L’ancien directeur de Polytechnique Bernard Esambert décrit les coulisses de la Ve République
Bernard Esambert est très connu dans certains milieux, car il fut en effet le président de l’école Polytechnique, de la banque Edmond de Rothschild, de l’Institut Pasteur et de nombreuses fondations médicales. Il fut aussi vice-président des groupes Bolloré et Lagardère. L’ingénieur vient de publier Une vie d’influence dans les coulisses de la Ve République, récemment paru aux éditions Flammarion.
B. E.
Airbus, Ariane, le développement de l’électronucléaire, le concept de guerre économique, tout ceci c’est lui ! Bernard Esambert, ou B. E., est né sous le patronyme Ejzenberg, qu’il a ensuite francisé. Il a commencé son activité au service de l’Etat sous Charles de Gaulle, puis il a continué sous Georges Pompidou jusqu’à François Hollande. Le présent ouvrage est divisé en neuf parties, lesquelles représentent les moments les plus importants de la vie de B. E.
Pierre Messmer, l’ancien légionnaire
Pierre Messmer, qui fut Premier ministre sous Georges Pompidou, est réhabilité par Bernard Esambert, qui le présente de la façon suivante : « finalement, notre Siegfried national, qui n’a jamais porté de culotte tyrolienne, aura dominé ce milieu politique, où il n’a jamais été à l’aise, ni intellectuellement, ni moralement ». Il rappelle en outre son dévouement total envers le président Georges Pompidou. A cet égard, explique l’auteur, Pierre Messmer avait une formule rituelle pour exposer ses mesures au chef de l’Etat : « Monsieur le Président, j’ai décidé… sous réserve de votre approbation ».
Les sourires de jacques Chirac…
En ce qui concerne Chirac, B. E. ne voit rien de gaullien dans son attitude vis-à-vis de Saddam Hussein. Ainsi écrit-il qu’il « ne voyait pas ce qu’il y avait de gaulliste à soutenir Saddam Hussein, enfant légitime ou facilement légitimable de Hitler et de Staline, et à lui permettre de continuer à opprimer en toute impunité ».
Par ailleurs, c’est l’excès de prudence qui aurait conduit Jacques Chirac à cette forme d’immobilisme et de social conservatisme.
L’ambitieuse Rachida Dati
L’auteur rappelle qu’un jour il reçut une lettre d’une beurette amenée à devenir célèbre. A l’époque, elle voulait travailler avec lui. Il l’a donc rencontrée, avant que cette dernière estime qu’il n’était « pas assez en vue » pour faire partie de ses parrains. Pour Bernard Esambert, Rachida Dati serait certes émouvante, mais aurait de solides défauts de caractère.
Les Alter Egos : Alain Juppé et Laurent Fabius
Alain Juppé et Laurent Fabius sont décrits comme des êtres extrêmement froids. Aussi écrit-il sans ambages qu’« aller vers l’autre est une attitude humaine qui ne leur est pas coutumière ». Il en dit encore que « quand l’un est aux affaires, l’autre est dans l’opposition et vice-versa. L’un est classé à droite, mais a des idées de gauche enfouies dans son sous moi, l’autre est censé avoir des idées de gauche que son surmoi fait déborder à droite ». Pour l’auteur, ils sont les exemples-types de notre système de formation et de sélection.
L’inflexible Valéry Giscard D’Estaing
L’entrevue entre l’auteur et VGE est assez savoureuse. Bernard Isambert travaillait à l’époque au Crédit lyonnais et VGE le convoqua. Le dialogue suivant est rapporté : « Si vous aviez souhaité avoir mon parrainage pour aller tout de suite très haut, je ne vous l’aurais pas accordé car, rappelez-moi une chose Esambert, vous n’êtes pas inspecteur des finances que je sache ? »…
Bernard tapie, le gâchis
Bernard Tapie avait reçu ses lettres de noblesse de la part du pouvoir et leur avait ajouté un bagout d’une qualité exceptionnelle. Mais, selon Bernard Esambert, il a finalement tout gâché, alors qu’il aurait pu et dû servir d’exemple.
L’ouvrage de Bernard Esambert est très dense et très bien écrit. Il livre sa vision d’une période de la Cinquième République qu’il a directement vécue. On a cependant l’impression que Bernard Esambert ne se livre pas toujours entièrement et totalement. Son témoignage souligne, toutefois, l’importance des grands corps de l’Etat, comme l’ENA ou les Mines, dont les anciens élèves sont au cœur même de nos élites. A la lecture de cet ouvrage, il semble qu’au début de la Cinquième République l’ascenseur social était nettement moins bloqué qu’aujourd’hui. Un boursier comme Bernard Esambert a par exemple pu parvenir au sommet de l’échelle sociale, chose qui relève du miracle de nos jours. D’ailleurs, d’aucuns évoquent l’idée de castes au sein de la société française, comme le sociologue Hervé Hamon qui va bientôt publier un ouvrage au titre évocateur Ceux d’en haut.
Bernard Esambert, “Une vie d’influence dans les coulisses de la Ve République”, Flammarion, janvier 2013, 537 p., 22,90 euros.