nombreuses reproductions : des coussins, un service à café, des cartes postales, des dessins humoristiques… : toutes ces babioles lui confèrent alors un caractère obsédant, dépossédé, ce dont Dali va s’emparer pour construire son propre mythe tragique.

Il part donc de cette toile et décide d’en extraire l’essence profonde, dissimulée sous les décombres de l’insignifiance, afin de faire surgir le « drame délirant ». En travaillant sur L’Angélus, sur sa prétendue vérité, sur les associations plastiques et psychologiques qui ont fait apparaître le drame, sur sa structure, sa matière et son non-dit, il réalise lui-même une série de dessins ou de peintures et se couche inconsciemment sur le papier. Son investigation révèle en effet son propre labyrinthe créatif. « Exhibitionnisme. – Attente.- Expectation.- Agression imminente. » C’est le mythe tragique de cette personnalité sans personnage, action créatrice à l’état pur, et qui donne brillamment à voir la mise en place des « logiques » surréalistes.

« Car, bien que dans la vision de ladite image tout correspondît à la réalité des reproductions que je connaissait du tableau, elle m’apparaissait néanmoins chargée d’une telle intentionnalité latente que l’Angélus de Millet devenait soudain l’œuvre picturale la plus troublante, la plus énigmatique, la plus dense, la plus riche en pensée inconsciente qui ait jamais été. »

Car cette apparition relève tout d’abord d’une exaspération de l’esprit par l’image, qui en vient à se refléter sur tout ce que l’œil aperçoit, d’où l’aspect « paranoïaque ». C’est ainsi que les deux personnages lui apparaissent un jour dans forme des galets qu’il regarde, sur une plage de Cadaquès, et qui dès lors s’apparentent à des amas rocheux ! C’est de cette vision que germe la toile Souvenir Archéologique de l’Angélus de Millet, où le couple apparaît comme deux murailles en ruine.
Mais c’est aussi l’animalité latente de cette femme qui obsède Dali : cet « atavisme crépusculaire », cette « répétition stéréotypée et devenue symbolique de l’agression sexuelle ancestrale » lui donne des allures de mante religieuse, prête à dévorer le mâle qui se trouve ne face d’elle. D’où, explique-t-il, l’attitude d’attente et d’immobilité dont fait preuve l’homme, « cloué à terre, hypnotisé par « l’exhibitionnisme spectral » de sa mère qui l’annihile. » En effet, la position du chapeau s’explique par sa volonté de cacher son sexe en érection : le voilà donc honteux vis-à-vis de sa virilité. Il s’agirait en fait d’un dernier face-à-face, rappelant le cycle originaire et destructeur de la naissance/mort.
Mais si ce projet part d’une angoisse initiale par rapport à cette œuvre, d’un certain nombre de névroses personnelles (l’érotisme, Eros et Thanatos, la torture, la peur de l’inceste…) son ambition est aussi de justifier la scientificité de sa méthode paranoïa-critique, et ainsi de se montrer sous un jour étonnement « rationnel ». Mais la tentative de systématisation de ce procédé est sans cesse relayée par l’onirique, par la folie personnelle.

Ce délicieux ouvrage republié par ALLIA offre les différentes étapes de cette quête mi- vitale mi- absurde par de nombreux clichés qui éclairent un projet parfois halluciné, mais franchement révolutionnaire. Un délire véritable que l’on excave en même temps que son auteur, dans une exaltation toujours croissante et qui dépasse tout scepticisme.

« Si ce résultat fait preuve, ce sera merveilleux ; mais si tout le livre n’était qu’une pure construction de l’esprit, alors ce serait sublime ! » Gala

Le Mythe tragique de l’Angélus de Millet, de Salvador Dalí, ed. Allia, 144 pages, 12 euros.

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Sixtine de The

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