Le douloureux mystère d’Anna Maria Ortese
Vingt-sept feuillets dactylographiés, retrouvés par miracle dans la dernière demeure de la grande écrivaine italienne Anna Maria Ortese (1914-1998), à Rapallo, composent cette délicate nouvelle sans doute rédigée entre 1971 et 1980.
Dans sa correspondance, Anna Maria Ortese évoque à deux reprises ce manuscrit en gestation, sous les titres La casa del pozzo (la maison au puits) et Florì et le fils du roi. Les éditions Adelphi ont retenu celui du manuscrit retrouvé. S’il annonce le chef-d’œuvre La Douleur du chardonneret (1997), il a aussi pour mérite de transcender le matériau relaté. En effet, au-delà de sa conclusion tragique ou encore de sa dimension de conte merveilleux, cette nouvelle s’efforce avant tout de sonder le mystère sous tous ses atours.
Le mystère du hasard qui dicte là où frappent les foudres de l’Amour, le mystère de l’éveil à la sensualité d’une jeune fille, le mystère douloureux de l’adolescence. Mais aussi et surtout, le mystère de la Naples baroque du XVIIIe siècle, que l’auteur a choisie comme écrin pour camper son récit. À cette époque, les contrastes y culminent, entre les fastes et les rites de la cour d’un côté, et la vie populaire et laborieuse qui animait les ruelles et les bassi de l’autre.
Point d’orgue et lieu de contact entre ces deux mondes, l’Église trône toute-puissante – un ascendant encore prégnant dans la Naples contemporaine, qui demeure pétrie de superstition religieuse. Laissez-vous emporter, comme dans un rêve éveillé, dans la touffeur des odeurs et des couleurs d’un autre temps, où le merveilleux le dispute à la putrescence, et l’orgueil au désarroi. Une atmosphère restituée avec soin par une traduction ciselée.
« Qui n’a pas vu une église de Naples pendant une neuvaine, qui, un soir de mai, n’a pas quitté les rues étroites plongées dans une odeur de pourriture et de fleurs pour entrer dans une église dont l’autel majeur est couvert de lys très blancs, de roses et de tubéreuses, ne sait pas ce que sont les rêves, la lumière, la douleur. » p. 44
« Son désir, qui la rendait étrange et grande, et qui lui ôtait toute voix et toute faim, était de le rencontrer, et de rester un instant seulement contre sa poitrine grise, de roi mélancolique et trouble : comme l’immense ciel violet, l’air violet qui, depuis une semaine, dort entre la mer et le château Sant’Elmo. » p. 74
Mistero Doloroso, Anna Maria Ortese, traduit de l’italien par Marguerite Pozzoli, coll. « Un endroit où aller », Actes Sud, 112 p., 15 euros. Sortie le 4 janvier 2012.
visuel : portrait d’Anna Maria Ortese jeune © droits réservés.