L’art et la nature du photographe Alexander Henderson
Les éditions Hazan et le musée McCord de Montréal viennent de publier un luxueux livre d’art consacré au photographe Alexander Henderson (1831-1913) sous-titré Art et Nature.
Paysagisme
L’ouvrage est le catalogue de la première exposition “d’envergure” consacrée par le musée McCord, dépositaire de l’œuvre mais aussi de ses archives familiales, à cet immense photographe canadien d’origine écossaise, artiste de l’immensité du pays et du paysage. Plus de 170 reproductions fidèles aux tirages d’époque “font voyager au gré des saisons, depuis Montréal vers les régions éloignées du Québec et de l’Ouest canadien durant la seconde moitié du dix-neuvième siècle.” Suzanne Sauvage, la présidente du Musée, rend hommage dans son avant-propos au conservateur Stanley G. Triggs, qui sauvegarda l’œuvre et écrivit en 1984 un essai biographique du photographe.
Le corpus est passé au crible du regard d’Hélène Samson, la conservatrice du département photo de cette institution, regard que Suzanne Sauvage qualifie de “critique” dans la mesure où il met “en lumière le contexte colonial de l’époque et son influence incontestable sur le travail de Henderson.” Le comptable de 24 ans devient photographe, en un premier temps “amateur”, par la suite de “renommée internationale, une fois débarqué dans le Nouveau Monde. D’après Stanley G. Triggs, ses vues de paysages et ses scènes de la vie urbaine étaient très recherchées par les Canadiens et les touristes comme souvenirs de lieux visités, certainement aussi pour leur qualité artistique. C’est pour leur valeur historique que “l’avocat montréalais visionnaire David Ross McCord” les collectionna.
Colonialisme
Selon Hélène Samson, les magazines populaires et les livres à grand tirage britanniques décrivaient “la fille aînée de l’Empire” qu’était le Canada comme un “paradis pour les chasseurs”. Henderson est l’un des premiers à avoir rapporté les impressions de ceux-ci en photographie. Dès 1860, ses vues illustrent les aspects attrayants de la “vie dans les bois”, transmettent “un état d’âme face à la nature” et, selon les termes de Briggs, témoignent “d’une passion sensuelle pour la nature et les régions sauvages.” Les critiques s’accordent sur l’atmosphère de calme, de sérénité, de douceur et de force, sur la dimension intemporelle, “l’élégance et la sobriété des compositions”, la délicatesse des textures, etc., propres aux clichés de Henderson.
Peu d’entre eux soulignent “le contexte colonial de l’époque”. Hélène Samson observe que, depuis quelques décennies, “la perspective analytique de la décolonialité tracée par de nombreuses institutions du savoir (…) impose, entre autres, de reconnaître les positions privilégiées et les biais conceptuels du colonialisme dans la culture.” Henderson fait partie des “privilégiés dans la société canadienne (…), indépendant de fortune et descendant de la petite noblesse écossaise – landed gentry.” À ce titre, il partage les préjugés de sa classe à l’égard des “Autochtones” et des descendants des “colons de la Nouvelle-France”. Cette approche socio-politique de l’œuvre explique en partie l’absence totale ou presque d’Amérindiens des paysages, aussi magnifiques soient-ils.
Visuel : Alexander Henderson, Cap Éternité, rivière Saguenay, Québec, c. 1868, Musée McCord de Montréal, don d’E. Dorothy Benson, p. 198-199 du catalogue Alexander Henderson, Hazan/Musée McCord, juin 2022, 26 x 30 cm, 224 pages, 45 € TTC.