Fictions
“La Déconnexion” d’Éric L’Helgoualc’h : entre mirages technologiques et crispations identitaires

“La Déconnexion” d’Éric L’Helgoualc’h : entre mirages technologiques et crispations identitaires

18 August 2020 | PAR Chloé Hubert

Avec son premier roman, aux Éditions du Faubourg, Éric L’Helgoualc’h nous emmène sur les pistes de la disparition d’un homme d’affaire franco-libanais parti combattre Daech en Syrie. C’est une histoire dans une histoire: celle d’Elias Naccache rapportée par le narrateur-personnage que l’auteur mêle et emmêle à son propre roman, si bien que les frontières avec la réalité apparaissent comme chancelantes. 

“Deux quadra en déconfiture d’égo”

Pour reprendre les mots de l’éditrice, c’est l’histoire de “deux quadra en déconfiture d’égo” liés par une vielle amitié. Le premier est un riche homme d’affaire ayant fait fortune grâce au web qui décide de tout quitter pour prendre les armes en Syrie contre Daech aux côtés des volontaires chrétiens; le second est un écrivain en perte de vitesse ayant connu une petite notoriété en officiant en tant que chroniqueur sur la radio publique. Les aventures du premier vont fasciner le second. En tant qu’ami d’enfance d’Elias Naccache, le narrateur se voit confier par un journal people une enquête sur “le mystère Elias Naccache”. “Toutes les grandes passions sont réunies, l’argent, la politique, la guerre !” claironne la rédactrice en chef de Vanity Fair. C’est ainsi que le narrateur va se plonger dans une enquête au cours de laquelle le “pourquoi est-il parti?” va rapidement se transformer en “qui était-il vraiment?”.  

Un roman à l’écriture fluide qui nous emporte dans son intrigue  

Si les thèmes peuvent laisser sceptique – sorte de critique de la modernité numérique sur fond de retour de la question identitaire – on est happé dès les premières lignes et nous ne refermons le livre qu’une fois terminé. C’est un “page-turner”, il n’en fait aucun doute, et ce pour deux raisons: l’écriture d’abord, fluide, qui s’oublie presque pour n’être qu’une humble conteuse d’intrigue; Et l’intrigue justement, on y plonge et on s’interroge page après page avec le narrateur sur les raisons qui ont poussées l’homme d’affaire à partir pour la Syrie. Tel un détective, il rencontre les personnes qui ont entourées Elias afin d’en apprendre plus, chacun comme une pièce du puzzle permettant de répondre à la question qui fini par nous obséder nous aussi: qui était Elias Naccache ? 

Une narration qui flirt avec la réalité

Un des ressorts de l’intrigue est son extrême crédibilité. Inscrite dans des lieux, des institutions ou parmi des personnages bien réels, on en vient a douter de la nature de l’objet que l’on tient entre les mains. Est-ce un roman ou bien une véritable enquête menée par l’auteur ? Pour vérifier, on se surprend à taper dans notre moteur de recherche le nom d’Elias Naccache – juste pour être sur – tant il semble avoir existé. On se dit que si c’est un roman, c’est peut-être au moins inspiré d’une histoire vraie… Il n’en est rien, tout est fiction. 

La confusion vient aussi sans doute du dispositif narratif très élaboré. Dans le roman d’Éric L’Helgoualc’h, le narrateur écrit un livre qui retrace son enquête sur la vie de son ami d’enfance, livre qui donne parfois l’impression de se confondre avec celui que l’on a entre les mains. On se prend également à confondre le narrateur avec l’auteur, qui, s’il doit évidement mettre un peu de lui dans son personnage, n’est pas – encore ? – un écrivain de notoriété publique faisant des chroniques hebdomadaires sur France Inter. S’il nous arrive donc de devoir parfois remettre tout ça en ordre dans notre tête, c’est très certainement le résultat souhaité par l’auteur qui démontre ainsi une véritable habilité dans l’écriture et la narration. La préface sème d’ailleurs le trouble, elle est celle qui devrait apparaître dans le roman du narrateur… Éric L’Helgoualc’h, dès les premières lignes, joue avec la réalité et se joue de nous. On était toutefois prévenu par Nabokov qui trône en toute première page: “Ne perds pas de vue que tout ce qu’on te dit est en réalité triple : façonné par celui qui le dit, refaçonné par celui qui l’écoute, dissimulé par le mort de l’histoire”. 

Un portrait d’époque

Reste de titre: La Déconnexion. Terme à la mode qu’on nous exhorte à mettre en pratique… Souvent d’ailleurs depuis les réseaux sociaux desquels on devrait se déconnecter. Ce titre semble résumer à lui seul l’esprit du livre d’Éric L’Helgoualc’h qui fait le portrait de notre époque en creux de celui de ses personnages. Il semble que ce soit le besoin de déconnexion qui a poussé Elias Naccache à fuir ainsi la société qui l’avait érigé en millionnaire. Trouver un sens à sa vie. Par un retour du mystico-religieux. Finalement, c’est un peu une ambiance de fin de siècle que nous dépeint l’auteur. “C’est juste au moment où le positivisme bat son plein que le mysticisme s’éveille et que les folies de l’occulte commencent” écrit Huysmans dans Là-Bas, portant finalement les mêmes conclusions sur la fin de son XIXème siècle que notre auteur sur le début du XXIème siècle.

Si le sujet peut donc paraître un peu convenu, l’auteur ne se fait pas aspirer par la facilité du propos et garde, à travers son narrateur lui-même sceptique, une distance salutaire. Sans être non plus cynique, il s’interroge et nous fait nous interroger. Et lorsque le narrateur se fait prendre au jeu de l’héroïsation de ce nouveau mystique, d’autres personnages sont là pour apporter un contre-discours. Les retours cinglants qui sont fait au narrateur sur son manuscrit (qui, rappelons-le, se confond parfois avec le roman d’Éric L’Helgoualc’h lui-même) apparaissent comme un contre-point critique au livre du narrateur, comme à celui de l’auteur, de lui à lui. Ainsi, il démontre jusqu’au bout son habilité dans l’écriture et nous propose un premier roman enthousiasmant qui interroge la modernité sans tomber dans les pièges de l’exercice.

Éric L’Helgoualc’h, La Déconnexion, Editions du Faubourg, 304 p. 18,90 €, sortie le 20 août 2020.

visuel: Couverture du livre©

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